Refus d’activité pour raison religieuse

Résumé

Le récit et l’analyse de cette situation ont été produits par un groupe de 3 professeur.e.s-stagiaires (MEEF2 / Professeurs de lycée des voies technologique et professionnelle) en 2015-2016. Ils/elles ont été accompagné.e.s par un formateur/une formatrice en bénéficiant de ses remarques, questionnements et conseils. La production qui suit est une deuxième version, c’est à dire que les stagiaires ont effectué quelques remaniements à partir de remarques formulées par le formateur/ la formatrice sur la première version.

1. La situation

Cette situation se passe dans un lycée hôtelier qui peut accueillir une capacité de 1000 élèves et qui possède des règles strictes du fait de sa spécialité. Les élèves sont dans l’obligation de se vêtir chaque jour en professionnels de la restauration. Ils/elles portent donc un costume ou un tailleur dans les cours de chaque enseignement, et c’est pourquoi l’administration se retrouve chaque jour à la grille d’entrée du lycée pour vérifier les tenues des élèves. Les élèves qui ont travaux pratiques doivent tout de même se changer pour porter un costume plus réglementé (avec une cravate, des chaussures à talons pour les filles…) mais surtout identique. Cet établissement fait partie d’un milieu urbain défavorisé avec des élèves ayant souvent des situations précaires et provenant de cultures et traditions diverses. Une grande mixité se côtoie donc, avec des élèves de tous horizons, origines et religions. Les niveaux de classes accueillis dans ce lycée sont des CAP, BAC Professionnel, BAC Technologique, BTS et Licence.

Le professeur en charge dans cette situation est dans sa première année d’enseignement en tant que contractuel. Il est recruté sur CV et n’a donc jamais eu de formation qui peut lui permettre d’enseigner. C’est alors une nouvelle situation pour un nouvel enseignant qui change de repères ou encore d’environnement, et se retrouve donc seul à adapter sa pédagogie aux élèves. C’est un ancien professionnel ayant plusieurs expériences dans le domaine de l’hôtellerie restauration et notamment à l’étranger. C’est un professeur qui a en charge cinq classes de douze élèves.

La situation concerne une classe de première année de CAP de douze élèves, composée de trois filles et neuf garçons. Ce sont des élèves qui sont plutôt habitués aux coutumes du pays d’origine de leur famille, et moins à celles de la France. Effectivement, il est difficile pour nous en tant qu’enseignants de leur inculquer les fondements de la gastronomie française qui sont loin d’être acquis avant l’entrée au lycée hôtelier. C’est pourquoi il est parfois difficile pour eux de s’intéresser aux produits tels que le vin ou le fromage qui sont propres à la culture de notre pays.

L’élève concerné par cette situation est un adolescent au contexte familial particulièrement difficile. En effet, ses parents vivent dans leur pays d’origine, le Congo. Cet apprenant vit donc sous l’autorité de son frère, il n’a pas de papiers d’identité en règle et sa scolarité est nécessaire pour ne pas le faire expulser du territoire français. Cependant, malgré son obligation de scolarisation, c’est un élève très motivé, qui est arrivé au mois de janvier, c’est-à-dire au cours du deuxième trimestre. Il a choisi ce métier et ne subit pas sa formation comme un échec scolaire contrairement à certains élèves de cette filière. Il a un comportement courtois et souriant et prend plaisir à travailler en contact avec la clientèle. Il n’a aucune difficulté à effectuer les tâches qu’on lui demande. Il respecte les règles intérieures du lycée, et est notamment toujours en uniforme, ponctuel et assidu. Il est très discret et courtois, ne se fait pas remarquer et transmet sa motivation aux autres. Cet élève fait preuve de maturité et a un excellent relationnel général.

Au troisième trimestre de l’année, alors que le professeur connaît bien ses élèves et a une certaine complicité avec eux, il les accueille pour un cours d’atelier expérimental (AE), avec pour thème l’analyse sensorielle, juste après le déjeuner. L’atelier expérimental permet aux élèves d’apprendre ou d’approfondir une technique particulière, en l’occurrence l’analyse sensorielle du vin.

Ce cours devait se dérouler en salle d’œnologie ; cette pièce est dédiée à l’apprentissage de la science du vin car elle est conçue d’une façon particulière, avec un éclairage spécial. En effet, les élèves ont pour poste une sorte de box comprenant un évier (crachoir) et des étagères permettant d’y disposer les verres à dégustation. Cela ressemble à un laboratoire.

