Résumé
A l’occasion d’une semaine d’intégration pédagogique l’enseignant aménage des entretiens particuliers avec les élèves de seconde. Lors de l’une de ces rencontres il se rend compte qu’une de ses élèves n’a pas du tout choisit sa filière de CAP EPC (Equipier Polyvalent du Commerce) dont elle ne connait rien. Il se demande donc comment éviter ce type de situation et comment réagir face à ces élèves orientées malgré elles.
1. La situation
L’établissement
Le lycée est situé dans les Hauts-de-Seine, il est tertiaire, exclusivement destiné à un public souhaitant travailler dans le commerce et la vente. Ce lycée est plutôt petit, avec environ 400 élèves.
Au sein de ce lycée existe une filière de CAP EPC (Equipier Polyvalent du Commerce), ainsi qu’une filière de baccalauréat professionnel concernant la relation client.
L’équipe pédagogique
Il n’y a pas, au sein du lycée, d’infirmière ni d’assistant de service social.
Le lycée compte entre autres 34 professeurs, un conseiller principal d’éducation, ainsi qu’un DDFPT (directeur délégué aux formations professionnelles et techniques). Celui-ci est présent à mi-temps. Un psy-EN est également présent et est une personne ressource auprès des élèves.
L’enseignant
L’enseignant, après avoir été contractuel l’an dernier à Aubervilliers, est devenu stagiaire suite à la réussite de son concours. Il ne lui a été attribué qu’une classe : une seconde CAP, qu’il voit pendant 9 heures par semaine.
La semaine d’intégration pédagogique
Cette semaine a eu lieu la toute première semaine de la rentrée scolaire : du 6 au 10 septembre. Ont été organisés plusieurs évènements : des olympiades, aide pour la prise en main des outils informatiques, présentation du lycée, présentation de l’équipe de l’établissement, partie administrative (inscription à la cantine, distribution du carnet de correspondance).
Le dernier jour, il s’agissait d’un entretien individuel (entre 5 et 10 minutes) entre un des professeurs de la classe et les élèves.
La classe
Il s’agit d’une classe de 2nde CAP et donc de nouveaux entrants dans l’établissement. L’effectif est de 24 élèves, avec une dominance de garçons. 5 élèves ont un profil ULIS ; 1 élève est allophone. Le niveau de cette classe est plutôt faible.
La situation
Pendant la semaine d’intégration des élèves, j’ai été amené à faire des entretiens individuels avec les élèves afin d’apprendre à les connaître et à mieux comprendre leurs motivations et leurs choix d’orientation en lycée professionnel et plus précisément en seconde CAP option EPC (équipier polyvalent du commence).
Ces entretiens se sont déroulés au foyer des élèves afin d’être dans un cadre chaleureux et propice à la conversation. En effet, dans ce foyer la décoration est sympathique : tags effectués par des élèves, baby-foot, canapés. Cela change donc de l’atmosphère rigide et sérieuse que l’on trouve dans une salle de classe traditionnelle.
J’ai interrogé une élève qui s’appelle Olivia.
Après un certain nombre de questions d’ordre général telles que « As-tu un ordinateur à la maison ? Y a-t-il une personne qui peut t’aider à faire tes devoirs à la maison ? Quelles sont les matières dans lesquelles tu t’es sentie le plus en difficulté au collège ? », je lui ai posé des questions sur le thème de l’orientation.
Les voici : « Pourquoi as-tu choisi de faire un CAP EPC ? Qui t’a aidée dans ton choix ? Quel métier souhaiterais-tu faire plus tard ? »
Ses réponses furent les suivantes : « Je n’ai pas eu d’aide au collège pour faire mes vœux d’orientation. Les professeurs ont passé beaucoup de temps à présenter la filière générale. Ils sont restés très vagues sur la filière professionnelle. Je leur ai dit que je souhaitais être vétérinaire ou du moins faire un métier dans lequel je serai en contact avec des animaux. A cela, mon professeur a répondu que mes notes actuelles ne me permettraient pas de réaliser ce projet professionnel et qu’il allait donc m’inscrire de façon stratégique dans une filière dans laquelle il y a beaucoup de places car j’aurai plus de chance d’être prise. » Il m’expliqua ensuite que chaque année, des élèves se retrouvaient sans formation et sans établissement et qu’il fallait donc être stratégique dans la formulation de mes vœux.
A cela je lui ai demandé : « Comment te sens-tu dans cette filière (contente, triste, motivée, déboussolée ?) Que peux-tu me dire sur la filière CAP EPC ? Sais-tu en quoi cette filière consiste ? Sur quel métier elle débouche ? Quelles sont les possibilités de poursuite d’études à l’issue du CAP EPC ? »
Elle me répondit qu’elle n’avait eu aucune information sur la filière de CAP EPC.
L’action de l’enseignant face à la situation et ses conséquences
Suite à cet échange, j’ai informé le professeur principal de cette situation. Tous deux avons échangé avec la famille pour essayer de comprendre un peu plus cette situation et trouver des solutions pour Olivia.
La famille nous a expliqué que oui, Olivia avait ce projet d’être vétérinaire, ou du moins de travailler dans le domaine animalier. Cependant selon eux, ce projet n’était pas réalisable pour les raisons suivantes :
- La cohérence entre son projet et ses capacités
- Les difficultés propres à l’élève
Olivia est une élève ayant un profil ULIS. Pour ne pas dévoiler les informations médicales personnelles de l’élève, nous présentons donc les caractéristiques générales des élèves ULIS. Donc pour rappel, ce sont des élèves ayant soit « des troubles des fonctions cognitives ou mentales, des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, des troubles envahissants du développement (dont l’autisme), des troubles des fonctions motrices, des troubles de la fonction auditive, des troubles de la fonction visuelle ou des troubles multiples associés (pluri-handicap ou maladies invalidantes) » 1source : https://eduscol.education.fr/
- Les limitations en termes d’offres de formation scolaires
Les parents nous expliquent que la formation la plus en phase avec le projet d’Oliva serait toiletteur animalier. Toutefois, il y a très peu d’offres de formation dans ce domaine ; ces formations ne sont pas forcément en Ile-de-France et il y a très peu de places disponibles.
Cette situation pose donc un certain nombre de problèmes que nous pouvons résumer en une question : Comment réagir face à une élève qui n’a pas choisi d’être là ?
2. Les questions que pose la situation
La situation évoquée nous interroge sur diverses problématiques, que l’on peut regrouper sous plusieurs grands thèmes. Cela nous amène avant tout à aborder le système d’orientation en “infra-bac”, auquel la grande majorité des élèves est soumise.
1. Concernant l’élève, l’acteur principalement concerné
- Comment les élèves procèdent-ils pour s’orienter ?
