Résumé
Une élève de 1re s’entretient avec sa professeure principale (PP) dans le souhait de changer de spécialité en cours d’année ou pour l’année de terminale. La professeure mène des démarches auprès de l’élève, des parents et des collègues afin d’étudier ce cas, mais se heurte au refus du chef d’établissement. Se pose alors la question de la décision unilatérale du chef d’établissement et de la mise en œuvre de la réforme et du changement de spécialité.
1. La situation
Dans un lycée général et technologique hétérogène de centre-ville, une professeure d’EPS, professeure principale d’une 1re générale, parle du parcours d’une élève qu’elle a eu en 1re. Cette élève a eu un parcours de collège classique au niveau des notes, mais a rencontré des problématiques de harcèlement. Elle effectue sa 2de GT avec des phobies scolaires liées à une certaine pression des résultats. Elle demande une 1re GT mais se refuse, par manque de confiance en soi, à prendre la spécialité physique-chimie. Elle choisit donc Maths, SES et HGGSP.
En 1re, tout allait bien jusqu’au jour où le père tombe gravement malade, ce qui amène l’élève à vouloir changer de spécialité pour prendre physique-chimie en terminale.
La professeure principale est la première personne mise au courant de son souhait de changement de spécialité, pour faire une première année de santé dans le supérieur : une 1re année de PASS. En tant que professeure principale, elle organise des entretiens et accompagne l’élève sur la plateforme Horizon21. L’élève participe aux différents dispositifs du lycée en lien avec le parcours avenir (témoignages, JPO, visite d’écoles supérieures). Elle fixe un rendez-vous avec une collègue de physique-chimie afin de recueillir son avis. La mère a rencontré la professeure de physique-chimie, qui était d’accord pour le changement de spécialité au début, mais qui a changé d’avis au fil du temps. L’élève s’engage à réviser pendant l’été avec l’aide d’une très bonne élève, et de prendre des cours particuliers. Au milieu du deuxième trimestre, le chef d’établissement rencontre la mère et l’élève et refuse catégoriquement (« ce n’est pas possible ») le changement de spécialité. Cependant, il propose à l’élève de redoubler avec les nouvelles spécialités. La jeune décide alors de poursuivre en terminale avec les spécialités Mathématiques et SES. En parallèle, pour une autre élève, le chef d’établissement accepte un changement de spécialité d’ Arts plastiques à SES. Aujourd’hui, l’élève en question à 14 de moyenne en classe de terminale.
2. Les questions que pose la situation
Suite à l’exposé de cette situation, voici les questions qui émergent :
– Qu’aurait pu faire l’enseignante pour convaincre son chef d’établissement ?
– Y-a-t-il eu concertation entre tous les acteurs ?
– La réforme du bac permet-elle vraiment une orientation choisie ?
– Quelle place laisse-t-on à l’erreur et à la deuxième chance ?
– Quelles répercussions cela peut-il avoir sur l’élève et sa scolarité ?
– La lutte contre le décrochage scolaire est-elle prégnante dans le projet d’établissement ?
– Quelles sont les raisons du refus du chef d’établissement ?
Un des problèmes principaux dans cette situation est la décision unilatérale du chef d’établissement de refuser le passage en terminale avec le changement de spécialité suite à l’entretien avec la famille et l’élève, et ce, sans avoir échangé avec la professeure principale et l’équipe éducative sur la question. Un des écueils est la place décisionnelle du chef d’établissement et les recours possibles, ainsi que les relations entre lui et les enseignants. De plus, théoriquement , la réforme du baccalauréat doit permettre aux élèves d’avoir une orientation choisie, permettant de faire des choix de spécialités correspondant à leurs appétences mais aussi en fonction des études supérieures envisagées. Cependant, sa mise en œuvre effective dépend aussi de la réalité du terrain et de la particularité de chaque contexte.