Le professeur avait informé ses élèves du thème de ce cours plusieurs semaines à l’avance. Il s’attendait cependant à une certaine réticence de la part de ses élèves car il avait appris qu’une de ses collègues qui partage cette classe avec lui en binôme avait rencontré des difficultés lors de son dernier service au restaurant pour l’élaboration d’assiettes de charcuterie. Certains élèves, dont l’élève en question, n’avaient pas appliqué les consignes et avaient fait preuve de dégoût envers les produits en refusant catégoriquement de les toucher. Cette collègue n’avait pu effectuer cette partie de son cours qu’avec 4 élèves de la classe. Elle s’était alors trouvée dans une situation délicate et confuse sans pouvoir apporter de solution.

Au début du cours sur l’analyse sensorielle, le professeur partait donc avec une appréhension certaine. Mais à sa grande surprise, tous les élèves étaient présents à ce cours, et ils ont découvert cette salle particulière avec curiosité. Une fois chacun installé, le professeur a donné les consignes en expliquant la séance et l’obligation de recracher le vin dans l’évier (puisqu’il est interdit de boire de l’alcool au lycée). Ils avaient donc trois bouteilles de vin à disposition et devaient se servir un échantillon de chaque bouteille. Le professeur les a guidés dans les différentes étapes de l’analyse sensorielle. C’est alors que l’élève s’est levé de sa place et a demandé à partir en prétextant de sa religion. On ressentait bien sa gêne de ne pas pouvoir exécuter cet atelier en raison de ses pratiques religieuses qui le lui interdisaient. Alors, plusieurs autres élèves ont invoqué le même problème et ont également souhaité partir. Le refus du premier élève n’est donc pas lié à sa motivation mais à ses convictions religieuses.

2. Les problèmes que cela pose

L’enseignant avait cadré son cours en pensant éviter tout problème de ce genre puisqu’il avait pris en considération l’incident survenu lors du cours de sa collègue. Il avait alors bien expliqué, en début de cours, l’obligation de recracher le vin puisque l’analyse sensorielle ne nécessite pas de boire le vin mais seulement de le faire passer dans la bouche pour en avoir tous les arômes. N’étant pas lui-même de confession musulmane et connaissant mal cette religion, il pensait que cela ne poserait pas de problèmes.

Le professeur a été déstabilisé et s’est demandé s’il devait interrompre son cours, ou le poursuivre avec une classe réduite, ou obliger les élèves récalcitrants à reprendre le cours. De plus, quelle devait être sa position ? Devait-il infliger une sanction ? Devait-il exclure de cours les élèves souhaitant partir ? Ou encore les obliger à assister au cours sans réaliser l’exercice ?

Devait-il prévenir et faire intervenir la direction ? Devait-il parler de religion avec les élèves ? Comment faire accepter la laïcité, tout en respectant les croyances de chacun ? Est-ce un droit de refuser une activité sous prétexte de sa religion dans une école laïque ? Devait-il en informer les parents par le biais du carnet de liaison ou en les convoquant ? Autant de questions que l’on peut se poser.

Ce problème peut également se poser avec d’autres religions, d’autres cultures, ou encore en lien avec des goûts personnels. Le refus peut avoir lieu dans ces différents cas. Doit-on réagir de la même manière dans ces cas-là ?

La conséquence que cela implique est qu’une partie du programme ne sera pas traitée pour certains élèves, et que l’élève ne sera donc pas préparé correctement aux examens finaux. Cependant, il est difficile voire impossible dans ce métier d’adapter les programmes scolaires en fonction des différentes cultures ou des religions. Le métier demande un apprentissage de la culture gastronomique française (inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2010). Ce programme implique donc forcément l’apprentissage des boissons alcoolisées ou encore de la viande de porc. Et on peut se demander comment ces élèves pourront commercialiser du vin dans leur future vie professionnelle sans connaître le produit ni s’y intéresser. C’est alors impossible de remplacer le vin par un autre produit car les accords mets et vins font partie intégrante du programme scolaire. Cependant, d’autres cours de dégustation porteront sur d’autres boissons alcoolisées ou non ou encore sur des produits comme le fromage. Mais cela ne remplace pas la dégustation de vin qui est un cours obligatoire du cursus.