- Comment demander à des élèves d’être en mesure de penser à long terme leur avenir ?
- Comment faire le bilan de ses diverses expériences / compétences en vue de définir des projets personnels et professionnels ?
- Quelles sont les difficultés que rencontrent l’adolescent face à l’objectif d’orientation scolaire ?
- Les élèves sont-ils influencés par leurs conditions socio-économiques (notion de reproduction sociale) ?
2. Concernant les acteurs gravitant autour des élèves
La première question générale à se poser est : quels sont les acteurs qui peuvent / doivent intervenir dans le domaine de l’éducation à l’orientation ? A cela, nous estimons que trois grandes catégories d’acteurs interviennent dans l’orientation.
Les parents
Comment les parents peuvent-ils s’investir dans l’orientation de leur enfant ? Doivent-ils eux-mêmes se former à l’orientation, s’intéresser aux débouchés possibles et réalisables pour leur enfant ?
Les PsyEN
Quel est le rôle des PsyEN auprès des élèves, des familles, des professeurs et lors des conseils de classe ? Quelles sont les pratiques des PsyEN ?
L’équipe pédagogique, les professeurs
Comment bien conseiller, en tant que professeur, et bien sélectionner les élèves pour qu’ils s’engagent dans les apprentissages professionnels où leur chance de réussite est maximale ?
Coordination des enseignants entre eux : savaient-ils, pour l’élève en question, qu’il existe des CAP pour travailler avec les animaux ? N’ont-ils pas vu son désir de travailler dans ce domaine que par le prisme du métier de vétérinaire, très difficilement accessible ?
Au final, nous en venons à nous demander si l’on doit internaliser ou externaliser l’éducation à l’orientation ? Ou au contraire, devons-nous utiliser les deux méthodes ? Pourquoi ne pas faire intervenir des coachs en orientation et davantage d’intervenants extérieurs qui expliqueraient leur métier, leur parcours et conseiller les jeunes ?
3. Concernant le système scolaire et d’orientation
Affelnet (affectation des élèves par le net) est le logiciel, existant depuis 2008, qui permet d’affecter les élèves de 3ème au sein d’un lycée, au regard de leur orientation. Le logiciel concerne les élèves souhaitant entrer en seconde générale, technologique, professionnelle et en 1ère année de CAP.
Affelnet suit un calendrier précis, jusqu’en juin, où l’élève reçoit son affectation en lycée, en fonction des points dont il dispose, au vu de certains critères académiques. Les élèves qui n’ont pas obtenu d’affectation devront participer au second tour, se déroulant de juillet à septembre.
Affelnet a également plusieurs objectifs. Tout d’abord, le logiciel permet a priori d’apporter davantage de transparence, du fait des critères détaillés permettant d’accéder aux lycées. Le logiciel a aussi pour but de donner à l’élève la formation au vu de ses compétences. Évidemment, entrent aussi en compte les capacités d’accueil de chacun des établissements.
2Source : https://groupe-reussite.fr/ [consulté le 01/12/2021].
Ainsi, plus généralement, la situation exposée nous amène à nous interroger sur :
- La vision claire qu’a l’élève de ses possibilités d’orientation, et donc les défaillances dans les pratiques actuelles sur l’orientation des élèves.
- Les enjeux de l’éducation à l’orientation dans le système éducatif français.
- Les inégalités d’orientation tenant de l’origine sociale et du sexe.
- La potentielle existence d’une hiérarchisation des formations et des diplômes dans l’esprit des élèves et des professeurs, qui peut alors avoir un impact sur le choix des élèves en matière d’orientation.
Elargissement de la réflexion :
L’élève peut ne pas avoir la même vision ou même envie d’études que ses parents et/ou ses professeurs, qui ont alors d’autres ambitions, motivations. L’élève est donc pénalisé, car il n’est alors plus nécessairement au centre de la réflexion. C’est une guerre de pouvoir entre ces acteurs ; l’élève est en infériorité numérique et n’a pas de poids dans la négociation. Il sera difficile pour un élève de 3ème de contredire ses parents et / ou professeurs, puisqu’il est vulnérable et peut-être influençable.
Dans un autre registre, la situation évoquée amène à se poser des questions sur des éléments sur lesquels le professeur n’est pas toujours au fait. Par exemple, peut-être est-il plus avantageux de diriger les élèves vers un CAP vente plus que dans le domaine animalier ? Peut-être y a-t-il davantage de places en CAP vente qu’en CAP animalier ?
D’autres éléments échappent encore au professeur, notamment en ce qui concerne le « capital social » de l’élève, pour reprendre les termes de Pierre Bourdieu 3Pierre Bourdieu, « Le capital social », Actes de la rcheche en sciences sociales, n°31, 1980, pp. 2-3. . En effet, selon l’origine sociale de l’élève, peut-être sera-t-il orienté différemment ?
Par ailleurs, le coût économique peut entrer en jeu. En effet, peut-être que le CAP animalier qui aurait convenu à l’élève, n’était pas possible proche de chez elle. Ses parents l’ont peut-être orientée vers une formation faisable, proche de chez eux (peur de voir partir son enfant, difficultés financières pour payer un logement, les transports…) 4BLANCHARD Marianne, CAYOUETTE-REMBLIèRE Joanie, « Penser les choix scolaires », Revue française de pédagogie, 2011/2 (n° 175), p. 5-14. DOI : 10.4000/rfp.3025. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2011-2-page-5.htm
La peur du chômage est également présente : l’orientation de l’élève peut alors se faire vers des filières où il y a du travail, au lieu de les orienter sur leur réel choix, où le taux de chômage est peut-être plus important.
Au niveau du contexte, les élèves vont peut-être être également orientés selon les besoins sociaux, en fonction de ce que la société aurait besoin. Consciemment ou inconsciemment, certaines orientations peuvent être en priorité proposées aux garçons et moins aux filles, et vice versa 5VOUILLOT Françoise, Les métiers ont-ils un sexe ?, Paris, Belin, 2014.
Dans tous les cas, ces questionnements nous amènent à parler soit d’orientation choisie, soit d’orientation subie.
Les professeurs sont quotidiennement confrontés à l’orientation de leurs élèves. Mais la représentation que chacun a de son métier peut influencer l’élève sur son orientation. Les professeurs sont-ils également préparés à faire face à cette orientation ? En 1995, J. L. Mure soulève deux problématiques. Tout d’abord l’évolution des contextes historique et social exige de former les enseignants. Mais alors, quels seraient les organismes qui les formeraient ? Sous quelle forme ? Avec quel budget ? Durant combien de temps ? 6MURE Jean-Louis, « la formation des enseignants du second degré à l’orientation : faire face aux exigences d’une approche éducative », Spirale, n°18, 1994, pp. 181-198.