Ainsi, au vu de son jeune âge et ici de l’impact qu’a pu avoir un événement familial, il est normal que l’élève puisse s’être trompée ou vouloir changer d’orientation au cours de son cursus. La question du ressenti de l’élève après cette décision est aussi à prendre en compte, sachant les efforts nécessaires pour préparer un éventuel changement de spécialité en mettant toutes les chances de son côté. Cela interroge sur la suite de sa scolarité et sa motivation au vu d’un parcours scolaire déjà compliqué. Cette “expérience scolaire négative” aurait pu déclencher chez l’élève du décrochage scolaire lourd, allant jusqu’à une déscolarisation. Il est évident que l’accompagnement et le soutien de sa mère a été déterminant au cours de son année de terminale. Nous pouvons alors nous questionner sur la place de la politique de lutte contre le décrochage scolaire dans cet établissement. L’élève était-elle repérée lors des GPDS quand elle était en 1re ? Un accompagnement personnalisé s’est-il construit ? etc.
En effet, « l’orientation contrainte semble être un facteur de décrochage scolaire. À partir d’un échantillon de près de 3 000 jeunes repérés en décrochage par le SIEI, Bernard et Michaut (à paraître) montrent que 30 % d’entre eux n’ont pas pu obtenir la formation qu’ils souhaitaient suivre. »
1Cnesco. Comment agir plus efficacement face au décrochage scolaire ? Dossier de synthèse. Paris : Conseil national d’évaluation du système scolaire, 2017.
Les chefs d’établissements (CE) sont les premiers pilotes de leur politique d’orientation. Ce sont eux effectivement qui ont le « dernier mot » pour le changement de spécialités et la mise en place de stages passerelles. Les raisons de refus peuvent être multiples. La justification du chef d’établissement en question semble entendable puisqu’il argumente un nombre de places limité dans la spécialité. Le CE n’a pas voulu mettre en difficulté les enseignants du point de vue de la gestion de classe. Dans le même temps, il évite l’ouverture d’une brèche qui aurait pu engendrer d’autres demandes de changement de spécialités. Nous pouvons ainsi faire l’hypothèse qu’il s’évite ainsi une sortie de sa zone de confort. La deuxième hypothèse serait celle-ci : dans un souci de ne pas mettre en difficulté l’enseignant de physique-chimie, et au regard du bulletin et des moyennes de l’élève, le CE a « prédit »un échec de l’élève dans cette spécialité et au baccalauréat en général. Notre troisième et dernière hypothèse serait le côté « élitiste » de l’enseignement de spécialité, qui écarte de facto certaines catégories d’élèves (moyenne basse, absentéistes perlées, etc.)
Nous pouvons voir dans cette situation que le choix, l’envie de l’élève, n’a pas été pris en compte. L’école n’a pas fait « confiance » à la motivation de l’élève de vouloir rattraper son retard pendant les vacances. Prenons enfin la définition de la bienveillance de Marsollier (2018) : « Plus spécifiquement dans le contexte scolaire, elle devient une attitude pour soutenir les élèves tant dans leurs apprentissages académiques que dans leurs compétences transversales en contribuant de manière générale à leur bien-être et à leur réussite. » 2Jellab A. et Marsollier C. Bienveillance et bien-être à l’école, Pour une école humaine et exigeante. Les indispensables, édition Berger Levrault, 2018.
La bienveillance est-elle visible dans cette situation ? Cette question est d’autant plus importante que la bienveillance s’inscrit désormais dans les programmes de l’Éducation nationale.
