Un élève fait le devoir d’un autre

Résumé

Une enseignante d’Arts Appliqués surprend des élèves s’échanger des feuilles durant un exercice. Elle estime qu’il y a triche et sanctionne les élèves en leur attribuant la note de zéro. Elle apprend à la fin du cours que le travail est monnayé…

Le récit et l’analyse de cette situation ont été écrits par un groupe de 3 enseignant.e.s expérimenté.e.s accompagné.e.s par un enseignant chercheur durant l’année 2019-2020. 

1. La situation

STATUT DE L’ENSEIGNANTE : professeure titulaire en Arts appliqués et cultures artistiques, option design dans un lycée professionnel de la région parisienne (en poste depuis 13 ans dans l’établissement, tout d’abord en tant que contractuelle, puis professeure stagiaire et titulaire du poste). Le lycée professionnel est inclus dans un lycée polyvalent accueillant des élèves des secteurs général, technologique et professionnel. La partie professionnelle regroupe environ ¼ du total des élèves de l’établissement. Ce dernier a été classé en Zone Prévention Violence. Si depuis la réforme de l’éducation prioritaire de 2014, il a perdu ce classement, il relève encore aujourd’hui de la « Politique de la Ville ».

La professeure d’Arts appliqués est la seule enseignante de sa discipline dans le lycée Pro. Elle a en charge 13 classes, environ 300 élèves, répartis sur 3 niveaux de Baccalauréat Professionnel (2nde, 1ère, Tale) et 2 niveaux de CAP (2nde et Tale).

Caractéristiques de l’établissement (section d’enseignement professionnel) : les formations initiales sont du secteur tertiaire (COMMERCE et GESTION-ADMINISTRATION pour les élèves de BAC PRO et VENTE SPECIALISEE-PRODUITS COURANTS pour les élèves de CAP). Ici anciennes appellations car dernières classes à passer le bac « ancienne version ».

Les nouvelles appellations appartiennent à des familles de métiers :

– GATL = Gestion de l’Administration, des Transports et de la Logistique.

– MRC = Métiers de la Relation Client

CLASSE CONCERNÉE : 1ère COM2 (1ère COMMERCE 2), groupe 1 (15 élèves).

Spécificité de cette classe : une partie de la classe est issue de la seconde GA/COM de l’année précédente qui était composée elle-même de 15 élèves de Gestion-Administration et 15 élèves de Commerce. À la base 2 classes en une, gérée par 2 professeurs principaux (1 pour la partie Commerce et 1 pour la partie Gestion-Administration). Les élèves suivant deux cursus différents n’avaient en commun que les cours d’enseignements généraux du lycée pro.

Une partie des élèves de seconde professionnelle GA/COM se connaissant donc depuis 1 an et les élèves issus du général ne se connaissent pas forcément et viennent quelquefois dans la voie professionnelle avec un avis négatif sur la section pro en se disant qu’ils pourront se reposer sur leurs acquis… Certains élèves du général considèrent la filière professionnelle comme plus facile et donc, s’y tournent avec la conviction qu’ils pourront réussir sans travailler, puisque venant de seconde générale. Du coup, cela leur laisse de la « place », du « temps » pour faire autre chose que suivre les cours, comme perturber, s’amuser ou se moquer… Un temps d’adaptation est souvent nécessaire pour ces nouveaux arrivants en 1ère bac pro. Les élèves issus de Tale CAP/EVS sont peu nombreux et ces derniers sont plutôt calmes et motivés. La classe 1COM2 est donc une classe hétérogène, tant dans l’origine des élèves que dans la façon dont ces derniers abordent leur scolarité.

COURS CONCERNÉ : Cours d’arts appliqués. 1h hebdomadaire, Groupe 1 (15 élèves) le jeudi de 9h30 à 10h25, (Groupe 2 le vendredi de 13h30 à 14h25). Le Groupe 1 débute la journée du jeudi avec le cours d’arts appliqués. A 10h25, les élèves ont 15 mn de pause (récré du matin).


CONTEXTE MATÉRIEL DE LA SITUATION : la salle est grande et lumineuse. Les tables sont larges et longues (80 X 120 cm) ce qui permet de pouvoir avoir de la place pour dessiner. Les tables sont disposées en U, ce qui permet à l’enseignante d’avoir un regard global de l’ensemble de la classe et de pouvoir circuler facilement au centre de la salle. Au centre de ce U, il y a une table sur laquelle sont disposés les lutins (cours, travaux des élèves). Les élèves sont accueillis par le professeur et chaque élève récupère son lutin sur cette table centrale. Cette organisation a été choisie car cela évite d’un cours sur l’autre que les élèves oublient une part de leur matériel. En outre, l’enseignante donne rarement de travail à faire à la maison. Par contre, pour des travaux inachevés, l’élève peut emporter son lutin chez lui.

On trouve près du bureau de l’enseignante du matériel tel que crayons de couleurs, feutres noirs, de couleurs, règles, compas, feuilles de dessins, calques…

La salle dispose d’un tableau blanc, d’un ordinateur professeur relié à un vidéo-projecteur, de 6 ordinateurs placés le long d’un mur, d’un scanner, d’une imprimante laser couleurs. Il y a des armoires dans la salle pour ranger le matériel. Au fond de la salle, il y a une réserve fermée où se trouve en grande partie du matériel servant aux élèves du général ayant pris comme option arts plastiques (cours dispensés par une collègue d’arts plastiques) et un évier avec une paillasse et point d’eau.

SÉANCES 1 et 2 précédant la situation :  

Le 1er cours de l’année est une séance différenciée. Pour les élèves montant de 2de bac pro, l’enseignante donne aux élèves un questionnaire sur les notions entrevues l’année passée qu’ils doivent avoir intégrées. Quant aux nouveaux élèves de la classe, l’enseignante explique la différence entre Arts appliqués et Arts plastiques et les domaines du design qui vont être abordés. C’est un cours d’approche de la matière qui est donné à tous les élèves qui ne connaissent pas la discipline des Arts appliqués. Lors de cette séance, il y a donc deux activités distinctes et simultanées : les « anciens » répondent à un questionnaire (vérification des pré-acquis) en autonomie, et les « nouveaux » assistent à un cours dialogué sur la différence entre Arts Appliqués et Arts plastiques. »

Pour la séance 2, l’ensemble du groupe commence un nouveau travail portant sur l’élaboration d’un logo afin d’évaluer les compétences de chacun. Les consignes sont expliquées oralement à l’ensemble des élèves de la classe (à ceux qui préparent le bac pro en 3 ans comme à ceux qui vont le préparer en 2 ans).