3. Dimension réglementaire
Historique réglementaire de l’orientation scolaire en France jusqu’à la fin du 20ème siècle
Avant les années 1950, furent créés les conseillers d’orientation professionnelle (COP). Dans cette même lignée, dans les années 1970, furent également créés l’ONISEP et les CIO (centre d’information et d’orientation).
Par la suite, la loi Haby de 1975 définit l’orientation comme un élément de l’égalité des chances. Cette loi instaure « le collège unique ». De plus, le palier d’orientation est repoussé à l’issue de la classe de 3ème et à l’issue de la classe 2nde. Cette loi déplace aussi les principaux paliers d’orientation de l’entrée dans le premier cycle secondaire vers :
- La sortie du collège (orientation vers le lycée général / technologique ou professionnel)
- L’issue de la classe de seconde (choix du baccalauréat)
- L’accès au supérieur (choix de la première d’étude post-baccalauréat).
Par la suite, les lois sur l’orientation se sont enchaînées. Par exemple, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (dite loi Jospin) garantit à chacun un droit à l’éducation dont fait partie le droit au conseil en orientation et à l’information sur les enseignements et les professions.
Plus tard, la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle vient compléter la loi ci-dessus en ajoutant que l’information peut aussi être donnée aux élèves par les représentants des organisations professionnelles et des chambres de commerce et d’industries
Enfin, plusieurs circulaires ont quant à elles, trait à l’orientation, à commencer par la circulaire du 1er octobre 1996 pour les lycées, qui met en œuvre une éducation à l’orientation dans les lycées d’enseignement général et technologique. Un autre circulaire du 10 mai 1996 vise à prévenir le décrochage scolaire et proposer des actions aux jeunes sortis de l’école sans qualification et sans emploi. Enfin, la circulaire du 17 mai 1999, intitulée « Nouvelles chances », a pour objectif de lutter contre le décrochage scolaire
Les deux grandes lois de l’année 2018
La loi du 8 mars 2018
Elle vise à améliorer l’orientation et favoriser la réussite des étudiants. L’instauration de cette loi modifie les conditions d’accès aux études universitaires car elle met en vigueur le lancement de la plateforme Parcousup. Cette plateforme remplace le Système Admission Post-Bac (APB).
Parcoursup instaure deux principales nouveautés : la non-hiérarchisation des vœux des candidats et le renforcement de l’accompagnement des professeurs du secondaire dans la formulation des souhaits d’orientation des élèves 7source : http://www.ove-national.education.fr/publication/ove-infos-n39/.
Cette loi permet aussi à chaque université de fixer ses propres prérequis pour sélectionner les étudiants admissibles lors de leurs demandes d’inscription. L’objectif de cette démarche est de réduire le taux d’échec en première année d’université, en permettant donc aux facultés de mieux gérer leur processus de sélection en utilisant des critères qui leurs sont propres.
La loi du 5 septembre 2018
La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel permet une mise en complémentarité des différents acteurs de l’orientation grâce à un partage clair des compétences État/Région :
- L’Etat : définit la politique d’orientation des élèves et des étudiants ; prend les décisions d’orientation et d’affectation des élèves et les accompagne, ainsi que les étudiants et apprentis dans leurs choix d’orientation
- La région : élabore la documentation de portée régionale ; organise des actions d’information sur les formations et les métiers ; diffuse l’information nationale et régionale
8Source : https://www.education.gouv.fr/orientation-scolaire-cadre-national-de-reference-entre-l-etat-et-regions-de-france-7322 [consulté le 1er décembre 2021].
Les autres mesures impactant l’orientation des élèves
Le changement d’orientation au lycée : le droit à l’erreur manifeste d’orientation à l’entrée du lycée…
La période de consolidation de l’orientation qui s’étend de la rentrée jusqu’aux congés d’automne, vise à prévenir les risques de décrochage liés à une erreur manifeste d’orientation pour les élèves inscrits en 1ère année de lycée (2nde professionnelle, 1ère année de CAP 2 ans, 2nde générale et technologique).
Au sein des établissements, les équipes éducatives repèrent les élèves manifestant une volonté de changement d’orientation. Un élève qui s’est manifestement trompé d’orientation peut, sur avis de l’équipe pédagogique et avec l’accord de ses représentants légaux, changer d’orientation.
« Le droit à l’erreur manifeste d’orientation à l’entrée au lycée » – émanant de la circulaire n°2016-055 du 29 mars 2016 9BOEN n°13 du 31.03.2016, intitulée Réussir l’entrée au lycée professionnel, et de la circulaire ministérielle 2017-0059 du 13 septembre 2017 – est une procédure visant à prévenir ces risques de décrochage scolaire.
Les établissements d’origine accompagnent les élèves dans la formulation de vœux de changement de formation : les nouveaux vœux doivent être en cohérence avec la décision d’orientation de fin de 3ème.
Ensuite ils soumettent le dossier au réseau FOQUALE pour étude lors d’une commission départementale en liaison avec la DSDEN. À l’issue de la commission, la division des élèves adresse aux familles la notification d’affectation pour une inscription, dans les délais impartis, dans l’établissement d’accueil.
« Le droit à l’erreur manifeste d’orientation à l’entrée au lycée » offre une réelle opportunité, pour les élèves décrocheurs, de réorientation scolaire, sous réserve des places disponibles dans les établissements d’accueil.
Les élèves non affectés restent inscrits dans leur établissement d’origine pour y suivre la formation démarrée en septembre.
10Sources : http://cache.media.education.gouv.fr/file/6._2020/82/4/circulaire_2020-054_annexe_1_1325824.pdf [visité le 6 janvier 2022] ; https://cache.media.education.gouv.fr/file/2019-2020/52/7/Guide_or_affec_2020-_version_def_1288527.pdf [visité le 6 janvier 2022].
Comme fondation pour des passerelles, soutiens à l’orientation et la réorientation
Afin d’ajouter une certaine souplesse et fluidité dans le parcours scolaire des élèves, et sur le principe évoqué plus haut de “droit à l’erreur”, des passerelles existent entre les voies professionnelles, technologiques et générales, sans recommencer tout un nouveau cycle de formation.
En effet, l’article D331-29 du Code de l’éducation, modifié par le décret N°2014-1377 du 18 novembre 2014 (en son article 11), dispose que : “A l’intérieur du cycle terminal de la voie générale et de la voie technologique du lycée, un changement de voie d’orientation peut être réalisé, en cours ou en fin d’année, sur demande écrite des représentants légaux ou de l’élève majeur, après avis du conseil de classe. Lorsque ce changement a lieu dans le même établissement, il est prononcé par le chef d’établissement dans le délai d’un mois qui suit la demande. Lorsque le changement implique l’affectation dans un autre établissement, il est prononcé par le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du recteur d’académie, dans les conditions fixées à l’article D. 331-38, après avis du chef de l’établissement d’accueil.