De plus, la décision du CE peut aussi poser la question de la sécurisation du parcours scolaire. A-t-il refusé ce changement de spécialité avec l’idée que l’élève allait échouer ? Cela met en avant l’idée selon laquelle le CE ou certains enseignants ont une vision préconçue de l’élève, où ils s’adjugent le droit de décider et de dire si l’élève est en mesure de réussir ou non, au vu de la connaissance qu’ils ont de l’élève. Cependant, qu’en est-il de la connaissance de cette élève ? De par son parcours compliqué, est-on en droit de dire qu’elle n’avait pas les moyens d’accéder à cette spécialité ? Sa situation très personnelle n’était-elle pas un levier de motivation fort ? Chaque élève est capable de se révéler, d’évoluer et a besoin aussi de soutien, de croire en lui et de favoriser son ambition scolaire.
3. Dimension réglementaire
Lorsqu’une situation semble conflictuelle ou problématique, il est important de se rappeler que des textes de lois, des règlements, des référentiels existent afin de nous guider dans notre pratique. Dans un premier temps il faut replacer le parcours d’orientation dans le code de l’Éducation : l’Article D331-23 [Version en vigueur depuis le 24 mars 2019, modifié par Décret n°2019-218 du 21 mars 2019 – art. 3] dit : « L’orientation est le résultat du processus continu d’élaboration et de réalisation du projet personnel de formation et d’insertion sociale et professionnelle que l’élève de collège, puis de lycée, mène en fonction de ses aspirations et de ses capacités. La participation de l’élève garantit le caractère personnel de son projet ».
Dans notre situation, il est important de rappeler quelles sont les démarches afin de demander un changement de spécialité. Tout d’abord, la famille doit faire une demande écrite au chef d’établissement qui a un mois pour répondre, décision prise après avis de l’équipe pédagogique. En effet, sur le site du service public, il est indiqué que tout changement de spécialité doit être discuté avec l’équipe pédagogique, en particulier le professeur principal et le psychologue de l’Éducation nationale. Les critères pris en considération sont le projet d’orientation, le niveau scolaire et le nombre de places disponibles. Afin d’accompagner l’élève à ce changement de voie, l’établissement accompagne l’élève, et le chef d’établissement peut proposer un stage passerelle pendant les vacances scolaires ou en cours d’année : il sera ainsi possible pendant ce stage d’intégrer une classe de la voie envisagée. Le contenu, la durée et la forme du stage sont à élaborer avec l’équipe éducative et le psychologue de l’Éducation nationale.
Cette demande de stage passerelle ou de remise à niveau peut ainsi permettre d’éviter le redoublement, comme le confirme l’article 6 de l’arrêté du 16 juillet 2018 relatif à l’organisation et aux volumes horaires des enseignements de cycle terminal.
Quant à la décision du changement ou non de spécialité, l’article D331-29 du code de l’Éducation mentionne que le chef d’établissement a un délai d’un mois suite à la demande pour prononcer sa décision.
L’ensemble de ce cadre permet de situer les actions de la famille ainsi que des acteurs de l’établissement concernant notre situation.
4. Ce qu’en disent des collègues
Après avoir consulté des collègues d’autres lycées, voici quelques éléments de réponses concernant leur opinion sur la situation.
Premièrement, un proviseur interrogé dit qu’il aurait laissé sa chance à l’élève, en lui proposant un accompagnement tout au long de la fin d’année de 1re, ainsi que durant le premier trimestre de terminale, afin de mettre toutes les chances de son côté.
Certains enseignants, eux, prennent le parti de faire confiance à l’élève, qui semble motivée dans son choix, et donc de l’accompagner en lui proposant différents soutiens, comme faire un stage passerelle ou d’avoir un tutorat enseignant permettant de prendre des cours de physique-chimie.
D’autres semblent réticents quant au changement de spécialité de l’élève en raison du timing tardif de la demande, qui ne laisse que peu de temps pour anticiper ce changement et arriver dans de bonnes conditions en terminale. De plus, le profil de l’élève, son niveau et son passé scolaire semblent un frein dans l’optique de changer de spécialité de cette manière. En effet, l’ajout d’un poids supplémentaire est pris en compte.