Comme dans toute nouvelle séquence, il y a une phase d’observation et une phase d’analyse. Cette partie est faite en interactivité » sous forme de « questionnement oral sur un logo existant. La classe (professeure et élèves) observe les éléments qui composent ce logo : quels éléments composent ce logo (texte, dessins, couleurs, formes, évocation de…) ? Une fois la dénotation et connotation réalisée oralement et notée au tableau, les élèves passent à des d’exercices pratiques.

SÉANCE 3 (déroulement de la situation analysée) jeudi 19 septembre 2019 de 9h30 à 10h25 :

Les premiers cours se sont bien passés. L’enseignante n’a pas remarqué de problèmes entre les élèves. L’enseignante connaît les réactions des élèves de 2nde COM (bavardages, ceux qu’il faut pousser à travailler, ceux qui ont des problèmes de compréhension des consignes, ceux qui ont des difficultés graphiques…). La plupart des élèves connaissent l’enseignante, soit depuis 1 an pour 7 élèves issus de 2nde COM et 2 ans pour 1 élève issu de CAP.

Pour les nouveaux élèves (7 élèves) qui ont intégré cette classe de 1ère, nous sommes encore dans une phase d’observation entre l’enseignante, les élèves et la nouvelle matière qu’ils doivent intégrer et qui est évaluée sur deux ans pour le Bac, en classe de 1ère pour la phase 1 et en classe de Terminale pour la phase 2 (Contrôle en Cours de Formation).

En début de séance a lieu le rappel de ce qui a été fait précédemment – Analyse d’un logo : formes, couleurs, fonctions… Au regard de l’hétérogénéité de la classe l’enseignante questionne plus facilement les nouveaux élèves. Ceci pour vérifier ce qu’ils ont retenu de la séance 2 et évaluer leur faculté d’analyse, d’expression orale, de vocabulaire… Si les nouveaux élèves sont en difficultés, les élèves qui ont eu Arts appliqués l’année passée répondent.

Les élèves ont un support papier et des logos sont vidéo projetés. Le travail de ce jour est de réaliser des croquis d’après des photos de monuments et de personnages afin d’isoler des éléments simplifiés pour produire ensuite un logo. Afin que tous les élèves comprennent l’exercice à faire, l’enseignante fait venir au tableau un élève pour qu’il montre à ses pairs comment s’y prendre. Les élèves travaillent ensuite en autonomie car la copie reste individuelle, mais ils ont le droit d’échanger leurs idées et l’enseignante passe dans la classe pour vérifier l’avancée du travail et éventuellement aider ceux qui ont des difficultés.

L’enseignante regarde le travail de l’élève M. qui vient du général (2nde) et qu’elle connaît par ailleurs car lors d’une sortie scolaire du lycée général au musée d’Orsay à laquelle elle avait participé en tant qu’accompagnatrice l’année précédente, elle avait repéré cet élève très doué en dessin. L’enseignante avait eu alors l’occasion de discuter un peu avec lui, en lui demandant d’où venait son talent, s’il pensait en faire plus tard son métier, etc.

Au cours de la séance, l’enseignante voit des feuilles se transmettre de mains en mains, notamment entre l’élève M. et deux autres élèves D. et Mo (issus de 2nde GA/COM de l’an passé). Ces élèves sont assis côte à côte, mais éloignés de M. Tout de suite, l’enseignante intervient car elle suspecte un échange de feuilles et connaît la qualité graphique et artistique de M. En effet, elle reconnaît immédiatement le style de M. sur les copies de D. et Mo. D’après l’enseignante, ces derniers ne pouvaient pas être les auteurs de leurs travaux. D’abord parce qu’il y avait un décalage entre l’exercice réalisé et ce que ces deux élèves sont capables de produire (l’enseignante connait ces élèves depuis l’année passée). Ensuite, parce que M. a un coup de crayon style BD bien caractéristique. 

L’élève M. répond : « j’aide les élèves ». L’enseignante réplique : « tu peux les aider en montrant ce que tu as fait et comment tu as fait, mais tu ne peux pas le faire à leur place ».

Comme l’enseignante estime qu’il y a triche, elle informe les trois élèves qu’ils seront sanctionnés pour la partie de cet exercice avec la note zéro. En effet, l’objectif n’était pas d’évaluer la qualité artistique des élèves mais leurs capacités à réfléchir, à transcrire graphiquement les idées développées lors de l’analyse formelle du cours précédent. De plus, l’enseignante sait (par expérience) qu’à ce stade de l’exercice, à partir d’une même image, les élèves arrivent à peu près tous à la même forme (un triangle restant un triangle par exemple…).

La sonnerie de fin de cours retentit. C’est alors que l’enseignante entend un élève dire que ce travail est monnayé. L’enseignante est interloquée, réagit et dit aux élèves : « ça ne marche pas, on ne fait pas payer les autres ! ». Mais c’est la précipitation de fin de cours car c’est l’heure de la récréation. Les élèves sortent de la salle de cours.

Tout de même, l’enseignante interpelle l’élève M. pour qu’il lui confirme ce qu’elle avait entendu et aussi pour évoquer la question du travail monnayé. Les deux autres élèves D. et Mo sont déjà partis. L’enseignante n’a pu approfondir la question avec eux.

Elle explique à M. que cet incident n’est pas possible dans son cours et veut connaître sa vision de l’incident. C’est alors que l’élève M. répond : « Mais comment fait-on pour avoir de l’argent de poche ? Je ne les fais pas payer cher : 1 ou 2 euros ». L’enseignante est surprise par cette réponse car l’élève n’est pas arrogant, insolent, ne nie pas. Il ne semble pas gêné par cette situation, ne comprend pas a priori le sens de l’étonnement de l’enseignante.

L’élève dit qu’il ne le fera plus. L’enseignante libère l’élève pour qu’il profite de la pause du matin. Comme l’élève ne semble pas avoir des liens d’amitiés avec D. et Mo, mais, qu’il est reconnu pour bien savoir dessiner, l’enseignante décide d’éloigner davantage les trois élèves concernés lors du prochain cours afin d’éviter que la situation ne se reproduise.

Enfin, elle choisit de parler de cet événement à la professeure principale (PP). Cette dernière rétorque que M. est un élève qui ne fait que dessiner en cours et que si la situation se reproduisait, elle en avertirait les parents. Elle apprend également à l‘enseignante que M. est autiste Asperger.

 SÉANCE 4 suivant la situation (constats, premières démarches de l’enseignante) :

Dans la classe, M. a toujours un classeur à sa portée. Dès qu’il s’ennuie, il dessine autre chose que ce qui lui est demandé de faire. Quand l’enseignante le rappelle à l’ordre, il répond qu’il a le temps. Il a « l’aura de l’artiste » pour ses camarades de classe, et, sûrement pour d’autres élèves du lycée qui le connaissent. Quand l’enseignante lui reproche de faire autre chose et lui demande de travailler sur le sujet distribué, les autres élèves semblent prendre sa défense. « Oui, Madame, mais vous avez-vu comment il dessine ? Il a fait le portrait d’Untel ! »

L’enseignante a constaté, par ailleurs, que M. semble protégé par ses camarades de classe. (question que ça pose : Est-ce par intérêt ou bonté d’âme ?) Selon une enquête effectuée auprès de la PP, M. est un élève bien intégré dans la classe. Elle apprend à cette occasion, qu’il est accompagné d’une AVS dans certains cours (13h par semaine). Il échange facilement avec les autres élèves de la classe.