L’élève souhaitant se réorienter, devra s’entourer et s’appuyer du professeur principal, du PsyEN et de son tuteur de projet de changement d’orientation. Le conseil de classe donne ensuite son avis sur ce changement, qui est ensuite prononcé officiellement par le chef d’établissement. Le stage passerelle n’est pas obligatoire, il peut être proposé à l’élève au vu de son profil et de ses besoins.
La demande de réorientation suit un calendrier précis et propre à chaque voie à intégrer. De manière générale, jusqu’à février, un entretien est réalisé par le PsyEN, le professeur principal, la famille et l’élève pour cerner et bien définir son projet. Par la suite, la saisie se fera, la plupart du temps, sur Affelnet.
Notons également que le Bulletin Officiel spécial N°1 du 4 février 2010 institue des stages de remise à niveau et des stages passerelles à compter de la rentrée 2010, soit pendant les vacances, soit durant la période scolaire. Seul le stage passerelle (et non le stage de remise à niveau) accompagne un changement d’orientation pour les élèves en ayant besoin. Les stages passerelles s’adressent tant aux secondes, qu’aux premières et terminales, leur permettant en premier lieu d’obtenir diverses informations sur cette réorientation.
L’évolution et les missions des “PsyEN”
Le corps des “Psychologues de l’Education Nationale” (PsyEN) a été institué par le décret N°2017-120 du 1er février 2017, transformant de fait les “COPsy” (Conseillers d’Orientation Psychologues), dont le corps a été créé par le décret N°91-290 du 20 mars 1991, relatif au statut particulier des directeurs de centre d’information et d’orientation et conseillers d’orientation-psychologues. Ce décret fut abrogé par celui de 2017 précédemment évoqué.
Les PsyEN ne restent que peu de temps à un endroit fixe. En effet, ils sont rattachés à un CIO (Centre d’Information et d’Orientation) et exercent aussi dans plusieurs établissements du second degré dépendant de leur CIO. Les PsyEN ont avant tout une formation de psychologue et disposent de trois casquettes (en vertu de l’article 3 du décret N°2017-120 du 1er février 2017). Toutefois, ce dernier article est davantage précisé dans la circulaire N°2017-079 du 28 avril 2017, détaillant les missions des PsyEN.
Ainsi, ils soutiennent et aident psychologiquement les adolescents et jeunes adultes (par des bilans psychologiques, des entretiens…). Les PsyEN luttent aussi contre les discriminations, le harcèlement… Et apportent une aide et expertise psychologique pour tout élève se présentant à lui, peu importe qu’il ait des souffrances psychiques ou non.
Ensuite, le PsyEN prévient le décrochage scolaire.
Enfin, leur dernière casquette leur permet d’aider ces jeunes dans leur projet d’orientation et de formation, en indiquant les débouchés possibles, via des questionnaires d’intérêts et de personnalité. Ils informent aussi sur les procédures d’affectation (Affelnet, Parcoursup). En ce sens, les PsyEN sont un des remparts contre le décrochage scolaire.
Les COPsy étaient déjà psychologues, mais cette appellation les rattachait trop à la seule vision de l’orientation des élèves; or, leurs compétences et missions sont en réalité beaucoup plus larges : écoute, soutien, accompagnement, bilans psychologiques…
Il s’agit donc de rappeler aux élèves qu’ils peuvent être suivis régulièrement par le PsyEN, dont les missions dépassent de loin la seule aide à l’orientation, à la construction de projets scolaires, universitaires voire professionnels.
11Source : https://www.education.gouv.fr/bo/2010/special01/mene1002843c.html [consulté le 5 janvier 2022].
4. Ce qu’en disent des collègues
Nous voulions partager cette situation avec d’autres professeurs afin de savoir ce qu’ils en pensent et ce qu’ils auraient fait à notre place. Nous avons procédé à la diffusion d’un questionnaire (dont les données sont traitées ci-dessous avec des graphiques) et des entretiens).
Nous constatons que 85,4% des professeurs sondés sont très souvent confrontés aux problèmes liés à l’orientation subie.
Les enseignants que nous avons interrogés nous expriment qu’ils se sentent démunis sur le sujet de l’orientation subie. Ils ne savent pas très bien quelles sont les procédures à appliquer ou vers qui se tourner. C’est pour cela que 82,9% des enseignants que nous avons sondés se « contentent » d’informer le professeur principal et ou de faire un dossier de droit à l’erreur s’ils sont eux-mêmes professeur principal (31,7%).
En effet, ils utilisent très peu les dispositifs mis en place par l’institution tels que : le CIO, PsyEN, Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire… car pour près de 82% d’entre eux, ces dispositifs ne seraient pas efficaces.
Les professeurs nous expliquent que ce sont de bons dispositifs en soi, mais que sur le terrain ils ne fonctionnent pas pour plusieurs raisons :
– Une efficacité qui reste limitée (75%)
– Le manque de moyens humains, de temps (HSA/HSE), et de matériel (12,6%)
– Des solutions qui arrivent souvent tardivement dans la scolarité de l’élève (6,3%)
– La mauvaise image qu’ont les élèves du lycée professionnel et de ses métiers (95%)
Questionnaires
Entretiens
Tuteur en Commercialisation et Services en Restauration:
1/ Qu’est-ce que t’évoque cette situation (par rapport au récit) ?
Il serait préférable de prévenir que de guérir. Les élèves manquent de suivi et de stages en collège. Les élèves n’arrivent pas du tout à se projeter professionnellement et privilégient trop souvent la proximité de la formation plutôt que le contenu.
La médiatisation bienveillante de la profession et le fait que notre métier a une forte employabilité, encouragent parents et enfants dans un secteur professionnel dont ils ne connaissent pas les contraintes réelles.
Ne faudrait-il pas créer une 2nde professionnelle passerelle pour les élèves qui n’arrivent pas à se projeter ?… Année scolaire pendant laquelle le jeune effectuerait 3 trimestres dans 3 lycées professionnels différents avec un stage de 15 jours/3 semaines à chaque fois…une véritable année de détermination afin que le jeune ne se laisse pas “enfermer” dans une formation par défaut !
2/ De par ton expérience, quelles solutions préconiserais-tu face à cette problématique?