D’autres encore remettent en cause le profil de l’élève, tant sur le plan du niveau scolaire que sur le plan psychologique. Il est même apparu des prédictions d’avenir en terme d’échec de cette élève au vu de son projet d’orientation.
En outre, le choix de faire des études de santé reste un enjeu important dans l’opinion de certains. Si l’objectif est d’aller en PACES, des réticences apparaissent quant au niveau général de l’élève et au retard causé par le mauvais choix de spécialité initial pour la filière, avec ce revirement d’orientation tardif. Cependant, le fait de garder les spécialités actuelles (sans physique-chimie) et de ne pas redoubler peut être envisagé dans un désir d’aller en LAS, en IFSI ou dans tout autre voie paramédicale.
Pour finir, envisager un changement d’établissement est une option évoquée. De plus, certains se posaient la question de la légalité du changement de spécialité.
5. Les ressources universitaires
Une première prise de parti au regard de la situation de cette élève, des textes et des documents référencés, serait de soutenir le projet de l’élève qui apparaît légitime et mûrement réfléchi. Le côté paternaliste et fermé du proviseur (ancien professeur de maths) enferme l’élève dans l’idée d’un échec : on ne lui permet aucune prise de risque. Elle aurait pu démarrer un premier trimestre en terminale avec la physique et éventuellement faire marche arrière en cas de difficulté. Sachant que cette élève a aujourd’hui, au deuxième trimestre de terminale, une moyenne générale de 16/20, le droit à l’erreur en 1re peut être questionné ! La mère a abandonné face à ce mur. Dans la revue Administration & Éducation de 2018, Jean-Marc Huart, Marie-Pierre Luigi affirment que le lycée est un parcours dans lequel l’élève à la liberté de s’orienter pour son avenir post-bac. 3Huart J-M. et Luigi M-P. Le baccalauréat général et technologique et le lycée de demain : vers plus d’égalité et de liberté. Administration & Éducation 2018/4 N°160, p 19 à 22.Une concertation en conseil de classe de l’ensemble des professeurs aurait été une première étape, car il y a un échec de la demande de l’élève et de sa mère, qui peut nuire à son projet Parcoursup.
Dans le paragraphe suivant, Jellab A. explique : « En effet, aux variables sociologiques classiques telles que l’origine sociale, le niveau d’études des parents, les différents capitaux dont ceux-ci disposent – le capital culturel et le capital social étant des plus déterminants – se conjuguent des variables bien plus subtiles, agissant de manière plus discrète telles que le contexte de scolarisation, la qualité des interactions et des échanges entre les parents et les enseignants, l’exigence scolaire et les encouragements dont les élèves bénéficient plus ou moins, le suivi assuré par la communauté éducative, l’attention apportée ou non à chaque élève lors des conseils de classe, la nature des relations construites entre les moments de transition (par exemple entre le collège et le lycée…), etc. »4 Jellab A. L’orientation scolaire en France ou de la distillation fractionnée, des inégalités modulées par l’organisation du système éducatif et par des effets de contexte. Administration & Éducation 2021/3 N°171, p 35 à 44. Bref, ce sont finalement ces variables, sur fond de micro-décisions opérées dès le choix de l’école primaire, puis des langues en collège par exemple, qui façonnent le rapport à l’avenir et l’expression des choix d’orientation. Nous sommes effectivement dans une situation où la micro-décision de chef d’établissement du refus de changer de spécialité peut avoir un impact macro cette fois-ci, sur la suite du parcours de l’élève. A court terme, cette micro-décision aurait pu entraîner un décrochage scolaire, voire une déscolarisation. A moyen terme, cette dernière engendrera certainement un Parcoursup différent de celui imaginé et choisi par l’élève.