Pourtant, a priori, il n’a pas particulièrement d’affinités avec D. et Mo. car à la fin du cours, aucun élève ne l’attend forcément. Il est le dernier à sortir de cours, et seul, parce que très ou trop lent à rassembler ses affaires. Pourtant, il ne semble pas vraiment rejeté. Il semble perçu comme « différent » mais attire sympathie et gentillesse de la part de ses camarades.

Lors de la séance 4, l’ensemble des élèves de la classe a continué et finalisé le travail débuté les séances précédentes. L’enseignante n’est pas revenue pas sur l’incident « triche ». Durant cette heure, il n’y a pas eu de nouvel échange de copies entre les élèves. Ces derniers ont écouté, en apparence, leur professeure.

Mais, à la fin du cours, l’enseignante a entendu M. dire à ses camarades D. et Mo. : « Ne vous inquiétez pas, je vous le ferai pour demain ». L’enseignante s’est dit qu’il y avait encore « échange » soupçonnant un nouveau travail monnayé. Étant encore le dernier à sortir de la salle, l’enseignante l’a interpelé et lui a rappelé qu’il ne fallait pas qu’il fasse les devoirs des autres car il allait avoir des problèmes. M. lui a répondu « Ne vous inquiétez pas, je me fais payer ! »

À la suite de cette séance 4, l’enseignante en a parlé de nouveau à la Professeure Principale, qui a répondu : « Ah bah je sais ! », avant de réitérer que M. était « autiste Asperger, [et que] de toute façon, il ne connect[ait] rien au commerce ! » (Jugement à revoir dans ce cas présent puisqu’il y a bien relation commerciale. En somme, une application concrète des cours mise en place par l’élève peut-être…)

La PP dit qu’elle va appeler les parents. Une semaine après ces deux incidents, la professeure d’Arts appliqués qui a alerté la PP n’a pas eu de retour de l’échange téléphonique avec les parents. Ce second entretien avec la PP ne satisfait pas l’enseignante, dont les propos, à ses yeux, s’apparentent à un jugement de valeur et contreviennent à son éthique et sa posture professionnelle.

Au final, la séance et les premières démarches de l’enseignante qui ont suivi la situation problème, ont permis de faire le constat suivant : la sanction et l’entretien prof / élève qui ont suivi l’incident, n’ont pas eu d’effet (effet escompté ? = faire en sorte que l’arrangement cesse et que le travail soit produit par tous les élèves ? La sanction a-t-elle été suffisante pour dissuader ?), car, à la séance suivante, les élèves ont continué leur « deal ».

Les hypothèses et le ressenti de l’enseignante sur le fait qu’il y a quelque chose de plus profond derrière l’incident (élève handicapé) semblent se confirmer.

2. Les questions que pose la situation 

À ce stade, l’imbrication « triche » et « inclusion » interroge et nous permet d’élargir notre réflexion au-delà de la situation initiale :

 Concernant les trois élèves :

  • Qui triche réellement ?
  • Qui a conscience de tricher ?
  • Qui est responsable de cette « triche » ?
  • Les trois élèves se sont-ils concertés sur la rémunération des échanges ? À quelle hauteur ? Pour quel(s) cours ?
  • À lire certains forums, la question morale dépasse largement le cadre du handicap et touche tous les élèves. Tout dépend de chacun en réalité et de la frontière que l’on pose entre moral et immoral… Ici peut se poser la question de savoir si l’on est dans l’immoral (contraire à la morale) ou l’amoral (qui est étranger à la morale, qui ne la prend pas en considération d’après le Larousse). Comment traduire l’aspect moral du devoir et l’écart entre les attentes des enseignants et celles des élèves ?

Concernant M. :

  • A-t-il pour seul objectif de gagner de l’argent (contre un travail) ou bien, n’a-t-il pas aussi l’intention de s’intégrer dans le groupe (se faire des amis grâce à ses capacités, à son don) ?
  • le fait-il pour d’autres élèves ?
  • Est-il victime ? Consentant? À l’initiative de l’échange ? Partie prenante ? Ou tout à la fois ?
  • pratique-t-il ces échanges de devoirs depuis le collège, depuis la seconde générale… ?
  • A-t-il conscience du problème de moralité, d’éthique, de manipulation… ?
  • Jusqu’où est-il prêt à aller ?

 Concernant Mo. et D. :

  • et D. sont-ils au courant du handicap de M. ?
  • Qu’ont-ils compris du handicap de M. ?
  • Abusent-ils en toute connaissance ou conscience de son handicap ou bien ne voient-ils en M. qu’un vrai génie du dessin ?
  • Si triche il y a, ont-ils conscience que M. n’est pas forcément en mesure de s’opposer à leur demande ?
  • Et dans ce cas, y-a-t-il abus de faiblesse ?
  • Qu’ont compris D. et Mo. dans cet arrangement ?
  • Dans sa singularité (présence d’une AVS dans les autres cours, l’attention particulière que portent sur lui certains enseignants) Mo. et D. ont-ils vu une force ou une faiblesse chez M. qu’ils pouvaient exploiter à leur avantage ?
  • Ces 2 élèves ont-ils vu/compris que M. est « autiste » ?
  • Ont-ils un discernement suffisant pour comprendre ce qu’est l’autisme ?
  • Peuvent-ils comprendre que par cet handicap, il est différent, manipulable, fragile… ?