Essayer d’effectuer le diagnostic le plus rapidement possible, idéalement avant les vacances de la Toussaint de la classe de seconde afin de permettre une réorientation très rapidement. Une équipe complète doit se mobiliser : PP, enseignants, CPE, Psychologue scolaire, jeune concerné et ses parents. Il faut avant tout trouver le secteur professionnel qui parle au jeune avant de l’aider à effectuer les démarches de réorientation.
Une solution serait peut-être de permettre aux jeunes en décrochage de multiplier les stages dans différents secteurs professionnels plutôt que de continuer à les faire participer à des cours qui ne les intéressent pas ?…
3/ Est-ce que tu penses que les dispositifs comme les passerelles, le droit à l’erreur, sont des dispositifs qui fonctionnent bien?
Ils fonctionneraient bien mieux si les lycées et les jeunes bénéficiaient de davantage de liberté, de flexibilité…s’ils pouvaient aller tester plusieurs secteurs et plusieurs formes d’enseignement avant de s’engager dans un projet pour lequel ils se sentiraient acteurs.
4/ D’autres réflexions ou idées qui te viennent face à cette situation problématique?
La volonté de diriger la majorité des élèves vers un baccalauréat montre actuellement ses limites. Le CAP avait une réelle crédibilité professionnelle, il reconnaissait l’intelligence pratique (là où le baccalauréat impose l’intelligence cognitive) et permettait aux jeunes d’acquérir une confiance en eux et souvent de poursuivre leurs études. Le CAP a malheureusement été vidé de son sens depuis qu’il est réservé aux jeunes qui connaissent des difficultés personnelles et sociales importantes.
Les jeunes décrochent plus facilement depuis que le baccalauréat professionnel est devenu quasiment l’arme absolue…les jeunes ne se reconnaissent pas dans cette formation où il y a de moins en moins de pratique professionnelle.
Tutrice d’établissement en STMS :
1/ Qu’est-ce que t’évoque cette situation (par rapport au récit)?
La tutrice en question explique qu’elle a la même expérience en CAP Petite enfance. En conséquence, les élèves ne sont pas motivés et n’ont aucune envie d’avancer. La situation lui semble donc très familière.
2/ Les solutions que tu prendrais face à cette situation ?
Elle parle pour la filière ST2S. Elle a connu une élève qui était en filière ST2S mais réorientée dès la rentrée en filière L (à l’époque), après une semaine d’immersion dans ladite filière. Mais cela fut possible car elle avait un certain niveau !
Ce qui est difficile en ST2S, c’est qu’il est difficile de réorienter les élèves en voie générale car ils ont un faible niveau en langues et en mathématiques. Il faudrait directement voir l’élève directement.
3/ Est-ce que les dispositifs sont efficaces ?
Ces dispositifs sont limités par rapport au niveau de l’élève en tant que tel. L’erreur d’orientation provient du parent, du professeur… Et impacte directement l’élève. Donc ces dispositifs sont limités : le niveau de l’élève conditionne ses possibilités de réorientation.
Collègue de STMS en filière ST2S :
1/ Qu’est-ce que cela t’évoque ?
En ST2S, il est assez courant de voir arriver des élèves qui veulent faire médecin, sage-femme, auxiliaire de puériculture (où il n’y a pas besoin du baccalauréat), ou encore des élèves qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire et qui ne sont pas attirés par les questions sanitaires ou sociales. Donc c’est une problématique très souvent rencontrée.
Le plus grave, selon la collègue, est qu’elle a rencontré des 3èmes qui venaient en 1ère ST2S ou en 2nde option santé social, et qui voulaient faire sage-femme, auxiliaire de puériculture, médecin, qui étaient orientés par le PSYEN ou le PP ! Il y a donc un problème grave de formation de ces professionnels à l’orientation, mais surtout de connaissances des filières !
2/ Les solutions que tu prendrais face à cette situation ?
Demander à l’élève ce qu’il veut faire plus tard, le confronter à la situation, voire le fait qu’il lui serait presque impossible pour lui d’atteindre ce métier. Par exemple au lycée Blaise Pascal (Villemomble), il existe deux filières: l’une professionnelle (baccalauréat ASSP) et l’autre technologique (baccalauréat ST2S). Il est déjà arrivé qu’un élève en ASSP veuille faire infirmière de puériculture et qu’un élève en ST2S veuille faire auxiliaire de puériculture, après description de ces deux métiers. Avec l’accord de la proviseure, la collègue a donc plusieurs fois assisté à ce dispositif de passerelles entre filières. Selon la personnalité proviseur, ce système est plus ou moins compliqué.
D’autres élèves encore en ST2S souhaitent faire PASS (médecine) : dans ce cas, il convient d’amener l’élève chez le proviseur pour lui indiquer ce que sera très difficile, l’avertir. Mais ne pas l’empêcher, pour qu’il voie par lui-même.
3/ Est-ce que les dispositifs sont efficaces ?
Ces passerelles semblent efficaces, notamment parce que le lycée est très petit et que le bac ASSP et ST2S ont des similitudes.
Un autre dispositif que la collègue juge efficace: l’orient’our. Il s’agit pour la proviseure du lycée d’accueillir tous les PP et certains principaux si possible du bassin du lycée, afin de leur présenter les sections du lycée. Bien évidemment, cela n’était plus possible à cause du covid, ce qui est regrettable car cela avait de bons résultats : les professeurs et les principaux comprenaient mieux chacune des filières, ce qui évitait donc d’envoyer malencontreusement des élèves dans une filière qui ne leur convenait pas.
Autre mesure efficace évoquée : la proviseure et la proviseure adjointe, avant la période du covid, allaient présenter le lycée et ses sections dans les collèges du bassin. Cela s’est avéré plutôt efficace.
Enfin, lors des JPO (journées portes ouvertes) en présentiel (ce qui n’est plus possible depuis covid), au sein du lycée étaient distribués des flyers pour éviter les erreurs d’orientation, comme entre ASSP et ST2S. Cela était également plutôt efficace.
En soi, ce qui ressort de tous ces entretiens est qu’il vaut mieux prévenir une orientation que guérir.
