Le droit des familles en matière d’orientation est-il toujours bénéfique pour l’élève ?

1. La situation

Le professeur principal (PP) d’une classe de seconde anime une séance d’orientation en octobre 2022 afin de découvrir les envies de ses élèves et accompagner au mieux leurs vœux d’orientation (choix de séries et/ou de spécialités).

Une de ses élèves souhaite devenir avocate pour enfants. Son projet d’exercer dans ce domaine très précis du droit et de l’enfance résulte d’une découverte qui a eu lieu lorsqu’elle était au collège – elle a assisté à un procès lors d’une visite organisée. Il fait également sens à ses yeux, car ce métier correspond à ses centres d’intérêt.

Mais ses résultats aux tests de positionnement réalisés en début de lycée révèlent des grosses difficultés aussi bien en mathématiques qu’en français. Elles sont confirmées lors du premier conseil de classe par des moyennes faibles.

D’emblée, il y a une dissonance entre le métier désiré par l’élève et l’avis de ses enseignants qui estiment que sa capacité à réussir ce parcours de formation a de fortes chances de se terminer par un échec.

A la suite du conseil de classe, le professeur principal organise une deuxième séance d’orientation afin de voir si les élèves ont cheminé dans leur choix d’orientation. Lors d’un entretien individuel, l’élève renouvelle son souhait de faire du droit et de demander une 1ère générale. Au regard de ses résultats scolaires, le PP lui propose une solution alternative : le bac technologique STMG qui aborde le droit industriel et qui permet un cursus en licence de droit ou en BUT, l’idée étant de permettre à cette élève d’emprunter un parcours différent sans renoncer à ses domaines d’appétence.

En février, lors des choix de spécialités, l’élève ne formule pas de vœux dans la voie technologique et demande Mathématiques / Humanités, Littérature et Philosophie / Histoire-Géographie, Géopolitique & Sciences Politiques.

Ses choix de spécialité sont refusés au second trimestre, d’une part parce que d’un point de vue strictement scolaire, ses résultats montrent qu’elle n’a pas atteint les niveaux attendus, et d’autre part, parce que d’un point de vue psychologique, le conseil de classe estime que le choix d’un bac technologique serait émotionnellement et affectivement plus sécurisant.

Logiquement, le chef d’établissement demande à la PP d’organiser un rendez-vous avec la psychologue de l’Éducation nationale (psyEN), figure de compétence en matière d’orientation. L’idée étant que son expertise soit une source d’information supplémentaire, faisant potentiellement évoluer le projet de l’élève.

Malgré cette recherche de (ré)conciliation, ses parents refusent l’avis du conseil de classe et demandent un redoublement.

A la rentrée 2023, malgré son redoublement, les résultats de l’élève restent identiques (7.27 de moyenne sans les maths où elle a 1/20 !). Qui plus est, elle est maintenant absentéiste et en décrochage scolaire. Il est à noter cependant que son projet professionnel a évolué : elle souhaite devenir infirmière, accepte de poursuivre en 1ère technologique, mais refuse la filière conseillée ST2S, lui préférant la filière STL.

Un sentiment d’impuissance est ressenti par le professeur principal : l’élève a perdu une année scolaire. Ses parents semblent plus conciliants quant au choix d’une filière technologique pour leur fille, mais restent hermétiques à une réflexion partagée. Les demandes de rencontre du professeur principal sont esquivées, ses appels téléphoniques sont refusés et ses messages vocaux sont ignorés. La communication est bloquée.

2. Les questions que pose la situation 

Cette situation soulève plusieurs problèmes. Le premier est d’ordre sociologique. En effet, en lycée général et technologique, les attentes des parents sont très fortes et prégnantes en matière d’orientation. Ainsi, la filière générale bénéficie de l’image d’un prestige social et représente LA voie d’excellence, de celle qui offre le plus grand choix de possibles. Nous faisons ici l’hypothèse que les parents de l’élève – tous deux employés – y voient par comparaison, une élévation du niveau de qualification de leur enfant, et que par projection, leur fille a intégré que le bac technologique ne répond ni à leurs attentes ni aux siennes.

Cette variable interroge le point de vue, le rôle et la place des parents en matière d’orientation. Elle questionne aussi les critères mobilisés par les professionnels de l’éducation pour proposer une orientation. Pour rappel, nous avons vu précédemment que les résultats et l’atteinte des niveaux attendus pilotent les décisions d’affectation.