 Concernant l’enseignante impliquée :

  • La situation problème souligne la sensibilité de l’enseignante face à l’inclusion. Pour elle, cette situation interroge sur le manque de communication au sein de l’établissement comme de l’équipe éducative et pédagogique, sur la « solitude » de l’enseignant face à un élève handicapé qui ne serait pas assez reconnu ou considéré comme tel.
  • Son expérience professionnelle dans l’établissement lui a montré à plusieurs reprises que l’information pouvait circuler difficilement pour des élèves à besoins particuliers et qu’il est parfois arrivé que les enseignants se sentent seuls face à des élèves dont ils avaient repéré d’importantes difficultés. En effet, cette enseignante a eu en charge une classe de CAP où il y avait 2 élèves autistes dont un autiste Asperger qui n’a pas trouvé sa place dans l’établissement. Cela a impliqué chez cette enseignante, une remise en cause totale de son rôle de professeure principale.
  • L’accompagnement de M. par une AESH limité à certains cours, pose la question des moyens donnés pour les élèves handicapés par l’institution. Si l’élève avait été encadré sur l’ensemble des cours, cela aurait sans doute désamorcé une part de l’inquiétude chez l’enseignante. Ce défaut a suscité chez elle beaucoup d’interrogations (AESH = garant de la « sécurité » de l’élève pour l’enseignante. C’est une « décharge » pour le fonctionnement de son cours. Cette présence rassure l’enseignante).
  • D’un point de vue didactique, quel sens les élèves donnent-ils aux activités proposées lors de cette séance 3. Ils se sont permis de tricher. Quelle valeur donnent-t-ils à la compétence qui était travaillée à ce moment-là ? La note chiffrée, le résultat, semblent plus importants pour ces élèves, que les compétences à acquérir. Aussi, comment l’enseignant peut-il faire en sorte que ses élèves puissent donner davantage de sens à la matière étudiée et trouver un intérêt personnel à monter en compétence ? Pour l’enseignante c’est aussi poser la question de la légitimité de la discipline auprès des élèves, ces derniers n’ayant Arts appliqués qu’une heure par semaine.
  • Comment l’enseignante vérifie-t-elle ce que fait chaque élève dans son cours ? Qu’ont fait D. et Mo. pendant la séance ? L’enseignante se dit qu’ils ont bavardé entre eux ou qu’ils n’ont pas fait d’efforts pour travailler ou que cela ne les intéressait pas.

 Concernant la communication au sein de l’équipe :

À l’issue de la séance 3, lors du 1er échange avec la PP, la réaction de cette dernière a paru hâtive à l’enseignante qui a eu l’impression que l’élève était « mis de côté » et s’est posée les questions suivantes au moment de la rédaction de cette situation : était-ce le moment, le lieu approprié pour en parler à la Professeure Principale car c’était dans la salle des profs au moment de la pause (récréation du matin) ? La PP a-t-elle cherché à savoir pourquoi tous ces dessins ? Désintérêt pour les enseignements ? Mauvaise orientation ? Unique centre d’intérêt ? Ennui ? Comment est-il arrivé en commerce ? Quel est son niveau ? Quelles sont ses difficultés ? Par ailleurs, l’enseignante attendait de la PP qu’elle lui en apprenne plus sur l’élève. L’enseignante s’étonne de l’absence d’une information pour toute l’équipe, soit par retour des questionnaires donnés en début d’année à tous les entrants en pro qui indiquent les difficultés, les qualités… de chacun, soit par une réunion d’information. Il était impossible à l’enseignante de savoir que M. était autiste ; par conséquent, elle s’est retrouvée seule face à une situation dont elle a pressenti qu’il s’agissait d’un handicap ou du moins d’un comportement anormal/surprenant.

  • Faut-il attendre le demi-semestre ou le conseil de classe du 1er semestre qui n’intervient qu’en janvier soit 5 mois après le début de l’année scolaire pour connaître les difficultés de l’élève M. ?
  • D’où lui vient l’information que M. est autiste ?
  • Pourquoi cet élève est-il en section commerce ?
  • Vers qui se tourner lorsque l’on soupçonne, détecte ou constate un élève à besoin particulier (se pose la question d’un référent dans l’établissement, infirmière ? CPE ? Direction ? etc…).

3. Dimension réglementaire

Selon la définition du dictionnaire Larousse, la triche renvoie à : 

  • Au jeu, enfreindre les règles pour gagner ;
  • Enfreindre certaines règles, certaines conventions explicites ou d’usage en affectant de les respecter (tricher en affaires) ;
  • Tromper, mentir sur la valeur, la quantité de quelque chose.

 Ces définitions du mot triche dans le dictionnaire Larousse nous éclairent sur la situation problème :

  • Le groupe s’accorde pour tricher : tout le monde gagne quelque chose, M. de l’argent mais peut-être aussi de la gratitude, de la reconnaissance, quant à Mo. et D., un travail fini et bien fait, donc une potentielle bonne note.
  • La question de la convention est différente selon les points de vue : pour l’enseignante, monnayer son travail n’est pas « bien », cela relève d’une certaine « morale » que pose d’ailleurs la plupart des enseignants sondés, entre droits et devoirs des élèves, entre ce qu’il est toléré de faire ou de ne pas faire en classe. Pour les élèves en revanche, il n’y a pas de problème a priori, dans cet échange donnant-donnant, comme cela peut se voir ailleurs, notamment chez les étudiants dans le supérieur. (L’art de la triche quand on est étudiant, Vincent TROGER, décembre 2010).
  • Mentir sur la valeur : le travail rendu ne correspond pas aux « compétences » artistiques et plastiques de Mo. et D., ni aux attentes didactiques de l’enseignante. Faire croire qu’ils sont les auteurs des travaux rendus, c’est aussi mentir sur la valeur de la production et la capacité à produire. Cela soulève encore la question de la valeur que peuvent attacher certains élèves au travail demandé en général et en Arts appliqués en particulier, comme celle de leur démarche. Considèrent-ils le travail demandé comme trop dur pour eux ? Ou, sont-ils simplement dans une posture de facilité qui consisterait à dire « Cela nous barbe, on va demander au « petit génie » de la classe de faire le travail à notre place » ?

 Ainsi, pour un cas de « simple » triche, la dimension réglementaire renvoie essentiellement au caractère disciplinaire des droits et devoirs des élèves. En cela, le règlement intérieur de l’établissement ne fait que reprendre les éléments du Code de l’éducation :

 « A.3 Le travail scolaire.

Les élèves ont l’obligation d’accomplir les tâches inhérentes à leurs études.

Ainsi chaque élève a l’obligation d’effectuer le travail demandé par tous leurs enseignants et d’être en possession du matériel nécessaire à l’accomplissement de l’ensemble des tâches scolaires. En cas d’oublis répétés ou de travail non fait l’élève s’expose à une punition scolaire. L’élève ne peut se soustraire aux contrôles de connaissance. En cas d’absence au contrôle l’élève pourra être retenu au lycée, y compris le mercredi après-midi ou le samedi matin pour y effectuer le contrôle manqué. Toute absence non justifiée ou dont le motif est jugé irrecevable pourra entraîner une absence de notation, ce qui a une incidence sur la moyenne trimestrielle ou semestrielle calculée en fonction du nombre de devoirs organisés. Tout élève ayant fraudé au cours d’un contrôle s’expose à une sanction ».1http://www.lyc-condorcet-limay.ac-versailles.fr/spip.php?rubrique66

 Cependant, notre situation a révélé que si « simple » triche il y avait eu, la question aurait sans doute été rapidement réglée par une décision disciplinaire. Il n’en a rien été, comme nous l’avons vu, car les faits se sont reproduits. Ici, l’élément « triche » et les propos qui ont immédiatement suivi, ont servi de « vecteurs », d’alerte, pour l’enseignante qui a senti dans les propos sur la rémunération de M. une réaction inhabituelle, décalée. Poursuivant la piste d’un élève à besoins particuliers, révélé par la présence d’une AESH dans certains cours, nous nous sommes donc également intéressés à la dimension réglementaire de l’inclusion.