5. Les ressources universitaires
La reproduction sociale au sein des filières
Un constat reste toujours d’actualité, celui dressé par Pierre Bourdieu en 1970 12Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Éléments d’une théorie du système d’enseignement, Paris, Ed. de Minuit, 1970. En effet, un enfant issu d’un milieu défavorisé et dont la famille est plutôt éloignée de l’école, de ses attentes et exigences, ne sera pas à égalité avec d’autres élèves issus d’une classe moyenne ou aisée, pour entrer en voie générale 13ROCHEX Jean-Yves, « Des inégalités scolaires, des moyens de les mesurer et d’en étudier les processus de production », Le français aujourd’hui, 2013/4 (n°183), p. 9-28. DOI : 10.3917/lfa.183.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2013-4-page-9.htm ; Nina GUYON, Elise HUILLERY, Choix d’orientation et origine sociale: mesurer et comprendre l’autocensure scolaire, LIEPP Report, décembre 2014 ; Pierre Vrignaud, L’évolution des intentions d’orientation et du choix professionnel au cours du collège : l’impact du genre et de l’origine sociale, Rapport du Cnesco, 2016. En conséquence, un réel tri s’opère entre les élèves dès le collège et le lycée. En effet, les élèves issus du milieu populaire sont davantage orientés vers les filières professionnelles et technologiques. Ces élèves, à niveau égal, vont avoir moins tendance à s’orienter précisément vers la filière générale, voire des études supérieures plus ou moins prestigieuses. En ce sens, ils s’auto-censurent, en estimant que ces voies ne sont pas pour eux, puisqu’élitistes, réservées aux bons élèves. Cela est conforté par le fait que les bourses d’enseignement supérieur ne sont guère élevées, obligeant de facto les étudiants à travailler à côté des études 14Nadia Nakhili, « L’environnement scolaire, quels effets sur les aspirations « individuelles » ? : le cas de l’entrée dans l’enseignement supérieur », thèse de Sciences de l’éducation, Université de Bourgogne, 2007.. Or, il est très délicat (voire parfois impossible) de travailler et d’étudier, créant de fait une inégalité entre les étudiants financièrement favorisés et ceux ne l’étant pas 15Source : Observatoire des inégalités (2019). Le parcours d’une génération à l’école selon l’origine sociale. Disponible sur : https://www.inegalites.fr/parcours-generation-milieu-social?id_theme=17 [visité le 02/02/2022]
16Source :Observatoire des inégalités (2019). Le parcours d’une génération à l’école selon l’origine sociale. Disponible sur : https://www.inegalites.fr/parcours-generation-milieu-social?id_theme=17 [visité le 02/02/2022].
Ce tableau illustre les propos venant d’être tenus. En effet, à titre d’exemple, les étudiants ayant un bac + 6 ou ayant choisi médecine sont seulement 2,2% à avoir des parents artisans / commerçants. A contrario, la grande majorité des étudiants à bac + 6 ont des parents cadres supérieurs (73,2%).
Plusieurs auteurs pointent également du doigt que les établissements sont “typés” scolairement, socialement 17Danièle Trancart, « L’évolution des disparités entre collèges publics », Revue française de pédagogie, n°124, 1998 ; Fanny Thomas, « Typologie des collèges publics », Education et Formations, n°71, 2005, ethniquement parlant 18FELOUZIS Georges, « La ségrégation ethnique au collège et ses conséquences », Revue française de sociologie, 2003/3 (Vol. 44), p. 413-447. DOI : 10.3917/rfs.443.0413. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-3-page-413.htm.
De plus, les familles issues d’un milieu social défavorisé n’ont parfois pas suffisamment d’informations pour s’occuper de l’orientation de leurs enfants. Les établissements proposent alors « tout naturellement » à ces enfants une orientation vers la voie professionnelle 19Depp, 2019 ; Marie Duru-Bellat, « Les dilemmes d’une orientation juste », L’orientation scolaire et professionnelle, n°41, 2012. « L’orientation, comme tout processus de sélection, se place en aval des inégalités scolaires qui elles-mêmes résultent en grande partie des inégalités socioculturelles » 20Olivier Meunier, « Orientation scolaire et insertion : approches sociologiques », INRP, 2008.
A titre d’exemple, dans les académies franciliennes de Paris, Créteil et Versailles, les élèves issus d’un milieu social défavorisé ont 93% de chances de plus que leurs camarades issus d’un milieu social moyen ou aisé d’être orientés en seconde professionnelle. Par ailleurs, ces élèves issus d’un milieu social défavorisé ont 169% de chances de plus que leurs camarades d’intégrer un CAP 21Nina Guyon et Elise Huillery, Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire, 2014.
Néanmoins, ces propos peuvent être nuancés car les bons et très bons élèves, quelles que soient leurs origines sociales, ne sont a priori par impactés par les inégalités d’orientation. C’est-à-dire que ces élèves sont souvent orientés en voie générale ou technologique. Par contre, lorsqu’un élève a un niveau faible, son milieu social impacte pleinement son orientation. Les élèves faibles issus d’un milieu social moyen ou favorisé éviteront plus souvent les CAP et la voie professionnelle, comparés aux élèves faibles, issus d’un milieu social défavorisé.
Enfin, notons que les enfants d’enseignants, de cadres supérieurs et de professions libérales sont ceux qui sont orientés le plus souvent vers des formations plus ou moins prestigieuses. A contrario, les enfants d’employés, d’ouvriers ou ceux dont les parents ont un rythme de vie précaire, instable, entrecoupé de pauses, sont orientés vers des filières moins prestigieuses, voire dévaluées (22Palmade J., L’incertitude comme norme. Identités et parcours professionnels, Paris PUF, 2003 et 23Mathias Millet, Daniel Thin, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale, PUF, 2005.
Ces propos ci-dessus sont illustrés par l’interview de Bernard Lahire (professeur de sociologie à l’École normale supérieure de Lyon, en septembre 2019) pour France Culture. Ce sociologue a en effet dirigé l’ouvrage “Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants” 24Paris, Seuil, 2019, assisté de 17 chercheurs durant quatre ans, auprès d’une trentaine d’enfants.
Bernard Lahire a établi trois niveaux de classe sociale : populaire, moyenne et supérieure. Il constate qu’à travers ces trois niveaux sociaux différents se construit, avant l’école, un « capital culturel immatériel » (pour reprendre le travail de Pierre Bourdieu). Suivant le niveau social et culturel, l’enfant sera plus ou moins bien préparé à intégrer l’école.
Dès le départ, des inégalités existent entre les élèves et peuvent se transformer en véritable handicap, au fil du temps. Selon les termes de Bernard Lahire: « Les élèves ont été façonnés différemment selon leur origine sociale. Exemple type, avec les enfants dont les parents sont enseignants : les sorties éducatives ne sont pas choisies au hasard, les jeux éducatifs sont aussi orientés ». Les parents enseignants créent déjà, au niveau familial, un cadre scolaire dans leur éducation. En ce sens, selon le milieu social et le capital culturel, les élèves sont plus ou moins bien préparés à intégrer l’école et surtout, à atteindre les exigences fixées.
Inconsciemment les parents mettent en place une “pédagogie invisible”, passant par exemple par les livres, les voyages, la possibilité d’entendre voire de parler une langue étrangère… Les enfants arrivant à l’école n’ont donc pas le même univers, participant à leur patrimoine culturel et leurs possibilités de référencement ou la possibilité de faire un rapprochement entre leur vécu et leur apprentissage.