On peut également se demander si, comme on aurait pu le penser, l’islam autorise d’avoir en bouche un vin sans l’ingérer. Il est difficile d’avoir une réponse claire car les textes du Coran nous disent : « Ô les croyants ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Écartez-vous-en, afin que vous réussissiez » [Le Coran, 5:90]. Le Coran interdirait donc la consommation de vin, et même de s’en approcher, de le sentir et peut-être même d’être dans la même pièce. Cependant, de nombreux débats existent sur le sujet, et certains affirment que l’islam interdit seulement l’ivresse et non pas l’alcool, et soutiennent qu’un verre est autorisé. Le texte des femmes (43) nous dit : « Ô vous qui croyez ! N’approchez pas de la prière, alors que vous êtes ivres — attendez de savoir ce que vous dites ! ». L’ivresse est donc impure pour un état de prière, et non pas la consommation d’un verre d’alcool. C’est donc un sujet et une question qui donne lieu à de multiples réponses et restera un éternel débat.

L’adolescent cherche par tous les moyens à entrer en rébellion contre l’autorité, représentée ici par le professeur. La religion est une raison sérieuse et complexe qui sert de prétexte à la confrontation. Toutefois, cette raison semble peu justifiable à ce moment précis de l’année (3ème trimestre), puisque le lien est bien établi entre les élèves et le professeur. Les limites du professeur étant testées en début d’année, les élèves ont alors moins besoin de provoquer une rébellion.

Malgré tout, c’est une situation que l’on risque de rencontrer dans notre futur métier aussi bien en enseignement qu’en entreprise. Faut-il alors intégrer les différences culturelles dans l’enseignement et comment ? La laïcité de l’école permet justement d’accepter toutes les religions et les différences culturelles et non pas de les renier. De plus le programme, même s’il est obligatoire, ne doit en aucun cas obliger un élève à transgresser ses convictions religieuses. Surtout que l’élève ne fera pas obligatoirement sa carrière dans un établissement de type « français », il aura le choix de suivre ses convictions religieuses dans son travail une fois sorti de l’école. Il pourra alors travailler dans des restaurants halal ou encore à l’étranger comme par exemple à Dubaï qui propose de la restauration de luxe adaptée aux coutumes locales. C’est pourquoi un respect des croyances et de la liberté de conscience doit être appliqué par l’enseignant et par les élèves.

Pourtant, même si le but de la laïcité est d’accepter toutes les religions, elles sont censées être mises de côté au moment où l’on entre dans un établissement scolaire, afin de ne pas faire de différences entre les élèves. C’est dans ce but d’ailleurs que les signes distinctifs religieux sont interdits dans les établissements scolaires.

De plus, si le référentiel ne peut pas être adapté du fait des exigences du métier de connaître les différents produits à base d’alcool, et si l’élève n’est pas obligé de transgresser ses convictions mais que l’on doit au contraire les accepter du fait de la laïcité, nous pouvons nous demander si l’élève est à sa place dans une telle formation.

Mais ce serait on ne peut plus injuste de ne pas accepter un élève du fait de sa religion, mais également anti-pédagogique et surtout impossible d’un point de vue éthique. Puisque l’Éducation nationale prône l’égalité des chances, ce n’est donc pas envisageable. C’est pourquoi on les informe sur les obligations que comporte leur formation notamment concernant la manipulation d’alcool et de viande de porc.

Il n’existe pas de solution idéale à ce problème et nous n’avons que des compromis à proposer. Soit l’élève part avec un handicap pour l’examen puisqu’il ne déguste pas de boissons alcoolisées, soit l’élève se plie au règlement scolaire en mettant sa religion de côté du fait de son entrée dans l’établissement.

3. Dimension réglementaire

Comme nous avons pu le constater ci-dessus, cela risque de mettre en difficulté l’élève puisque le texte du référentiel du CAP impose une épreuve d’analyse sensorielle du vin lors de l’examen final. Si l’élève n’est pas en mesure d’effectuer cette épreuve, il se met en danger en perdant des points pour l’obtention de son diplôme.

De plus, les textes de loi indiquent que l’école est laïque. Effectivement, un texte du Code de l’éducation a été rédigé dans ce but ainsi qu’une Charte de la laïcité. L’article III de la charte de la laïcité indique que : « La laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public ». C’est pourquoi on peut dire que l’élève est libre de ses croyances et de ses convictions.

Cependant, l’article XII de cette même Charte nous révèle que « Les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».

Le texte impose donc à l’élève de se plier au programme et surtout aux enseignements que le professeur lui inculque. Cela concerne également le référentiel du CAP et la présence de l’analyse sensorielle du vin ou de toute autre boisson alcoolisée.