Toujours d’un point de vue sociologique, choisir un métier rattaché au domaine de l’enfance, quand on est une fille, confirme l’ancrage fort des représentations en matière d’orientation. Les déconstruire et changer les mentalités n’est pas chose simple, ce qui questionne la capacité des enseignants de faire prendre conscience à leurs élèves des facteurs qui influencent leurs choix d’avenir. Ici, l’enseignante d’EPS n’a ni une salle dédiée, ni un temps balisé sur l’emploi du temps de ses élèves pour mettre en œuvre des séances d’orientation.

Le second problème est d’ordre psychologique. En effet, son redoublement n’est pas profitable. Ses échecs répétés et le sentiment d’incompétence qui en découle ont altéré sa confiance en elle, son estime d’elle-même, sa sécurité affective. Ces aspects s’incarnent désormais par des absences et des niveaux attendus toujours pas atteints, prémisses d’un décrochage scolaire.

Ces répercussions s’étendent à la sphère familiale. Ainsi, ses parents sont passés d’une demande de redoublement qui n’a pas été bénéfique, à un désengagement. Ces faits nous permettent de relever une dissonance : renoncer, faire le deuil demande du temps, un temps que le calendrier contraint par des échéances ne permet pas. À cela s’ajoute un manque de formation des enseignants en matière orientation, car rassurer et mener des entretiens ne se décrète pas.

Le dernier problème est d’ordre dialogique. En effet, même si nous nous accordons tous à vouloir le meilleur pour cette élève, les points de vue divergent selon que l’on soit enseignant, proviseur ou parent. D’une part, il y a les enseignants qui traitent du cas spécifique et singulier d’une élève en difficulté scolaire. Leur proposition vise à sécuriser un parcours de formation et d’orientation en proposant une alternative à la voie générale. L’idée étant que bien réussir un bac technologique est préférable à réussir de justesse un bac général. Même si leur démarche est cohérente, il nous semble important de soulever plusieurs écueils. Tout d’abord, celui de la subjectivité des notes, qui finalement sont le résultat chiffré des apprentissages et non des processus engagés par l’élève pour progresser, mais également celui des notes – toujours – , retenues comme critère principal de sélection par les établissements du supérieur pour classer les candidatures. Intégrer une formation sélective – dont le nombre de place est limité – met de facto les élèves en concurrence.

De l’autre côté, il y a les parents qui ne suivent pas les recommandations du conseil de classe, et optent pour un redoublement. Cela signifie qu’ils étaient informés de l’existence de cette possibilité.

A l’interface se trouve le chef d’établissement qui, dans ce cas précis, ne parvient pas à convaincre les parents du bien-fondé de la décision du conseil de classe, et accède à la demande de droit des parents. En actant cette décision, le professeur principal se sent remis en cause dans sa mission de conseil et d’accompagnement. Dialogue de sourd et échec de la discussion illustrent ce sentiment.

3. Dimension réglementaire

Notre situation s’inscrit dans plusieurs cadres de référence.

D’abord, celui de la réforme du lycée (arrêté du 19/07/19) qui fixe les voies d’orientation à l’issue de la classe de 2de. Les lycéens choisissent alors de poursuivre leur formation soit en 1re générale, soit en 1re technologique.

Le cheminement qui préside les procédures liées à ce choix relève quant à lui du décret du 30 août 1985. Il stipule qu’à l’issue du premier ou second conseil de classe (selon que les établissements sont en trimestre ou semestre), l’équipe éducative émet un bilan provisoire relatif au choix de poursuite d’étude désiré par l’élève. Ce bilan a pour but de conduire à un dialogue étayé entre le professeur principal, l’élève et sa famille, et de proposer des pistes de remédiation.
A l’issue du dernier conseil de classe, l’équipe éducative examine les intentions définitives formulées par l’élève et sa famille et énonce une proposition définitive. Conformément aux articles D331-32 à D331- 35 du Code de l’éducation, il est à noter que s’agissant d’un palier d’orientation, la décision définitive d’orientation relève de la compétence du chef d’établissement.

Dans notre cas, la demande de redoublement de droit formulée par la famille, s’appuie sur les articles D331-62 à D331-64 du même Code qui ont été modifiés par l’article 16 du décret du 18 novembre 2014, relatif au suivi et à l’accompagnement pédagogique des élèves, qui précise que, pour les élèves des classes de 3ème et de 2de, «  lorsque la décision d’orientation définitive n’obtient pas l’assentiment des représentants légaux de l’élève ou de l’élève majeur, ceux-ci peuvent demander le maintien dans la classe d’origine  ».