La représentation dévaluée de la voie professionnelle et de ses métiers
La voie professionnelle accueille des élèves ayant plusieurs difficultés : au niveau de l’apprentissage, décrochage, niveau scolaire peu élevé les empêchant de suivre les enseignements en voie générale et technologique.
Joanie Cayouette-Remblière s’est beaucoup intéressée à la corrélation entre l’origine sociale des élèves et leur orientation en voie professionnelle: elle constate que la majorité des élèves proviennent d’un milieu social défavorisé 25Joanie Cayouette-Remblière, « De l’hétérogénéité des classes populaires (et de ce que l’on peut en faire) », Sociologie, 2015/6, volume 4 ; L’école qui classe. 530 élèves du primaire au bac, Paris, PUF, 2016.
En conséquence, la voie professionnelle est bloquée dans un réel cercle vicieux, à savoir qu’elles accueillent surtout les élèves en difficulté, ce qui nourrit et entretient cette image de “voie de garage”, ce stigmate.
Ainsi, en France, l’orientation vers la voie professionnelle peut être imposée à l’élève ayant des résultats trop faibles, quand bien même cela ne corresponde pas à ses ambitions, envies et projet professionnel. En ce sens, Sabrina Foka et Patrick Werquin expliquent que les différentes voies (générale, technologique et professionnelle), font l’objet d’une hiérarchisation entre elles 26Sabrina Foka et Patrick Werquin, « Choisir ou subir son orientation en fin de classe de troisième : les conséquences sur la performance des élèves de seconde professionnelle », XXVIèmes journées du longitudinal, Nov 2020, Toulouse, France. pp.747-760. La voie professionnelle (et un peu celle technologique), sont dévaluées, par rapport à la voie générale, voie élitiste par excellence en France. C’est ainsi que Faguer explique à son tour que les familles dont les enfants sont orientés en voie professionnelle, doivent “faire le deuil de leurs grandes espérances antérieures” 27Faguer, J.P., « Le baccalauréat E et le mythe du technicien », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°50, 1983, pp. 86-96..
De manière générale, la société a un regard négatif sur la voie professionnelle; en témoigne la hiérarchisation expliquée plus haut entre les voies générale, technologique et professionnelle. En Allemagne à l’inverse, la voie professionnelle est très valorisée. A ce titre, plus de 350 parcours professionnels sont proposés dans ce pays. Au total, plus de 600 000 entreprises forment presque 1,6 million de jeunes; il s’agit du pays de l’Union Européenne avec le plus faible taux de chômage chez les moins de 25 ans 28source : fiche réseau-canopé: La voie professionnelle; Faut-il suivre l’exemple de l’Allemagne ?
Cette image négative de la société sur les voies professionnelles peut se traduire en France par le film SEGPA, où l’on stigmatise un public caractérisé comme plus faible, en difficulté. Il s’agit d’une double peine pour ce public : issu d’un milieu socio professionnel défavorisé, et étant dans une filière qui produit des « débiles », pour reprendre les termes de la bande annonce du film. Le terme de « SEGPA » devient presque une insulte, une moquerie entre élèves. De plus, des professeurs de collège stigmatisent les élèves en difficulté, expliquant que la voie professionnelle est pour les élèves en difficulté, et non parce que ce serait adapté au projet professionnel. La voie professionnelle est donc clairement mal vue.
Notons également que la voie professionnelle est encore méconnue, de même que les poursuites d’études qu’elle offre.
6. Pistes de résolution de la situation
Plusieurs pistes de résolution de la situation peuvent être envisagées.
Par exemple, instaurer un dispositif Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire (MLDS) au sein du lycée. Elle joue pleinement son rôle auprès des élèves comme dans la situation exposée, en accompagnant l’élève et en évitant toute sortie prématurée du système scolaire. En effet, un élève n’ayant pas été orienté selon son choix aura plus de chance de “décrocher”; or, la MLDS vise précisément à éviter que ce cas n’arrive.
Faire en sorte que le PsyEN soit davantage présent au lycée, afin d’accueillir le plus possible les élèves et les accompagner dans leur orientation. Le problème est cependant systémique, car ce professionnel fait plusieurs permanences dans différents établissements, ce qui alourdit sa charge de travail et rend plus difficile une présence régulière dans un collège ou lycée.
Autre piste : que les professeurs aient une meilleure formation vis-à-vis de l’orientation des élèves. Par exemple, le cas exposé résulte peut-être d’une méconnaissance des professeurs de l’élève de toutes les voies d’étude possibles dans le domaine animalier (qui ne se limite pas uniquement à la voie vétérinaire). Ainsi, pourquoi ne pas prévoir dans le PAF (plan académique de formation), ou bien de manière annualisée, des mises à jour des connaissances de chacun des professeurs quant à l’orientation.
Notons aussi qu’instaurer des observations du monde du travail pourrait faciliter la perception qu’a l’élève de l’utilité, (pour l’exercice d’une profession), des connaissances qu’il a acquises en classe. En d’autres termes, cela permettrait de donner plus de sens à son apprentissage.
Jean-Luc Mure 29Art. Cit., et Pin et Trollat 30Jean-Paul Pin, Anne-Françoise Trollat, « Orienter et enseigner : des fonctions connexes ? », dans Jean-François Marcel éd., Recherches en éducation. Pratiques et apprentissages professionnels. Dijon cedex, Éducagri éditions, 2014, stipulent que les problématiques d’orientation dans un établissement scolaire sont « l’affaire de tous ». De ce fait, les différents acteurs d’un établissement scolaire doivent donc faire preuve de coordination et réaliser de façon collective les procédures d’orientation des élèves.
Enfin, davantage travailler l’orientation des élèves dès la 3ème, puis tout au long du lycée, et permettre de la travailler à partir d’une progression commune entre les professeurs. Cela permettrait ainsi aux élèves d’avoir une vision globale et éclairée des différents choix s’offrant à eux.
De manière générale, il s’agit d’être moins court-termiste: il faut parvenir à changer le regard d’une génération sur les filières. Cela suppose un changement systémique, passant par diverses réformes de revalorisation des voies technologiques et professionnelles notamment. Cela peut par exemple passer par un vrai décloisonnement des collèges, afin que les professionnels et le monde de l’entreprise en général puissent venir au contact des collégiens. Cela permettrait à ces derniers mais aussi au parents de découvrir les métiers: au vu de l’importance des parents dans l’orientation, ce changement de système pourrait être bénéfique.
Il serait aussi possible d’envisager des réunions obligatoires pour les enfants et leurs parents, pour les informer sur toutes les filières, briser les idées reçues et indiquer clairement les plus-values et les débouchés.