Le règlement intérieur des lycées atteste obligatoirement de cette laïcité. De plus, celui du lycée en question exige des élèves de participer à toutes les activités éducatives : « C’est une obligation pour chaque élève de participer à toutes les activités correspondant à sa scolarité et d’accomplir toutes les tâches qui en découlent. L’assistance aux cours relève de la responsabilité des parents autant que de celle de l’élève ».

La Charte de la laïcité est donc un texte de référence qui apporte une solution pour éviter une réaction arbitraire. De même, le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation impose aux professeurs de prendre en compte la diversité des élèves mais surtout de « faire partager les valeurs de la République », notamment la laïcité.

4. Ce qu’en disent des collègues

Le sujet fait réagir les collègues autour de nous. En règle générale, nos collègues, qu’ils soient de la restauration ou d’un tout autre domaine (professeurs de lettres-histoire, d’arts appliqués ou encore de mathématiques), sont révoltés par le fait qu’un élève refuse d’assister à un cours pour raison religieuse, dans le sens où un lycée hôtelier en France se doit de transmettre la gastronomie française et tout ce que cela implique, y compris les connaissances en vin.

Nous avons eu un débat tous ensemble et bien évidemment beaucoup se reposent sur les programmes et obligations de faire respecter la laïcité, d’autres proposent d’adapter leur enseignement au cas par cas.

En échangeant sur ce sujet avec des collègues de restauration (de salle ou de cuisine), on se rend vite compte que ce problème est récurrent, chaque professeur étant confronté à ce problème au moins une fois par an à plus ou moins grande échelle. Bien sûr, le fait qu’un élève sorte du cours de dégustation est très déstabilisant pour le professeur, mais heureusement cela reste assez peu courant. Toutefois, très souvent, les élèves refusent de participer au cours tout en restant dans la salle. Chaque professeur a alors sa propre stratégie :

  • Un collègue m’a répondu « Mais il en est hors de question ! » et m’a expliqué qu’il se référait aux textes et notamment au référentiel, au règlement intérieur et à la Charte de la laïcité. Il oblige donc les élèves à participer à son cours sous peine de sanction telle qu’un zéro dans la moyenne pour non-exécution du cours.
  • Plusieurs de mes collègues, de leur côté, privilégient le dialogue, notamment avant le cours. Expliquer tous les enjeux aux élèves, dire à quoi sert cette séance, pour leur vie professionnelle et pour l’obtention de leur diplôme, et ce qui va se passer s’ils ne le font pas (perte de points aux contrôles et à l’examen). Proposer aux élèves de suivre le cours théorique et d’exécuter les étapes qui ne les mettent pas mal à l’aise, et leur dire qu’ils peuvent se mettre en retrait dès qu’ils le souhaitent. Leur expliquer qu’il faut tout de même qu’ils suivent le cours pour en connaître les contenus et les termes professionnels.
  • Deux de nos collègues m’ont répondu pour leur part : « Oh ben, c’est pas grave, tant pis pour lui ». Ils ont alors expliqué que, n’ayant pas envie de se confronter avec les questions de religion, ils préféraient ne pas entrer en conflit et laisser le libre choix aux élèves.

5. Des ressources universitaires

Il nous a été particulièrement difficile de trouver des ressources universitaires ayant trait à ce sujet. Effectivement, beaucoup de textes scientifiques traitent de la laïcité à l’école mais aucun d’un refus d’activité du fait de ses convictions religieuses. Un texte de la Revue des sciences de l’éducation intitulé : « La prise en compte de la diversité culturelle et religieuse dans les normes et pratiques de gestion des établissements scolaires »1Mc Andrew, M., Jacquet, M. & Ciceri, C. (1997). La prise en compte de la diversité culturelle et religieuse dans les normes et pratiques de gestion des établissements scolaires : une étude exploratoire dans cinq provinces canadiennes. Revue des sciences de l’éducation, 23 (1), 209–232. https://doi.org/10.7202/031914ar nous fait part d’une étude exploratoire menée au Canada, dans les cinq provinces.

Les auteurs expliquent que « la question fondamentale posée aux institutions et aux intervenants [dans l’éducation] est (…) la suivante : comment, et jusqu’à quel point, s’ajuster à certaines demandes d’adaptation religieuse ou culturelle sans porter préjudice à leur code d’éthique [et] à l’efficacité de leurs interventions ? » (p. 211).