Les textes réglementaires prescrivent un cadre et des procédures communes. En ce sens, ils garantissent le principe fondateur d’égalité des droits. Dans notre cas d’étude, nous pouvons remarquer que chacune des actions menées se rattache à un cadrage institutionnel : ici, le principe fondateur d’égalité est respecté. Pour autant, nous pouvons constater que le prescrit des textes n’est pas source de satisfaction pour le professeur principal (sentiment d’impuissance). Nous l’expliquons par le fait que le législateur se réfère à un élève abstrait, placé en face de professeurs non moins abstraits. Dans le même ordre d’idée, le prescrit et son corollaire qu’est l’autonomie relative laissée aux établissements pour organiser les mises en œuvre, donne lieu à des différences, donc à de l’iniquité.

4. Ce qu’en disent des collègues

Afin d’avoir le point de vue de plusieurs collègues, nous avons posé ces questions à deux professeurs, un d’histoire et un de technologie, ainsi qu’à trois psyEN.

Questions  :

  • 1. Qu’est-ce que t’évoque cette situation ?
  • 2. De par ton expérience, quelles solutions préconiserais-tu face à cette problématique ?
  • 3. Penses-tu que les dispositifs alternatifs comme les passerelles, le droit à l’erreur, sont des dispositifs qui fonctionnent bien ?
  • 4. D’autres réflexions ou idées qui te viennent à l’esprit face à cette situation problématique ?
  • 5. Penses-tu que le « redoublement » est suffisamment préconisé aujourd’hui pour les élèves en grande difficulté scolaire ? 1Extrait de la consultation en ligne « Exigence des savoirs : enseigner aujourd’hui et demain », mail d’Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco).
  • 6. A quelles conditions un redoublement est-il bénéfique ?
  • 7. Faut-il d’après-toi remettre en cause, à certains niveaux charnières, le « dernier mot » laissé aux familles en matière de passage au niveau supérieur  ? 2Extrait de la consultation en ligne « Exigence des savoirs : enseigner aujourd’hui et demain », mail d’Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco).
  • 8. Quel document aurais-tu utilisé pour asseoir la décision du conseil de classe ?

Voici un condensé de leurs réponses. Les retranscriptions des entretiens sont visibles en annexes.

  • 1. Qu’est-ce que t’évoque cette situation ?

Tous s’accordent à dire que la filière STMG mène bien au droit. Selon les psyEN, c’est une « situation classique ». Il faut que les parents et l’élève aient bien compris la différence entre les deux baccalauréats. Pour les professeurs, « la proposition du conseil de classe était cohérente ».

  • 2. De par ton expérience, quelles solutions préconiserais-tu face à cette problématique ?

Les psyEN ont tendance à aller dans le sens de la famille tandis que les enseignants se basent sur les résultats scolaires insuffisants pour aller en première générale. Ils pensent qu’il vaut mieux informer et pousser l’élève en dehors de ses retranchements.

Une des psyEN propose d’être moins ambitieuse et d’intégrer l’IFAS pour devenir aide-soignante car pour devenir infirmière, il y a de gros coefficient en sciences.

  • 3. Penses-tu que les dispositifs alternatifs comme les passerelles, le droit à l’erreur, sont des dispositifs qui fonctionnent bien ?

Les psyEN certifient que notre situation ne relevait pas de la passerelle la première année, elle aurait pu faire une licence de droit après le bac STMG, elle aurait même pu « faire sa licence en 4 ans au lieu de 3 pour faire une mise à niveau ».

Aujourd’hui, l’élève peut faire un stage passerelle au deuxième trimestre de seconde pour aller voir le bac pro A2SP. Il faudrait que ses parents en fassent la demande. Si le projet se confirme, le proviseur du lycée professionnel donnerait un avis favorable et, au mois de mai, l’élève formulerait son vœu pour aller directement en 1ère A2SP, qui permet aussi d’intégrer l’IFSI, mais il faudrait qu’elle se remotive et qu’elle retrouve un niveau correct en sciences.

  • 4. D’autres réflexions ou idées qui te viennent à l’esprit face à cette situation problématique ?