D’après l’article 5 de la LOI n°2019-791 du 26 juillet 2019 – art. 5, le Code de l’éducation mentionne qu’« aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »2https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000038829094?r=SZyxqgt164

Le réglement nous éclaire également sur l’accueil et l’encadrement au quotidien d’un élève autiste au sein de l’Éducation nationale, consultable sur handicap.gouv. Sa lecture nous a menés à la conclusion qu’un cadre existait et qu’il pourrait servir d’appui comme élément de pistes de résolution.

« Parcours scolaire individualisé

[…] L’objectif de la scolarisation inclusive est aussi de permettre à tout élève de s’insérer dans la société, quelles que soient ses différences, mais aussi de permettre à la société – en premier lieu les autres élèves – de rencontrer ces différences et de les considérer comme un élément normal de la société.

[…] Dans tous les cas, il est essentiel de travailler en collaboration avec les parents, qui connaissent leur enfant, et vous donneront les meilleures informations possibles pour vous permettre de mettre en place les outils favorisant les apprentissages, et d’adapter votre comportement à l’élève.

La collaboration avec les autres partenaires accompagnant l’enfant (psychologue, orthophoniste, SESSAD, etc.) est tout aussi essentielle, dans une perspective de cohérence dans l’accompagnement global. 

[…]

Vos partenaires

– Enseignant référent de l’élève autiste joue le rôle d’interface entre la famille, l’équipe éducative, la MDPH, le personnel médical, ou paramédical.

– Chef d’établissement et l’inspection ASH sont les interlocuteurs qui peuvent vous orienter vers les personnes ressources ou les professionnels adaptés à la situation de l’enfant.

– Intervenants extérieurs peuvent aussi être amenés à entrer dans l’établissement pour accompagner l’élève autiste, sous convention.

Le partenariat avec ces professionnels est essentiel, il vous permettra d’adapter au mieux vos stratégies éducatives, et vous apporterez des éléments aux professionnels qui leur seront utiles dans le cadre de l’accompagnement qu’ils mettent en place. »3https://handicap.gouv.fr/autisme-et-troubles-du-neuro-developpement/former-pour-mieux-accompagner-88/article/les-professionnels-de-l-education-nationale

Ces éléments de la réglementation existante soulèvent la question de sa mise en place au sein de l’établissement. Pour cette situation problème, si notre enquête montre que le protocole semble avoir été suivi (accompagnement d’une AESH, entretien et rencontres avec la direction, sans la PP, l’infirmière…), en revanche, pour l’enseignante en tant que membre à part entière de l’équipe, c’est le sentiment inverse qui prédomine, car elle n’a eu aucun écho, aucun retour, de ce qui a été fait en amont.

Ici, certaines personnes de l’équipe éducative ont le sentiment du travail bien fait, pensent que le protocole est correctement mis en place, et ne voient pas le problème. D’ailleurs, l’AESH qui accompagne M. pense que cet élève est très bien suivi par la proviseure-adjointe et la PP. Elle dit avoir des conversations régulières avec l’une et l’autre. En cela, il apparaît qu’il y a conformité avec la circulaire n° 2019-088 du 6 juin 2019 relative à l’installation des AESH :

« Dès que l’AESH est affecté, […] dans un établissement, […] le chef d’établissement organise un entretien d’installation pour présenter à l’AESH nouvellement nommé ses missions précises, en mettant en évidence l’importance de la qualité de l’accompagnement et de la cohérence des actions éducatives au service de l’épanouissement de l’élève et de ses apprentissages.

Dans un second temps, […] le chef d’établissement organise un entretien de présentation associant l’AESH, l’élève lui-même, ses représentants légaux ainsi que […] le professeur principal […]. »4https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo23/MENE1915816C.htm

Mais, s’il y a problème c’est qu’il y a eu à un moment donné, nous semble-t-il, des écueils de communication, un défaut de « passerelle d’informations » entre les équipes. Au regard du texte réglementaire, il y a peut-être dans l’établissement un « professeur référent de l’élève autiste ». Cependant, les trois enseignants rédacteurs de cette situation n’en ont pas connaissance. La question du respect dans toutes leurs dimensions des textes officiels qui définissent les principes fondamentaux de la scolarisation des élèves en situation de handicap, se pose donc.

 La même circulaire n° 2019-088 concernant l’école inclusive parue au BO du 6 juin 2019, nous permet en cela d’en « dessiner » les contours. Celle-ci précise ainsi :

  • l’existence de pôle inclusif d’accompagnement localisé (Pial), « vecteur d’un meilleur accompagnement des élèves en situation de handicap » dont l’objectif est « de coordonner les moyens d’accompagnement humain», de « mobilis[er] l’ensemble des personnels de l’équipe pédagogique et éducative pour identifier les besoins de l’élève et mettre en œuvre les réponses adéquates au niveau de sa classe et, au-delà, de l’école ou de l’établissement dans lequel il est scolarisé ». Un dispositif susceptible de coordonner des actions et d’apporter de l’efficience à la communication.
  • Le caractère « primordial » de l’intégration des AESH dans la communauté éducative, en tant que « membres à part entière », ainsi que « la mise en place de temps de concertation et d’espaces de dialogue avec l’équipe pédagogique.

Ainsi, la dimension réglementaire de la situation problème nous paraît essentielle à prendre en compte. En lisant ces textes, nous comprenons que le protocole d’accueil de M. est respecté en partie mais que dans sa mise en place, ici en tout cas, une communication élargie à l’ensemble de l’équipe aurait sans doute désamorcé une situation qui de ce fait, n’aurait peut-être pas été « problème » en soi.

4. Ce qu’en disent des collègues

Afin de connaître la position de certains collèges sur la situation évoquée, l’enseignante a mené plusieurs enquêtes auprès de l’infirmière, de l’AESH, du CPE et de la PP. Étant au centre des préoccupations de l’enseignante, celles-ci se sont orientées autour de cet élève et donc des interrogations liées à l’encadrement d’un élève à besoins particuliers.

Enquête n°1 (semaine du 7 octobre 2019) : l‘enseignante est allée voir l’infirmière du lycée pour en savoir un peu plus sur M. Cette dernière lui a appris que cet élève était reconnu MDPH et qu’il avait une AESH à son service depuis la classe de seconde pour certains cours. Pour le diagnostic l’infirmière a dit à l’enseignante que personne ne sait exactement la pathologie de cet élève. Elle lui propose de se renseigner auprès de l’AESH pour savoir comment cela se passe dans les autres cours. L’infirmière a été attentive aux faits relatés par l’enseignante.