Le décrochage scolaire et le parcours d’orientation : en 2023, il existe 95 structures de retour à l’école accueillant près de 3300 jeunes déscolarisés au niveau national. Dans l’article écrit par Biljana Stevanovic en 2018 dans Les Sciences de l’éducation, on peut lire ceci : « D’après une enquête auprès de 186 jeunes décrochés inscrits dans les micro-lycées et les Missions Locales, 79 % ont déclaré qu’ils ont eu le sentiment d’avoir été mal conseillés au moment de leur choix d’orientation en 3e et 59 % d’avoir subi leur orientation. » 5Stevanovic B. Rapport au savoir et à l’orientation des élèves scolarisés dans un dispositif de la Mission de Lutte Contre le Décrochage Scolaire. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle 2018/3 (Vol. 51), p. 79 à 99.
Bernard P-Y. définit ainsi le décrochage scolaire : « Nous pouvons conclure que le décrochage se situe entre 15 ans et 17 ans et se caractérise par un cumul de facteurs de risque liés aux indicateurs personnels, familiaux et scolaires. Le décrochage ne constitue pas un phénomène soudain et brutal, mais c’est plutôt un processus long qui trouve son origine à un très jeune âge et dont les premiers signes se manifestent souvent tôt dans la scolarité. » 6Bernard P-Y. (2011). Le décrochage scolaire. Que sais-je ?
Dans la situation étudiée, les facteurs de risques familiaux et personnels étaient présents sans être forts. En effet le contexte familial a fait diminuer son estime de soi et a engendré de l’auto-censure dans le choix des spécialités. Néanmoins, l’accompagnement de la mère a été assez bienveillant et valorisant. Par contre, la mauvaise expérience scolaire de refus de changement de spécialité aurait pu être le déclencheur d’un décrochage scolaire, voire d’une déscolarisation. Se pose alors la question suivante, concernant la politique éducative d’un établissement : choisir la sécurisation du parcours de chaque élève ou sécuriser la pérennité des filières au détriment de quelques parcours d’élèves ?
Dans son livre Négociations et conflits dans le processus d’orientation des élèves de l’enseignement secondaire (1994), Philippe Masson tente d’analyser les différentes négociations et conflits qui peuvent intervenir lors du processus d’orientation, notamment en analysant le déroulement des conseils de classe et le rôle de chaque acteur. 7Masson P. (1994). Négociations et conflits dans le processus d’orientation des élèves de l’enseignement secondaire. Il met en exergue le rôle du chef d’établissement qui est un décisionnaire important, et une autonomie professionnelle plus grande par rapport aux enseignants et aux parents. En effet, celui-ci peut rencontrer des parents et des élèves suite à un conseil de classe dont la teneur des échanges ne sera pas forcément mise à la connaissance des enseignants. Certaines questions comme le redoublement et les directives académiques auxquels ils sont soumis restent opaques pour le reste de la communauté éducative. Le chef d’établissement est donc le dernier décisionnaire en matière d’orientation et peut imposer son choix et sa décision, comme on peut le voir dans notre situation initiale.
Cette question soulève aussi les limites de l’autonomie professionnelle des enseignants du fait du poids décisif du chef d’établissement, ou encore des commissions d’appel faites par les parents, qui remettent en question les décisions prises lors des conseils de classe. Les enseignants n’ont qu’un avis consultatif, qui peut être pris en considération ou non, et ces derniers ne se sentent pas toujours associés aux décisions qui leur paraissent parfois purement administratives, alors qu’ils considèrent que leur avis sur l’élève est déterminant de par leur connaissance de ce dernier.