Une psyEN considère que les parents ont préféré qu’elle double car ils ont jugé que ça ne passerait pas en appel, et puisqu’elle a abandonné l’idée d’aller en général c’est qu’elle s’est rendue compte que le conseil de classe n’avait pas eu tort l’année précédente.

  • 5. Penses-tu que le «  redoublement  » est suffisamment préconisé aujourd’hui pour les élèves en grande difficulté scolaire  ?

Les collègues rapportent que les consignes étaient, auparavant, d’éviter au maximum les redoublements : ils étaient donc rarement proposés par les établissements, sauf en cas de problème de santé. Ils attendent les nouvelles consignes pour se prononcer.

Dans notre situation, le redoublement aboutit à un décrochage scolaire et de l’absentéisme. La demande en STL ou ST2S ne pourra sûrement pas aboutir car il y a encore moins de place qu’en STMG, donc le taux de pression est plus fort.

  • 6. A quelles conditions, un redoublement est-il bénéfique  ?

Pour les professeurs, « le redoublement est inutile sauf cas particulier  »  :

– élève hospitalisé ou fragilisé par un décès dans la famille

– élève ayant une prise de conscience au 2ème conseil

Tout le monde s’accorde à dire que le critère fondamental est alors la motivation de l’élève. Sans motivation, un doublement ne servira à rien. « Il vaut mieux lui conseiller une bonne 2de professionnelle, quitte à redemander après une 1re technologique  ».

  • 7. Faut-il d’après-toi, remettre en cause, à certains niveaux charnières, le « dernier mot » laissé aux familles en matière de passage au niveau supérieur ?

La proposition de laisser le dernier mot aux familles laisse dubitatif. L’annonce faite par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, devenu Premier ministre, n’a pour le moment pas été inscrite dans les textes. Les collègues ne se prononcent pas, ou se basent sur l’existant.

  • 8. Quel document aurais-tu utilisé pour asseoir la décision du conseil de classe  ?

Une psyEN auraient utilisé les documents qui décrivent le bac STMG sur le site de l’Onisep pour voir les débouchés et le pourcentage de réussite que l’on trouve aussi sur Parcoursup. Un autre propose de faire des immersions et de se rendre aux portes ouvertes.

Il existe donc une vision plurielle de l’orientation : les différents acteurs ne s’accordent pas toujours. Ils n’ont également pas les mêmes connaissances des formations et des filières. Le monde éducatif se base sur les résultats scolaires et le comportement, tandis que l’élève et sa famille, mais aussi parfois les psyEN, se basent plus sur les compétences. Ils pensent que l’élève aura les capacités pour rebondir. Les émotions sont plus prégnantes et présentes.

5. Les ressources universitaires

Afin de situer notre étude dans un ensemble plus vaste que celui de la classe et de l’établissement, nous nous sommes référées à un document produit par la DGESCO, intitulé Les repères pour l’orientation et l’affectation. Nous y avons appris qu’au palier seconde, en 2022  :

  • – il y avait 66 % de décisions d’orientation en 1ère générale contre 29,8 % en 1ère technologique dont 16,3 % en 1ère STMG.  
  • – le taux de redoublement à la fin de la classe de 2de était de 0,3 %.
  • – il y avait eu 4 % de désaccord par rapport aux décisions prises par le conseil de classe sur le total des demandes des familles. 3DGESCO. Les repères pour l’orientation et l’affectation. Paris : Direction générale de l’enseignement scolaire, 2022.

Finalement, nous pouvons dire que notre élève souhaite poursuivre en 1ère générale comme la majorité des élèves qui composent sa cohorte. Quelles stratégies sous-jacentes sont à l’œuvre au moment du choix ? Se structurent-elles dans une perspective de « en vue de » ou de « parce que » ? Pouvons-nous en déduire que notre élève, au même titre que ses camarades, a une vision utilitariste et/ou adéquationniste de l’école ? Dans ce cadre, où se situe la notion de plaisir ? Nos lycéens privilégient-ils davantage l’épanouissement différé à un bien-être immédiat ?

A l’inverse, nous pouvons dire qu’en faisant valoir son droit à se maintenir en seconde, notre élève se situe à la marge. Ce qui nous fait nous demander : Pourquoi si peu d’élèves demandent à redoubler ? Est-ce à imputer à un manque de connaissance de cette possibilité, à sa quasi-disparition dans le 1er degré et au collège ? Pourquoi les membres du conseil de classe ne lui proposent pas le redoublement ? Est-ce du fait du décret du 20/02/18 qui recommande le caractère exceptionnel du redoublement en confiant la décision au chef d’établissement sur proposition du conseil de classe ? Cela reviendrait-il à admettre l’échec de leur pédagogie ?