L’infirmière entend la problématique mais reste évasive sur ses explications concernant M. Aucune référence au protocole mis en place depuis la seconde, elle ne semble pas vraiment vouloir communiquer sur le besoin particulier de cet élève (secret médical ?).

Enquête n°2 (semaine du 15 octobre 2019) : l’enseignante est allée discuter avec l’AESH qui a confirmé qu’elle suivait M. depuis la seconde générale. Elle n’intervenait pas dans tous les cours. Elle a ajouté que pour elle, le diagnostic d’autisme Asperger est posé et que le lycée est au courant puisqu’il est suivi par un service spécifique de l’éducation nationale. Concernant l’élève M., elle dit qu’il a des difficultés à apporter son matériel en classe (livres, cours…), qu’en effet, il dessine beaucoup, qu’il a du mal à se concentrer en cours. Elle m’apprend aussi qu’elle est présente au cours de commerce avec sa professeure principale. Que ladite professeure essaie de le faire participer, mais que cela reste très difficile pour M.

L’enseignante discute ensuite avec la professeure de PSE, l’AESH intervient auprès de M. dans son cours. La professeure de PSE lui dit aussi que personne ne l’a prévenue qu’il y aurait une AESH dans son cours pour l’élève M. et qu’elle a été mise devant le fait accompli.

L’enseignante d’Arts appliqués qui présente cette situation pense qu’il y a une mauvaise communication dans le lycée au niveau des élèves bénéficiant d’une aide spécifique. Quid du référent pour organiser tout cela ?

 Au moment de l’enquête l’AESH a utilisé le mot « Lycée » pour désigner l’ensemble des personnels au courant de la situation de M. . Or, lors de notre analyse, nous nous sommes demandés qui désignait-elle par « le lycée » ? Après enquête, nous nous sommes aperçus que « le lycée » n’incluait pas en réalité l’équipe pédagogique. Lapsus révélateur ?

Enquête n°3 (semaine du 4 novembre 2019) : l’enseignante a eu une conversation avec le CPE de la classe. Elle lui a relaté les faits des séances 3 et 4 et a demandé s’il avait des informations particulières sur l’élève M. Celui-ci ne connaît pas beaucoup l’élève car aucun signalement particulier ne lui a été rapporté depuis le début d’année scolaire. Le CPE a peu d’indications sur la prise en charge MDPH de l’élève. Il a promis à l’enseignante de discuter avec M. au retour de son stage début décembre sur les faits d’échanges de cours contre rémunération. Puis, le CPE s’est engagé à recueillir des informations concernant l’élève M. auprès de l’ensemble de l’équipe pédagogique via un questionnaire envoyé par mail. Voici les questions qu’il a posées :

  • l’élève M. rencontre-t-il des difficultés ?
  • Pose-t-il problème ?
  • Est-il bien intégré dans la classe ?
  • Le stage se passe-t-il bien ? Ou toute autre info que vous pourriez partager.

Il a aussi indiqué qu’il relaterait les faits auprès d’autres partenaires du lycée (infirmière, proviseur…).

Entre le moment des faits (début d’année scolaire) et février, l’enseignante n’a eu aucun retour du CPE qui devait recevoir l’élève M. et ensuite, les deux autres élèves sur la tricherie et la transaction financière des élèves.

Enquête n°4 (semaine du 11 novembre 2019) : questionnaire/enquête pour la Professeure Principale de l’élève M. 

  • Quand et comment as-tu appris le handicap de M. ?

Jai appris le handicap de M. en voyant arriver son AVS dans la classe au moment de la rentrée. Elle ma expliqué les problèmes rencontrés par M. dans sa relation aux autres et dans sa scolarité. M. est issu de 2nde Générale et je nai pas eu connaissance de son dossier scolaire auparavant.

  • Est-ce que d’autres personnes que l’enseignante d’Arts appliqués (enseignants ou élèves) t’ont fait part du fait que cet élève monnayait son travail ?

Cet événement ma effectivement été rapporté par l’enseignante. Il faut préciser que ce seraient les autres élèves qui auraient demandé à M. de faire leur travail moyennant rémunération et non pas M. qui leur aurait proposé.

Dans les autres matières, M. ne se distingue pas des autres élèves par des compétences plus développées ; Il est à noter quil a une certaine qualité rédactionnelle (même sil se disperse un peu) et a une bonne aisance à loral.

  • En as-tu parlé avec lui ou avec d’autres personnes (enseignants, famille, vie scolaire, élèves) ?

Non pas pour le moment. J’échange le plus souvent avec son AVS quand elle nest pas présente dans mes cours.

  • As-tu eu un retour des collègues ou de la vie scolaire (CPE…) à propos de cet élève ? Si oui, peux-tu faire un bilan : attitude, capacités/facilités, difficultés, résultats, intégration dans la classe 

M. est un élève plutôt bien intégré (même sil est souvent en compagnie de son AVS), il échange avec de nombreux élèves.

Au niveau de la vie scolaire, il a quelques absences et retards le plus souvent liés à des problèmes de transport ou convocations médicales.

Il sest présenté aux élections de délégués de classe, quil a brillamment remportées dailleurs grâce à une profession de foi qui a subjugué lensemble de ses camarades.

Certains de ses adversaires sont venus le féliciter au moment des résultats pour lui montrer leur fairplay. Par la suite il a été élu au CVL.

Il sest volontiers inscrit dans le projet théâtre que nous avons mis en place avec sa professeure de Français.

Aucun collègue de l’équipe pédagogique ne ma signalé de problème avec M.

  • Quel bilan peux-tu faire de cet élève dans ton cours : travail, attitude, résultats, facilités ou difficultés ?

Jai M. en gestion et en économie-droit; il présente certaines facilités de raisonnement en mathématiques et il sintéresse beaucoup à l’économie car il aime également la politique (attention à certaines prises de position « sans filtre » sur des sujets polémiques).

Bonne participation à loral.

Ses principales difficultés sont liées à son handicap: difficultés à sorganiser dans son travail (oubli fréquent de son matériel), difficultés à rester concentré sur un travail, gestion du temps.

  • Peux-tu faire un bilan de cet élève en stage ?

Le 1er stage se déroule au mieux pour le moment; M. a bénéficié dune dérogation pour faire son stage en province chez quelquun de son entourage qui connait bien sa situation.

  • As-tu rencontré la famille de cet élève ?

Jai rencontré le père de M. en octobre pour organiser sa scolarité.

Nous sommes en contacts réguliers par mail pour son suivi (ESS, aménagement d’épreuves…).