6. Pistes de résolution de la situation
Tout d’abord, parmi les pistes envisagées, si l’option choisie avait été de faire confiance à l’élève, d’envisager la possibilité de changer de spécialité en terminale, il aurait été possible pour cette élève, comme cela a été proposé, de faire un stage passerelle et d’intégrer les cours de physique-chimie de 1re au trimestre 3. Ainsi, au cours du conseil de classe du troisième trimestre, on aurait pu statuer sur son cas et cela aurait pu permettre de confirmer son choix, de voir si elle avait le niveau requis et la motivation pour réussir l’année d’après. Ainsi, à travers cette remise à niveau et les engagements prévus (cours particuliers, compagnonnage, exercices pendant les vacances, etc.), l’élève aurait été dans les meilleures conditions pour intégrer sa nouvelle spécialité en terminale. Dans le cas du refus du chef d’établissement, un dialogue avec lui concernant sa décision et un rappel aux textes et aux procédures auraient peut-être pu permettre d’avoir a minima l’avis du conseil de classe. Ici, avoir recours à l’équipe enseignante, la mobiliser afin de respecter la procédure pouvait être une option. Il est toujours plus facile de faire face à plusieurs que lorsqu’on est convaincu du bien fondé de la démarche. Ainsi on peut s’interroger sur la manière de faire face à la décision unilatérale du proviseur. Puisque le rappel des textes ne suffit pas et que le chef d’établissement se justifie par le fait que sa décision prime, comment peut-on contester et amener une ouverture à la discussion ? Effectivement, le texte précise qu’il faut l’aval du chef d’établissement et du conseil de classe, ce qui aurait pu être impulsé au deuxième trimestre lors des conseils de classe. Mais une omerta avait été instaurée à ce sujet.
Une autre piste aurait été de faire un recours au rectorat et d’accompagner la mère, hélas, celle-ci a préféré abandonner. En effet, on voit que certains parents n’osent pas aller au bout d’une démarche de droit : on peut alors s’interroger sur les ressources sociales et cognitives des représentants légaux.
Le professeur principal aurait pu élargir la discussion à l’équipe pédagogique, en responsabilisant l’élève sur l’engagement pris. Ainsi, il faut questionner en équipe le degré de confiance que l’on peut accorder à l’élève. Néanmoins, on rappelle que lors d’une réunion avec l’ensemble du lycée, le proviseur avait demandé aux professeurs principaux de ne pas répondre positivement à des demandes farfelues de changement de spécialités. Le rôle de l’équipe pédagogique aurait pu être, lors de cette réunion, de poser la question du droit à l’erreur dans le choix des spécialités, et d’envisager collectivement des solutions à venir pour ces situations.
Le recours à un responsable syndical pourrait également appuyer cette demande, sachant que dans le CA – dont la PP fait partie – des collègues sont syndiqués, et notamment l’enseignante tête de liste. De même Le DRAIO, le SAIO peuvent être des leviers, en amenant une médiation relative à cette demande. Enfin la DASEN, avec l’avis d’un IEN IO, pourrait impulser l’idée de donner la chance à l’élève sur le premier trimestre de terminale et lui permettre ainsi un essai. On peut se demander si la situation de handicap vécue en 2de avec la phobie scolaire ainsi que l’impact du cancer de son père en 1re, qui ont pu impacter sa scolarité. Ces éléments peuvent être soumis à l’inspection pour permettre à l’élève de s’orienter.
Enfin, les parents d’élèves peuvent également s’impliquer, notamment au moment du CA ou lors des conseils de classe, même si on peut noter que souvent, les parents représentants n’osent pas amener ces problématiques, avec peut-être la représentation erronée que cela n’est pas de leur ressort.
7. Prendre parti
Julien : selon moi, au vu de la situation exposée, je serais allé dialoguer avec le chef d’établissement afin de connaître son positionnement. J’aurais souhaité qu’il m’explique les craintes et les pensées qui l’ont amené au refus, et je lui aurais fait part de mes arguments en faveur d’un changement de spécialité – notamment la forte motivation de l’élève – ainsi que des textes réglementaires.