Enfin, que nous révèlent les désaccords entre les décisions du conseil de classe et les souhaits de parents ? Pour éclairer notre réponse, nous nous appuierons sur les travaux de Paul Lehner et Clément Pin dans Pour une approche socio-historique des politiques d’orientation. Les auteurs constatent que « la réforme de l’orientation impulsée par le ministre Jospin, qui place au premier rang de ses priorités l’obligation d’un dialogue censé réduire l’écart entre les propositions des conseils de classes et les choix des familles mais aussi celle de substituer une « orientation verdict » par une « orientation conseil » en accompagnant les élèves dans la préparation de leur projet scolaire et professionnel ». N’est-ce pas une vision très, voire trop lissée de l’orientation ? De celle où cheminer ensemble, éclairer les choix, comprendre les attentes, faire émerger des besoins, le tout de manière démocratique (responsabilité partagée avec les parents) est aisé ? Quid des moyens ? Quid de cette mission qui n’est pas le cœur de métier des enseignants et pour laquelle ils ne sont pas formés ? Quid des psyEN et de leur nombre insuffisant ?

Pour affiner notre analyse, nous nous référerons à l’ouvrage d’Hélène Buisson-Fenet (2005) qui soulève la problématique suivante  :

« Vaut-il mieux laisser passer ou empêcher ? Quels risques les acteurs éducatifs font-ils encourir aux usagers, fondés sur quelles incertitudes du processus général d’orientation, et dans quelle mesure est-il possible de rationaliser la décision finale ? Par-delà les principes réglementaires ou coutumiers qui formalisent l’orientation, comment comprendre les divergences récurrentes d’acteurs éducatifs hétérogènes autrement que par leur opinion ? ». 4Buisson-Fenet, H. Des professions et leurs doutes : procédures d’orientation et décisions de « réorientation » scolaire en fin de seconde. Sociétés contemporaines. 2005, n° 59-60, p. 121-139. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/publications-de-Hélène-Buisson-Fenet–9868.htm Par-delà la diversité des situations locales, l’auteur révèle les règles d’action standards de la procédure d’orientation. La première de ces règles renvoie à la « progressivité du processus» : l’orientation équivaut à une dynamique au cours de laquelle le choix des élèves se construit à partir d’informations sur les filières et leurs débouchés professionnels, se précise avec la considération de leurs résultats scolaires, et s’affermit ou se modifie suivant la continuité de ces résultats. Toute rupture avec la linéarité et la régularité de ce processus est conçue comme un malentendu sur l’orientation, voire une mésorientation  : « Quelque chose ne fonctionne pas lorsque l’élève en difficulté est à la limite du réalisme au premier trimestre lorsque tu lui demandes ce qu’il veut faire plus tard, et que rien ne change dans son vœu provisoire, et rebelote pour le vœu définitif. Tu te dis qu’il n’a rien appris dans l’entre-deux, ou alors qu’il se bloque sur un désir immature, qu’il n’a pas fait le chemin. Et c’est d’autant plus risqué pour une orientation raisonnable, parce qu’il nous donne beaucoup moins d’outils pour le connaître, et la décision est plus risquée.  » Conseiller d’orientation-Psychologue, 45 ans, lycée Cézanne.

Cette progressivité du processus renvoie aux mécanismes cognitifs qui sous-tendent les prises de décision, donc à la réflexivité, à la conscientisation. Elle se mesure en termes de gains ou de bénéfices versus pertes et dépens. Elle impose de laisser le temps à la maturation. Compte tenu de ces caractéristiques, pourquoi l’envisager de façon linéaire, alors qu’il est communément admis qu’apprendre à se connaître n’est pas un processus linéaire qui va du simple au complexe, mais plutôt un processus fait de ruptures nourries par des expériences diverses ? Comment accéder à l’invisible que sont la conscientisation et la réflexion ? Qu’est-ce qu’un risque raisonnable ? Qu’ont les élèves à apprendre, à perdre ou à gagner de leurs erreurs ? Qu’est ce qui fait que certains ne parviennent pas à se situer, à rebondir et se projeter ? Quelles expériences auraient pu être mises en place ? Immersion, stage en entreprise, rencontres avec des professionnels…? Est-ce faisable de dégager ces temps compte tenu de la lourdeur des programmes, de la pression des examens ? Comment mobiliser un ensemble d’acteurs ?