7. Prendre parti
Je n’ai pas choisi d’être là !
“ Comment réagir face à une élève qui n’a pas choisi d’être là ?”
(Au sein de notre groupe, nous avons noté un consensus pour appliquer les démarches suivantes) :
– Présenter à l’élève la filière commerce et vente et ses débouchés. L’élève n’a pas choisi d’être là, mais cela ne veut pas dire que cette formation ne va pas lui plaire. C’est aussi à nous de “vendre” la formation, de lui présenter les débouchés tout en faisant un lien avec son projet professionnel. Certes, elle ne pourra pas être vétérinaire, mais elle pourra travailler dans un magasin qui vend des animaux, ou encore être au service accueil d’une clinique vétérinaire par exemple.
– Lui expliquer que tout en restant dans la filière commerce et vente qu’elle n’a certes pas choisi, elle pourra se rapprocher de son domaine de prédilection (les animaux), en faisant des stages dans des boutiques d’animalerie.
– Lui présenter la procédure de droit à l’erreur. Comme expliqué précédemment, cette procédure permet à des élèves de changer de filière en cours d’année (en lui expliquant que cette procédure ne fonctionne que très rarement, faute de place dans les autres filières).
– Lui expliquer qu’elle pourra toujours se réorienter après l’obtention de son CAP.
– La mettre en relation avec le PsyEN.
- 1source : https://eduscol.education.f
- 2Source : https://groupe-reussite.fr/ [consulté le 01/12/2021].
- 3Pierre Bourdieu, « Le capital social », Actes de la rcheche en sciences sociales, n°31, 1980, pp. 2-3.
- 4BLANCHARD Marianne, CAYOUETTE-REMBLIèRE Joanie, « Penser les choix scolaires », Revue française de pédagogie, 2011/2 (n° 175), p. 5-14. DOI : 10.4000/rfp.3025. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2011-2-page-5.htm
- 5VOUILLOT Françoise, Les métiers ont-ils un sexe ?, Paris, Belin, 2014.
- 6MURE Jean-Louis, « la formation des enseignants du second degré à l’orientation : faire face aux exigences d’une approche éducative », Spirale, n°18, 1994, pp. 181-198.
- 7
- 8Source : https://www.education.gouv.fr/orientation-scolaire-cadre-national-de-reference-entre-l-etat-et-regions-de-france-7322 [consulté le 1er décembre 2021].
- 9BOEN n°13 du 31.03.2016
- 10Sources : http://cache.media.education.gouv.fr/file/6._2020/82/4/circulaire_2020-054_annexe_1_1325824.pdf [visité le 6 janvier 2022] ; https://cache.media.education.gouv.fr/file/2019-2020/52/7/Guide_or_affec_2020-_version_def_1288527.pdf [visité le 6 janvier 2022].
- 11Source : https://www.education.gouv.fr/bo/2010/special01/mene1002843c.html [consulté le 5 janvier 2022].
- 12Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Éléments d’une théorie du système d’enseignement, Paris, Ed. de Minuit, 1970
- 13ROCHEX Jean-Yves, « Des inégalités scolaires, des moyens de les mesurer et d’en étudier les processus de production », Le français aujourd’hui, 2013/4 (n°183), p. 9-28. DOI : 10.3917/lfa.183.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2013-4-page-9.htm ; Nina GUYON, Elise HUILLERY, Choix d’orientation et origine sociale: mesurer et comprendre l’autocensure scolaire, LIEPP Report, décembre 2014 ; Pierre Vrignaud, L’évolution des intentions d’orientation et du choix professionnel au cours du collège : l’impact du genre et de l’origine sociale, Rapport du Cnesco, 2016
- 14Nadia Nakhili, « L’environnement scolaire, quels effets sur les aspirations « individuelles » ? : le cas de l’entrée dans l’enseignement supérieur », thèse de Sciences de l’éducation, Université de Bourgogne, 2007.
- 15Source : Observatoire des inégalités (2019). Le parcours d’une génération à l’école selon l’origine sociale. Disponible sur : https://www.inegalites.fr/parcours-generation-milieu-social?id_theme=17 [visité le 02/02/2022]
- 16Source :Observatoire des inégalités (2019). Le parcours d’une génération à l’école selon l’origine sociale. Disponible sur : https://www.inegalites.fr/parcours-generation-milieu-social?id_theme=17 [visité le 02/02/2022].
- 17Danièle Trancart, « L’évolution des disparités entre collèges publics », Revue française de pédagogie, n°124, 1998 ; Fanny Thomas, « Typologie des collèges publics », Education et Formations, n°71, 2005
- 18FELOUZIS Georges, « La ségrégation ethnique au collège et ses conséquences », Revue française de sociologie, 2003/3 (Vol. 44), p. 413-447. DOI : 10.3917/rfs.443.0413. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2003-3-page-413.htm.
- 19Depp, 2019 ; Marie Duru-Bellat, « Les dilemmes d’une orientation juste », L’orientation scolaire et professionnelle, n°41, 2012
- 20Olivier Meunier, « Orientation scolaire et insertion : approches sociologiques », INRP, 2008.
- 21Nina Guyon et Elise Huillery, Choix d’orientation et origine sociale : mesurer et comprendre l’autocensure scolaire, 2014
- 22Palmade J., L’incertitude comme norme. Identités et parcours professionnels, Paris PUF, 2003
- 23Mathias Millet, Daniel Thin, Ruptures scolaires. L’école à l’épreuve de la question sociale, PUF, 2005
- 24Paris, Seuil, 2019
- 25Joanie Cayouette-Remblière, « De l’hétérogénéité des classes populaires (et de ce que l’on peut en faire) », Sociologie, 2015/6, volume 4 ; L’école qui classe. 530 élèves du primaire au bac, Paris, PUF, 2016.
- 26Sabrina Foka et Patrick Werquin, « Choisir ou subir son orientation en fin de classe de troisième : les conséquences sur la performance des élèves de seconde professionnelle », XXVIèmes journées du longitudinal, Nov 2020, Toulouse, France. pp.747-760.
- 27Faguer, J.P., « Le baccalauréat E et le mythe du technicien », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°50, 1983, pp. 86-96.
- 28source : fiche réseau-canopé: La voie professionnelle; Faut-il suivre l’exemple de l’Allemagne ?
- 29Art. Cit.
- 30Jean-Paul Pin, Anne-Françoise Trollat, « Orienter et enseigner : des fonctions connexes ? », dans Jean-François Marcel éd., Recherches en éducation. Pratiques et apprentissages professionnels. Dijon cedex, Éducagri éditions, 2014