Il y a quelques semaines, j’ai eu une situation similaire avec une élève voulant changer de spécialité, et il s’avère qu’entre les textes et volontés affichées par la réforme du bac, sur le terrain, cela semble plus compliqué au niveau administratif et dans la mise en place de ces changements. En effet, il faut consulter le rectorat en amont. Mon proviseur est d’accord mais le principal adjoint lui, est beaucoup plus réticent et demande un courrier des parents pour justifier la demande (et ainsi freiner la procédure ?). A tout cela s’ajoutent des difficultés techniques et des problématiques administratives que certains acteurs ne souhaitent pas toujours mettre en place pour convenance personnelle.
Je pense que le conseil de classe du second trimestre aurait dû être le moment de parler du changement de spécialité afin d’impliquer tous les acteurs concernés et de débattre sur le sujet afin de statuer ensemble. Après, si le chef d’établissement revient sur la décision prise en conseil de classe et/ou décide de statuer seul plus tard, il apparaît évident qu’on ne peut rien faire de plus et qu’on reste impuissant face à ce choix, qu’on soit d’accord avec ou pas.
Etienne : en tant que parent d’élèves, suite au refus du chef d’établissement, j’aurais écrit une lettre au DASEN ainsi qu’à l’inspecteur référent de l’établissement, et à l’IEN IO.
En tant que chef d’établissement et avec les convictions qui sont les miennes, j’aurais réuni l’ensemble de l’équipe éducative, les professeurs de spécialités concernées, la psychologue de
l’Éducation nationale et l’élève. Chaque partie aurait explicité son avis et son choix dans cette décision. La parole aurait été donnée dans un premier temps à la jeune, à sa mère, au professeur principal et à la Psy-EN en pour exposer les motivations, le contexte personnel et le contexte scolaire.
J’aurais pris la décision d’accepter le changement de spécialité avec la production d’un contrat d’engagement de la jeune et de la famille :
- inscription de l’élève au stage de réussite de l’établissement de début juillet et de fin août pour rattraper le maximum de l’enseignement de spécialité,
- temps de présence dans l’établissement au cours du premier trimestre de terminale,
- stage intensif pendant les vacances d’automne..
Dorothée : étant la personne ayant fait la proposition de cette étude de cas, et étant aujourd’hui informée sur le parcours de cette élève en terminale, il me semble que la mère aurait pu aller au bout de sa démarche et faire valoir ses droits. L’élève avait proposé de récupérer les cahiers d’une élève en spécialité physique-chimie et de suivre des cours l’été. Malheureusement des barrières et des idées reçues ont empêché ce vœu. Sachant que certains élèves passent en terminale en séchant 80 % des cours et avec une moyenne catastrophique, il semble que l’aspect moral d’accorder ce vœu à l’élève aurait dû amener une réunion afin de débattre de ce cas. Cette élève travailleuse et volontaire a été pénalisée dans ses choix pour une question de quotas et un manque de confiance dans ses capacités !
- 1Cnesco. Comment agir plus efficacement face au décrochage scolaire ? Dossier de synthèse. Paris : Conseil national d’évaluation du système scolaire, 2017.
- 2Jellab A. et Marsollier C. Bienveillance et bien-être à l’école, Pour une école humaine et exigeante. Les indispensables, édition Berger Levrault, 2018.
- 3Huart J-M. et Luigi M-P. Le baccalauréat général et technologique et le lycée de demain : vers plus d’égalité et de liberté. Administration & Éducation 2018/4 N°160, p 19 à 22.
- 4Jellab A. L’orientation scolaire en France ou de la distillation fractionnée, des inégalités modulées par l’organisation du système éducatif et par des effets de contexte. Administration & Éducation 2021/3 N°171, p 35 à 44.
- 5Stevanovic B. Rapport au savoir et à l’orientation des élèves scolarisés dans un dispositif de la Mission de Lutte Contre le Décrochage Scolaire. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle 2018/3 (Vol. 51), p. 79 à 99.
- 6Bernard P-Y. (2011). Le décrochage scolaire. Que sais-je ?
- 7Masson P. (1994). Négociations et conflits dans le processus d’orientation des élèves de l’enseignement secondaire.