« Une deuxième règle consiste dans la collégialité des décisions. Présentée comme le résultat immédiat de l’évaluation agrégée de chacun des enseignants (chacun a son mot à dire, puisque chacun produit une note moyenne), elle est aussi invoquée comme un moyen de mutualiser la responsabilité de la décision d’orientation  ».

Cette collégialité peut être discutée. En effet, que signifie-telle ? Consensus ? Toutes les disciplines ont-elles le même poids ? De la même manière un autre aspect nous questionne : il s’agit des notes comme unique biais de décision. Pour caricaturer, une élève dans la meilleure 2de d’un lycée réputé de centre-ville, ayant des notes moyennes et un avis défavorable, aurait-elle obtenu les mêmes notes et le même avis si elle avait été dans une classe où beaucoup d’élèves rencontrent des difficultés d’apprentissages, dans un lycée REP ?

Si l’ouvrage d’Hélène Buisson-Fenet (2005) dont l’objet d’étude nous éclaire sur la participation de chacun dans les procédures d’orientation, à l’inverse il ne nous renseigne pas sur leur degré implication. Pour en rendre compte, nous nous appuierons sur les travaux de Paul Lehner et Clément Pin (2024) qui aborde « le mandat des professeurs principaux ». Cet enseignant qui occupe une place à part, qui est un interlocuteur privilégié en matière d’orientation, a vu « un élargissement de ses missions » à la faveur de l’éducation à l’orientation. 5Lehner, P., Pin, C. Parcoursup et l’introduction de la sélection à l’université. Éducation et Socialisation. 2024, n° 72, p. Comment expliquer cet élargissement, alors qu’il y a des psyEN ? En terminale, s’il est vrai que son cursus universitaire lui confère une certaine légitimité, selon nous, sorti de la voie qu’il a lui-même expérimenté, la qualité et la pertinence de ses retours seront à mettre sur le compte de son investissement personnel. Conseiller, accompagner, suppose donc que le PP travaille en collaboration avec la psyEN.

6. Pistes de résolution de la situation

Nous pouvons envisager plusieurs pistes de résolution de la situation.

Tout d’abord, il faudrait qu’une rencontre ait rapidement lieu entre l’élève accompagnée de ses parents et l’équipe éducative dont le PP et le psyEN afin de faire un bilan de la situation actuelle. Il est important que les parents s’impliquent à nouveau. Le travail doit être collaboratif. Si le psyEN ne peut être présent du fait de son emploi du temps chargé, ils devront se rendre au Centre d’Information et d’Orientation (CIO) le plus proche.

Le plus urgent est qu’elle retourne en cours régulièrement et qu’elle comprenne l’utilité des différents enseignements pour atteindre une orientation désirée. Elle pourrait bénéficier du dispositif Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire et faire des stages pour se rendre compte des attendus dans les différentes filières envisagées  : STL, ST2S et même STMG. Il faut aussi qu’elle se rende aux différentes portes ouvertes.

Il faut qu’elle prenne ses responsabilités quitte à la secouer un peu pour qu’elle comprenne la situation. Elle risque de perdre une nouvelle année. Soit elle remonte ses notes en sciences, soit elle va se voir refuser les séries STL et ST2S en conseil de classe.

Si elle ne s’en sent pas capable, on pourrait lui proposer de faire un stage passerelle au deuxième trimestre de seconde pour aller voir le bac pro A2SP afin de rejoindre directement la 1ère A2SP en lui demandant d’être moins ambitieuse et de tenter l’IFAS (aide-soignant).

Enfin, la filière STMG reste aussi envisageable puisqu’elle est moins sous tension.

Tout cela va se faire dans l’urgence. Dans un monde idéal, il faudrait anticiper toutes ces situations problématiques en donnant du sens aux apprentissages, en formant d’avantage des enseignants et notamment les PP, en faisant de la co-éducation afin de laisser leur place aux parents et surtout en commençant bien en amont l’éducation à l’orientation. Il faut réussir à communiquer une information plus complète et concrète de l’orientation, des filières et métiers. L’ouverture des champs des possibles est un objectif mais il faut aussi responsabiliser les élèves afin qu’ils fassent des vœux atteignables. Cela implique que l’on accorde du temps à l’enseignement à l’orientation et que l’on individualise les parcours. Il faudrait envisager des tutorats par des élèves du supérieur.