Effectivement, on peut se demander comment adapter le cours de l’analyse sensorielle du vin. Serait-ce sans vin à déguster, pour ne pas heurter les convictions religieuses des uns et des autres ? Mais alors quel serait l’intérêt de faire ce cours ? Et est-ce qu’il serait aussi efficace ? La réponse est assez intuitive. Jusqu’à quel point faut-il alors adapter l’enseignement ? C’est la question que se posent les chercheurs au Canada.

Le résultat de leur sondage montre que, concernant la diversité culturelle, les cinq provinces du Canada souhaitent une « ouverture à la diversité avec un ajustement sur certaines règles » (p. 219), comme l’adaptation des programmes scolaires notamment pour les cours d’éducation sexuelle ou encore l’autorisation du port du voile au niveau des normes vestimentaires.

Les chercheurs en déduisent qu’avant de se demander « qui s’adapte à qui », il est nécessaire, lors de la formation des professeurs, de leur faire prendre conscience des rapports entre citoyens qu’ils doivent avoir lors des interventions. Et également que « la professionnalisation passant par la responsabilisation, une telle démarche renvoie l’intervenant à son rôle actif dans la résolution d’une série de défis complexes dont aucune instance gouvernementale ne contrôle l’ensemble des tenants et aboutissants dans une société démocratique » (p. 227). Les analyses de pratiques avec une réflexion critique des collègues ou d’eux-mêmes sur leurs pratiques ou les études de cas proposées permettent de répondre plus facilement à chaque cas particulier.

Justement, une étude de cas d’atteinte à la laïcité à l’école, grâce à son corrigé2Cf. Auduc, J.-L. (2014), Faire partager les valeurs de la République, Hachette Supérieur. Cf. aussi https://vocationenseignant.fr/atteintes-a-la-laicite-comment-reagir/., nous donne aussi des pistes de solutions. Le cas nous présente : « Quatre garçons de la classe refusent lors d’une sortie scolaire de visiter une cathédrale au prétexte que c’est un lieu de culte qui ne les concerne pas ».

Les pistes de solutions nous donnent tout d’abord les obligations auxquelles se référer : « Les convictions religieuses ne sauraient être opposées à l’obligation d’assiduité ni aux modalités d’un examen. Les élèves doivent assister à l’ensemble des cours inscrits à leur emploi du temps sans pouvoir refuser les matières qui leur paraîtraient contraires à leurs convictions. C’est une obligation légale ». Ce qui s’applique ici à notre cas précis.

Également : « L’inclusion de ces visites à l’enseignement qu’ils [les enseignants] dispensent les rend obligatoires, obligation qui garantit l’égalité de traitement des élèves». Ce qui est tout aussi valable pour l’enseignement du vin qui est partie intégrante du référentiel.

Le site la revue des vins de France (larvf.com) nous propose un article de Denis Saverot, avec un sujet ayant trait à notre sujet : « Éducation et vin : peut-on devenir sommelier sans goûter le vin ? »3Cf. https://www.larvf.com/,formation-sommellerie-education-ethique-religion,13181,4242368.asp.

En effet, l’article nous dit que « De plus en plus souvent, les professeurs de sommellerie doivent en effet gérer de délicats problèmes d’éthique ». Puisque, comme en baccalauréat professionnel, le candidat en « mention complémentaire Sommellerie » doit passer une épreuve d’analyse de vin.  L’article se demande donc : « Mais que faire avec les jeunes gens d’origine musulmane, qui ne souhaitent pas boire d’alcool ? ». Des réponses sont tentées par des professionnels de l’éducation, je cite :

« « Ils peuvent mettre en bouche et recracher », hasarde un professeur qui ne souhaite pas être cité. « On peut sentir le vin ; goûter le vin ne veut pas forcément dire le boire », tente l’inspecteur général Jean-Marie Panazol. « On intègre la sommellerie par passion, un jeune issu d’une famille très religieuse ne viendra pas chez nous », tempère pour sa part Pierre Batt, professeur au lycée hôtelier d’Illkirch, en Alsace, qui reçoit chaque année entre 30 et 50 dossiers d’inscription pour 15 places. « Je n’ai aucun musulman parmi mes élèves », confirme un professeur de la MC Sommellerie de Poitiers » ».