Au regard de cette enquête, la PP n’était pas non plus au courant du protocole. La seule information qu’elle a reçue du lycée concernant M. a été la présence de l’AESH dans son cours. Donc cela confirme que l’équipe pédagogique n’a reçu aucune information. La méconnaissance du dossier scolaire nous renseigne sur l’absence de communication.

5. Les ressources universitaires

La lecture des ressources universitaires nous a permis de préciser deux éléments importants de la situation problème : la question du travail personnel de l’élève et celle de la pratique de la triche dans le cadre d’une évaluation.

Le travail de Claude Bisson-Vaivre5https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/NT-le-travail-personnel-de-l-eleve-17545-13179.pdf sur le travail personnel de l’élève, publié par le réseau Canopé, définit  les notions de :

  • « travail scolaire », [c’est-à-dire] « celui qu’on demande à l’élève, apparaît [`…] comme la norme visible qui recouvre un ensemble de processus implicites (comprendre, organiser, mettre en relation, catégoriser, hiérarchiser, etc.) qui conditionnent l’entrée dans les apprentissages, mais qui sont rarement discutés ni travaillés en tant que tels. »
  • « Travail personnel : ensemble des processus mobilisés de façon autonome et personnelle par l’élève pour s’approprier les objets d’enseignement/apprentissage

Enjeux pour les élèves : devenir autonome et s’approprier des outils et des méthodes dans et pour chaque discipline. »

Ces deux notions et les enjeux qui en découlent nous permettent de préciser la place de M., Mo. et D. dans ce problème. Pour M., nous comprenons que l’AESH a pour mission d’aider l’élève à besoins particuliers pour accompagner et développer la dimension du « travail scolaire ». Or, en Arts appliqués l’AESH n’est pas présente. Cela pose question dans la mesure où, si M. a des qualités artistiques indéniables, l’enseignante a remarqué qu’il a en revanche, un réel besoin d’organiser sa pensée, son analyse, sa concentration, tout comme son espace de travail, afin d’acquérir et de structurer des méthodes de travail et de développer les compétences attendues dans cette matière comme dans les autres. L’absence de l’AESH nous laisse à penser que cet élève ne peut donc travailler ces deux types de notions « travail scolaire » et « travail personnel ».

Pour Mo. et D., la situation problème révèle qu’ils ne développent pas le « travail personnel » dans la mesure où ils n’ont pas essayé d’effectuer la tâche prescrite de manière autonome. Claude Bisson-Vaivre s’interroge également sur le fait de savoir s’il y a « travail ou engagement dans les apprentissages ? ». Il avance que, « à travers les préoccupations relatives au travail personnel de l’élève, c’est en fait l’engagement dans les apprentissages qui est interrogé. Plus que simplement s’assurer que l’élève en respectant les consignes et prescriptions des enseignants, travaille « pour l’institution », il s’agit de vérifier que, ce faisant, il travaille aussi et surtout pour lui.

Or, ainsi que le rappelait Philippe Perrenoud (1994), « travailler à l’école, c’est réaliser une activité qu’on a rarement choisie, qui n’est pas toujours intéressante et qui n’a aucune incidence directe en dehors de la satisfaction de bien faire ce qu’on nous a demandé ».

Ce constat pose la question de la motivation des élèves, qui est souvent brandie comme un concept trop vague et englobant, ne permettant pas d’agir réellement sur cet engagement dans les apprentissages. S’il s’agit de travailler sur la motivation individuelle, les éducateurs sont en effet largement impuissants à agir dans un domaine marqué par la subjectivité de l’élève et la singularité de son parcours personnel. »

Pour M. « le plaisir » (de dessiner) semble supérieur à « l’institution » (la commande de l’enseignante) et aux autres compétences à développer dans les Arts appliqués, tandis que Mo. et D., travaillent pour « l’institution », quitte à tricher pour faire illusion. Ils répondent à la commande mais ne travaillent pas les compétences. Cela prouve qu’ils ne développent pas le « travail personnel ».

Dans « L’art de tricher quand on est étudiant »6Vincent Troger, « L’art de tricher quand on est étudiant », in. Sciences Humaines, n°221, décembre 2010., Vincent Troger évoque les travaux de deux sociologues du Cren (Centre de recherche en éducation nantais), Pascal Guibert et Christophe Michaut, qui ont enquêté sur la fraude aux examens universitaires. De leur enquête, ressortent les principales fraudes suivantes : « récupérer le brouillon de son voisin », « utiliser des supports de cours non autorisés », « copier sur la feuille du voisin », « utiliser une antisèche », « demander la réponse à un autre étudiant » et «  donner la réponse à un autre étudiant »7Pascal Guibert et Christophe Michaut, « Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires », Revue française de pédagogie, n° 169, oct.-nov.-déc. 2009..

Nous pouvons remarquer que Mo. et D. ne rentrent pas vraiment dans ces catégories car, le travail demandé est graphique et ne se situe pas dans un cadre d’examen, mais d’un exercice d’application à l’intérieur d’un cours. De plus, ils ne recopient pas, ils font faire !

Néanmoins, Mo et D. trichent. Comme beaucoup d’autres élèves/étudiants, ils s’inscrivent dans une démarche admise, reconnue et pratiquée par de nombreux élèves, y compris les plus brillants :

« Au total, 70,5 % des étudiants avouent avoir triché au cours de leur scolarité, ce qui peut sembler beaucoup, mais ils sont seulement 11,4 % à l’avoir fait à l’université. Ils ne sont en outre que 10 % à le faire souvent, sauf pour demander ou donner une réponse à un voisin. […] La triche à l’université s’inscrit d’abord dans une habitude acquise au collège (48,3 %) ou au lycée (35,6 %). Tricher à l’université suppose aussi d’avoir expérimenté les points faibles de l’organisation des examens. […] En revanche, ni l’origine sociale ni le niveau n’ont d’influence sur la triche : les tricheurs appartiennent à toutes les catégories sociales, et les étudiants qui ont eu les meilleures mentions au bac trichent un petit peu plus que les autres. »8Pascal Guibert et Christophe Michaut, « Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires », Revue française de pédagogie, n° 169, oct.-nov.-déc. 2009.

Ce n’est pas le cas de M. C’est un tricheur « autiste ». Il a proposé ses services contre rémunération (très faible, équivalant à 1 ou 2 euros, ce qui est disproportionné par rapport au travail fourni).  Pour lui, se faire payer pour un travail scolaire n’est pas un problème. Au contraire, c’est plutôt un moyen comme un autre comme il l’a dit à l’enseignante « de se faire de l’argent de poche ». Il ne semble pas se rendre compte qu’il participe à la triche. C’est cette « anormalité » d’attitude, de réaction, qui a été révélatrice pour l’enseignante, du handicap (c’est l’expérience de l’enseignante qui a parlé).