7. Prendre parti

Si je devais traiter ce cas complexe, en tant que professeur documentaliste, je proposerais à l’élève de venir au CDI afin de faire ou refaire les tests de positionnement de GPO pour voir quel secteur professionnel ressort le plus entre le droit ou la santé. En fonction des résultats, je l’inviterais à se renseigner soit sur la filière STMG, soit A2SP. Enfin, je lui conseillerais fortement de reprendre un rendez-vous avec la psy-EN en essayant de convaincre ses parents de l’y accompagner.

Dans notre cas, le droit des familles n’a pas été bénéfique pour l’élève concernée, ce qui corrobore les hypothèses des études scientifiques relatives à ce sujet. Ce que nous retenons, c’est qu’il y a une confusion entre formation, secteur d’activité et métier, pour l’élève comme pour sa famille. Nous pensons qu’un rendez-vous avec le PsyEN aurait été opportun afin d’éclairer et de rationaliser les choix.

En lycée professionnel, nous sommes moins confrontés à des désaccords de cette nature : les parents font davantage confiance aux enseignants. 

Annexes 

Retranscriptions des entretiens

Réponses :

1. Pour Diane, professeure d’histoire-géographie et Laurent, professeur de technologie, la proposition du conseil de classe est cohérente : STMG vers droit.

Pour Hélène, psychologue Éducation nationale : « il n’y a pas de passerelle, ils peuvent faire une licence de droit », « il peut demander à faire sa licence en 4 ans au lieu de 3 pour faire une mise à niveau ». « Les parents demandent le redoublement. Déjà, ils peuvent faire appel de la décision et aller en commission d’appel »

« Pour devenir infirmière, tu peux faire STL, il y a beaucoup de sciences (gros coefficient à conseiller si l’élève est à l’aise en sciences il y a même des classe prépa pour devenir véto après ou devenir ingénieur en bio), tu peux faire ST2S (paramédical derrière) »

« 1 en maths pour faire infirmière, ça va être compliqué aussi »

« Si c’était le droit son projet, il faudrait aussi essayer de la convaincre car STMG peut aussi mener au droit »

« Puisqu’elle a abandonné l’idée d’aller en général c’est qu’elle s’est rendu compte que le conseil de classe n’avait pas eu tort l’année d’avant »

C’est une situation classique.

Il faut que les parents et l’élève aient bien compris la différence entre les deux baccalauréats.

2. Hélène « c’est délicat sans avoir le bulletin sous les yeux » « points forts, points faibles » « l’avis du conseil de classe par rapport à la première générale s’est basé sur les résultats » « je pense que le professeur principal n’avait pas eu une mauvaise idée car STMG peut tout à fait mener au droit »

« Pour booster l’élève lui dire « maintenant qu’est-ce que tu fais ? » parce que s’ils refusent STL, ST2S… »

Je suis la demande de maintien de la famille

3. Hélène « C’est vraiment au cas par cas »

Il n’y pas de passerelle dans cette proposition

4. Hélène « Elle a préféré doubler c’est qu’elle a dû juger que ça ne passerait pas en appel, sinon elle serait allée en appel », « le problème c’est que s’il y a décrochage scolaire et absentéisme, STL et ST2S, ça va être compliqué aussi d’autant plus qu’il y a moins de place qu’en STMG donc au niveau du taux de pression, pour être prise ça va être compliqué parce que c’est sur résultats scolaires et avis du conseil de classe donc si en sciences ça ne va pas, ça risque de ne pas passer »

« Est-ce que c’est judicieux de faire ça et si vraiment c’est la chute libre lui proposer de faire un stage passerelle au deuxième trimestre de seconde pour aller voir le bac pro A2SP » « à la demande de la famille pour une réorientation en voie pro en fonction du projet de l’élève, le proviseur du lycée se met en relation avec le proviseur du lycée pro, l’élève va aller passer quelques heures, quelques journées, une semaine en A2SP ; si le projet est confirmé, le proviseur du lycée pro va envoyer un avis favorable et quand l’élève, au mois de mai, va formuler son vœu pour aller directement en 1ère A2SP, il aura un bonus qui s’ajoutera à ses notes mais il faut qu’il est à l’esprit que les notes de seconde vont compter et il faut qu’il y ait de la place  parce que seront toujours prioritaires les secondes pro montant » « avec A2SP, on peut aussi intégrer l’IFSI mais maintenant on est à 3 ans après le bac et c’est plus costaud au niveau sciences »