En bac pro restaurant, la question se pose aussi : « « Nous avons actuellement en bac pro restauration un jeune homme, Yassin, qui est le plus calé de sa section sur les appellations et la géographie du vin, ce qui est remarquable car il refuse d’en boire ! »,raconte Emmanuel Gerber, professeur au lycée Storck de Guebwiller, en Alsace. Un cas de figure de plus en plus fréquent dans la filière hôtellerie restauration. « Un jeune musulman voulait se lancer dans la filière boucherie-charcuterie, mais il refusait de manger du porc. Je lui ai conseillé de changer pour la pâtisserie », se souvient Ginette Kirchmeyer, inspectrice de l’Éducation nationale en Alsace » ».

L’article nous dit donc que les enseignants font face à ce type de refus quotidiennement, et pas seulement par des musulmans. Les débats dans les lycées hôteliers sont de plus en plus nombreux.

Et Jean Marie Panazol (Inspecteur général) résume donc ce sujet à la fin de l’article en nous disant que : « Nous garantissons la dimension nationale de nos formations en précisant que nul ne peut se soustraire aux règles définies. Nous veillons aussi à mettre en garde les jeunes sur certains de leurs choix qui peuvent avoir des conséquences en termes d’emploi voire d’intégration culturelle. Maintenant, nous sommes aussi là pour essayer de trouver des solutions et personne, en France, ne peut être obligé à boire de l’alcool… ».

6. Pistes de résolution de la situation

C’est un cas qui est difficilement solutionnable. Voici tout de même des pistes qui pourraient améliorer la situation et pourquoi pas à terme la résoudre suivant la réaction des élèves : 

  • Faire appel à une institution religieuse afin d’éclaircir certains points comme ceux concernant l’alcool ou la manipulation de viande de porc. Cependant, ce n’est pas forcément adapté à la laïcité des établissements scolaires. Et comme vu précédemment, il existe de nombreuses interprétations des textes religieux, ce qui n’aidera probablement pas l’élève à se positionner.
  • Communiquer et dialoguer auparavant permet de donner une explication au cours précédent ou en début de cours. Détailler les enjeux au lycée : s’ils ne participent pas à l’exercice, ils se mettent en difficultés pour une épreuve de l’examen final. Le but étant de les responsabiliser et de leur laisser le libre choix en toute connaissance de cause. Leur laisser la possibilité de se mettre en retrait tout en assistant au cours. Le professeur se doit d’avoir un esprit ouvert et tolérant ce qui rejoint la Charte de la laïcité.
  • Alerter sa hiérarchie pour trouver des solutions et mener des actions conjointes. Comme par exemple mieux prévenir les élèves aux portes ouvertes, aux réunions de rentrées… ou encore faire intervenir le Chef de travaux afin qu’il réexplique aux élèves leurs obligations signées au travers du règlement intérieur et la laïcité.
  • Informer la famille de l’importance des traditions françaises pour réussir cette formation et du fait que l’élève sera amené à utiliser ces savoirs pour une meilleure évolution de carrière. Parfois, les parents d’élèves donnent une importance plus grande que leurs propres enfants à l’intégration dans la culture française et peuvent ainsi appuyer nos propos.

7. Prendre parti

Si cette situation devait se produire à l’un de mes cours, je proposerais aux élèves qui ne souhaitent pas faire cet exercice de rester en retrait afin de suivre le cours bien que n’y participant pas. Cela leur permettrait de se familiariser avec le vocabulaire et de connaître les étapes à suivre pour la bonne réussite de cette épreuve. Le fait que d’autres élèves donnent l’exemple et se prêtent au jeu susciterait peut-être l’envie pour certains d’essayer et par conséquent de faire cet exercice. Miser sur l’effet de groupe peut donc être une solution. Cependant, cela peut avoir l’effet inverse, c’est-à-dire que les autres élèves refusent l’activité par solidarité envers leur camarade.

À la fin du cours, il serait intéressant de discuter avec ces élèves pour mieux comprendre leur refus. Leur proposer avec tact de déguster en recrachant le vin peut les convaincre. Également, on peut s’appuyer sur les textes de la Charte de la laïcité et du règlement intérieur, mais aussi leur expliquer l’importance de l’examen final.

Même si la Charte de la laïcité impose qu’en aucun cas un élève ne peut « invoquer ses convictions religieuses pour contester un enseignement », il parait difficile que, lorsqu’il refuse, on l’oblige à renier ses convictions pour un apprentissage. C’est donc un cas complexe qui possède du fait de la loi une solution claire : l’élève ne peut contester un enseignement – mais qui, dans la pratique, doit être très difficile à mettre en place.

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