6. Pistes de résolution de la situation

Proposition pédagogique / didactique :

L’enseignante propose qu’une autre fois, elle pourrait demander à M. d’aller au tableau et de faire l’exercice demandé pour le montrer à ses camarades. M. pourrait alors expliquer ce qu’il a compris de la consigne.

L’objectif de cette pratique serait ici d’impliquer davantage l’élève M. qui a tendance à d’abord faire ce qui lui plaît, dessiner, en omettant d’appliquer les consignes demandées. Il serait alors acteur de son apprentissage et vecteur de l’apprentissage. Cela valoriserait ses compétences.

Nous pourrions également imaginer une tâche dans laquelle M. aiderait ses camarades par des gestes de démonstration (début de croquis…). Pour les autres élèves, le message porté par un pair pourrait ainsi être plus accessible car verbalisé différemment.

Cependant, il faudrait veiller à ne pas finir la production, pour éviter de décourager les élèves, notamment les plus en difficulté, compte tenu de sa faculté à faire, ou de risquer un « simple recopiage » de ce que M. a fait.

Il nous paraît intéressant de s’interroger sur la didactique de la matière enseignée avec la mise en place de pédagogie différenciée, inversée, de projet… Par exemple, on pourrait se référer au livret des éditions CANOPE s’intitulant “Travailler autrement au lycée” – dossier professeur – (2ème édition corrigée). Le lycéen acteur de ses projets et de ses apprentissages.

Proposition de prise en compte de toutes les matières dans la communication :

La situation évoquée pose le problème aussi de la place des Arts appliqués au sein du lycée professionnel où l’enseignante ne voit les élèves qu’une heure par semaine.

En effet, il semblerait que l’ensemble de la communauté éducative ainsi que les élèves n’aient pas conscience de la multiplicité des compétences développées au sein de cette matière. Pour ces derniers, les Arts appliqués se résumeraient à dessiner.

Il aurait été donc nécessaire de provoquer une réunion de l’équipe pédagogique préalablement en début d’année scolaire, au cours de laquelle l’AESH aurait été présentée à l’ensemble de l’équipe. L’enseignante aurait eu connaissance des besoins spécifiques de cet élève. De ce fait, cette situation n’aurait peut-être pas été un problème, l’élève étant protégé et l’enseignante rassurée.

Face à cette difficulté, nous proposons également que soit mis en place un coordonnateur PIAL, membre de l’équipe pédagogique, recruté par le chef d’établissement9VADEMECUM – Le Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisé – PIAL, https://eduscol.education.fr/cid142655/pour-une-ecole-inclusive.html

Par ailleurs, il faudrait améliorer la liaison LG – LP lorsque l’élève passe d’un cursus à un autre. Si une réunion avait eu lieu, l’organisation pédagogique aurait été sans doute toute différente (en fonction des moyens alloués). En tout cas, chaque enseignant du LP aurait été au courant des difficultés de l’élève (rencontrées au LG) et de ses besoins ponctuels et il aurait été en mesure d’apporter l’aide nécessaire dans sa matière.

7. Prendre parti

Parti pris d’un co-rédacteur :

Co rédacteur de la situation problème, au départ celle-ci ne représentait pas à mes yeux une situation problème en soi. Me focalisant sur l’aspect strictement factuel, je me serais contenté de demander des explications sur l’échange, aurais fait part aux élèves de la classe, de la dimension « morale » qu’implique le fait de s’approprier et de rendre un travail en son nom sans en être l’auteur, de sanctionner en définitive les « tricheurs » et, aurais signalé l’incident auprès du PP et du CPE.

Une fois la rédaction du rapport d’incident terminé, j’en serais sans doute resté là. En revanche, apprendre par la suite que nous étions dans une situation d’inclusion m’aurait incité à être davantage attentif sur les rapports entre l’élève et ses camarades. D’autant plus, si l’AESH n’avait pas été présente dans mes cours.

 Parti pris collectif :

Nous souhaiterions savoir s’il existe au sein de l’établissement un enseignant référent comme le préconise le site « handicap.gouv ». Si ce n’était pas le cas, nous proposons la création de cette fonction, qui pourrait être rétribuée par une Indemnité pour mission particulière (IMP). L’enseignante d’Arts appliqués serait intéressée pour exercer cette mission.

Cette situation révèle également le problème du manque de communication entre l’équipe éducative (direction, équipe médico-sociale, CPE) et l’équipe pédagogique. Les enseignants n’ont effectivement reçu aucune information concernant la situation de cet élève autiste et des mesures pédagogiques à mettre en œuvre pour l’aider. L’enseignante d’Arts appliqués a dû faire les démarches seule pour obtenir quelques informations. Et la plupart de ses interlocuteurs (infirmière, AESH…) n’ont pas semblé constater un manque de communication. Se pose alors la question de la place de la pédagogie au sein de notre établissement lorsqu’est pensé l’accueil des élèves à besoins particuliers. 

Or, bien connaître les difficultés et les réactions d’un élève autiste permettrait à chaque enseignant de prendre des mesures adaptées et d’anticiper sur des situations-problèmes.

Parti pris de l’enseignante à l’initiative de la situation analysée :

Avec le recul, la situation évoquée a évolué par rapport à la prise de conscience de certains membres de l’équipe pédagogique qui, au conseil de classe semestriel (en janvier), n’étaient toujours pas au courant de la prise en charge de M. par une AESH. Selon l’enseignante, M. a progressé dans l’organisation du travail demandé avec l’aide de l’AESH présente « volontairement » au cours d’Arts appliqués (pas d’heures supplémentaires allouées à son service).

Ne pouvant être présente aux côtés de l’élève dans toutes les matières, se pose la question des critères retenus pour savoir dans quels cours celle-ci doit être présente.

Les investigations concernant Mo. et D. ne sont restées qu’au stade de la sanction sur l’exercice non réalisé (triche). Une réflexion didactique et pédagogique pourrait être portée sur le sens donné par ces élèves aux apprentissages en Arts appliqués (savoir réaliser la tâche du dessin). Il serait intéressant d’interroger Mo., D. et M. sur leur perception des Arts appliqués, des compétences à développer dans cette matière et d’évaluer les pré-acquis. Avec le recul, l’enseignante pense qu’elle aurait pu proposer une tâche plus adaptée à l’hétérogénéité de cette classe.

Reste également en suspens, toute la question de la place, du ressenti des autres élèves par rapport à M. L’enseignante pense que dans le dispositif de l’inclusion n’est pas pris assez en compte la place des élèves dits « normaux ». La tendance est de faire une normalité de la différence, mais justement n’y a-t-il pas un accompagnement des autres élèves à effectuer ?

La prise de parti de cette situation s’est tournée naturellement vers l’inclusion et la place des élèves à besoins particuliers dans un établissement scolaire. La triche a paru secondaire à l’enseignante impliquée bien qu’elle lui ait permis de remettre en cause la partie pédagogique et didactique d’un cours.

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