« Il faut la rebooster quitte à être moins ambitieuse et tenter l’IFAS (aide-soignant) »

5. Hélène « Il fallait au maximum éviter les redoublements donc on va voir maintenant comment ça se passe maintenant que … »

Le redoublement est rarement proposé par l’établissement sauf problème de santé. Dans mon lycée, on aurait peut-être même proposé une voie pro

6. Le redoublement est inutile sauf cas particulier (élève hospitalisé, décès dans la famille l’ayant fragilisé selon Diane ; pour élève ayant une prise de conscience au 2ème conseil et dont les notes augmentent fortement sans que cela soit suffisant au 3ème selon Laurent)

Hélène « Pour des élèves qui avaient raté une année à cause de souci de santé ou autres » « ça peut marcher ou pour les autres, non » « Si c’est pour un gamin qui a un projet bien défini derrière et qu’il lui faut vraiment absolument doubler pour remonter ses notes pour être pris ça peut être profitable » « en même temps si on sait que c’est un gamin dont on sait qu’il dit qu’il sera motivé et que ça ne passera pas c’est un doublement qui n’aura servi à rien : il vaut mieux lui conseiller une bonne seconde pro quitte à redemander après une première techno ». Que l’élève soit motivé

7. Hélène silence. Diane : ça n’existe pas le dernier mot aux familles

8. Hélène « Les documents qui décrivent le bac STMG sur le site de l’Onisep, tu vois les débouchés derrière et le pourcentage de réussite. Tu peux aussi aller sur Parcoursup, par fiche formation, tu as le taux de réussite par filière… ».

Diane : Immersion / portes ouvertes

  • 1
    Extrait de la consultation en ligne « Exigence des savoirs : enseigner aujourd’hui et demain », mail d’Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco).
  • 2
    Extrait de la consultation en ligne « Exigence des savoirs : enseigner aujourd’hui et demain », mail d’Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco).
  • 3
    DGESCO. Les repères pour l’orientation et l’affectation. Paris : Direction générale de l’enseignement scolaire, 2022.
  • 4
    Buisson-Fenet, H. Des professions et leurs doutes : procédures d’orientation et décisions de « réorientation » scolaire en fin de seconde. Sociétés contemporaines. 2005, n° 59-60, p. 121-139. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/publications-de-Hélène-Buisson-Fenet–9868.htm
  • 5
    Lehner, P., Pin, C. Parcoursup et l’introduction de la sélection à l’université. Éducation et Socialisation. 2024, n° 72, p.
S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Proposer une analyse complémentaire

Merci de vous identifier ou de créer un compte gratuit pour contribuer à la plateforme GPS Educ'.

Table des matières

Auteur/autrice de la publication
Les analyses complémentaires
Il n’y a pas d’analyse complémentaire pour cette situation. Vous pouvez en proposer une en remplissant le formulaire en bas de page.
Télécharger
Mots-clés
Forum
Partager

Pourquoi proposer une analyse complémentaire ?

  • rectifier ou préciser une information donnée dans le texte ;
  • identifier de nouveaux enjeux et/ou développer certains enjeux peu explicités dans l’analyse initiale (en lien avec l’item « Les problèmes posés par la situation ») ;
  • ajouter des références à de nouveaux textes réglementaires susceptibles d’apporter de nouveaux éclairages à l’analyse de la situation (en lien avec l’item « La dimension réglementaire ») ;
  • ajouter des références à de nouveaux textes de recherche susceptibles d’apporter de nouveaux éclairages à l’analyse de la situation (en lien avec l’item « Des ressources universitaires ») ;
  • ajouter des résultats d’enquêtes menées auprès d’autres enseignants, personnels travaillant dans l’établissement, parents, élèves… (en lien avec l’item « Ce qu’en disent des collègues et d’autres acteurs ») ;
  • contribuer à la définition des pistes de résolution (en lien avec l’item « Pistes de résolution de la situation ») ;
  • prendre parti sur la base des ajouts/modifications effectuées (en lien avec l’item « Prendre parti »).

Table des matières