1. La situation
Les événements qui vont être décrits se sont passés en 2022-2023 dans un lycée de la région Nord qui est entré dans le cadre de l’Education Prioritaire, et pendant de nombreuses années déclaré Zone Sensible. Le lycée reçoit un millier d’élèves et étudiants de la seconde au BTS et regroupe les voies générale, technologique et professionnelle. La population de l’établissement ne connaît pas de mixité sociale ; les classes sociales représentées par les familles des élèves sont le plus souvent défavorisées.
La classe où se trouve l’élève S. et dont je suis professeure principale est une classe de seconde générale et technologique. L’effectif de la classe est d’environ 20-22 élèves, ce qui correspond aux effectifs légers (comparativement à d’autres lycées) de ce type d’établissements. Les élèves viennent de différents collèges de la ville et peu se connaissent déjà.
En tant que professeure principale, je constate que l’élève S., née en 2007, se montre peu intégrée dans la classe. Elle est à part dans la classe et je ne la vois pas bavarder ou socialiser avec ses camarades (en classe, du moins) même au bout de plusieurs semaines. Je note qu’elle est très attentive au cours, à tout ce que fait ou dit le professeur. Elle a une attention remarquablement soutenue, du moins, elle en donne toutes les apparences. De plus, lors de la réunion de rentrée où sont conviés les parents d’élèves, la mère de cette jeune fille avait été l’un des rares parents présents, ce qui me laisse penser que cette mère suit avec attention la scolarité de sa fille, ce qui, pour un professeur principal, est toujours rassurant.
S. se met devant en classe, prend assez facilement la parole et je constate très vite que son élocution est souvent maladroite. Elle mélange les lettres à l’oral, sa prononciation est gutturale, comme si elle était légèrement malentendante, et on sent qu’articuler représente un effort physique pour elle. Je suis néanmoins soulagée de voir que les camarades ne se moquent pas d’elle.
Au bout des 2 ou 3 premières semaines de cours, je lui demande en fin d’heure si elle a des besoins particuliers. Elle me répond que non. Je lui demande si elle a eu des séances d’orthophonie et elle me répond que oui, mais qu’elle a arrêté car ce n’était pas nécessaire.
Quelques semaines plus tard, au vu des résultats qui ne décollent pas (10 de moyenne générale au T1, dont 5 en français et 7 en maths), je m’inquiète et je pense à des problèmes cognitifs, de compréhension et d’apprentissages. J’appelle la mère pour évoquer les résultats scolaires et les difficultés perceptibles en classe. La mère répond que sa fille ne se plaint pas particulièrement, et que les séances d’orthophonie n’ont plus lieu d’être. Je ne sais pas trop quoi faire, car à part moi, personne n’est inquiet : je me dis donc que je m’inquiète peut-être pour rien. Je pense aussi que j’ai fait mon travail en informant les parents. Cependant les résultats ne cessent de se dégrader et les absences, importantes sans être inquiétantes au premier trimestre, prennent un tour préoccupant à partir de novembre.
Trimestre 1 | Trimestre 2 | Trimestre 3 | |
Nombre de demi-journées d’absences non justifiées | 17 | 41 | 66 |
Moyenne générale en français | 5 | 2 | 1 |
Moyenne générale en mathématiques | 7 | 1 | 1 |
Moyenne générale | 10 | 7 | 4 |
Moyenne générale de la classe | 11 | 10 | 10 |
Tableau de l’évolution des résultats scolaires de S. et de son absentéisme en classe de seconde
En janvier 2023, la famille fait les vœux provisoires suivants :
1- 1re STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion)
2- Voie PRO/Assistance à la gestion des organisations et de leurs activités (AGOrA)
Je n’ai pas de trace des vœux définitifs demandés par la famille ; il est donc probable que la procédure “papier” ait été utilisée par la famille pour émettre ses vœux. Ce qui est sûr, c’est que le conseil de classe du troisième trimestre a donné un avis favorable aux deux vœux, dont l’un vers la filière STMG, en vertu de la règle qui indique que la filière technologique est de droit quand elle est demandée par la famille. La famille a opté pour la 1re STMG en dernière instance. L’orientation vers la voie professionnelle avait été fortement conseillée à l’élève entre autres par la PSY-EN qui a rencontré l’élève, avec beaucoup de difficultés, du fait de ses nombreuses absences.
J’ajoute que mes contacts avec la famille ont été très difficiles car j’ai dû laisser de nombreux messages sur la boîte vocale de la mère en n’étant rarement ou pas du tout rappelée (je ne disposais que d’un numéro de portable, le même pour les deux parents). J’ai dû passer par une tante qui avait laissé ses coordonnées sur Pronote à qui j’ai pu parler de vive voix pour obtenir un retour de la part de la mère. Je n’ai pas d’informations notables sur la situation personnelle de S. : je crois savoir que les parents ne sont pas séparés et travaillent tous les deux (commerçants sur des marchés, si je me souviens bien).
L’année suivante, en 2023-2024, S. est bien affectée en 1re STMG dans le même lycée et je la retrouve cette année parmi mes élèves, mais cette fois-ci, je ne suis plus sa professeure principale. J’ai un sentiment mitigé en la voyant parmi mes élèves, car je connais son passif et de plus, elle se trouve dans une classe qui a posé des problèmes de comportement très tôt dans l’année (jets de projectiles, fumigènes dans la classe, élèves qui fument du puff en classe, insolence en tout genre, absence de matériel basique tel que cahiers, absence de travail, et des suspicions de harcèlement). La situation a été éprouvante pour les enseignants et pour la minorité d’élèves qui était présente pour travailler jusqu’à janvier 2024, où les mesures mises en place par le professeur principal et la CPE, épaulés par la direction, portent leurs fruits.
Cette ambiance délétère a fragilisé encore davantage les élèves qui ont besoin d’un cadre serein pour avancer dans les apprentissages et comme on peut s’en douter, S. a très vite repris son absentéisme (déjà important en seconde alors que la classe était très calme).
Trimestre 1 | Trimestre 2 | Trimestre 3 (à la date du 17 mai) | |
Nombre de demi-journées d’absences non justifiées | 23 | 61 | 46 |
Moyenne générale en français | 2 | 1 | 5 |
Moyenne générale en mathématiques | 3 | 8 | Pas de notes |
Moyenne générale | 7 | 8 (non représentatif, du fait d’un 20 en EPS non représentatif de l’aveu de l’enseignant) | 7 |
Moyenne générale de la classe | 10 | 10 | 8 |
Tableau de l’évolution des résultats scolaires de S. et de son absentéisme en classe de première STMG
En conclusion, à l’heure actuelle, S. est en situation d’échec scolaire et son absentéisme se poursuit en 1re STMG.
2. Les questions que pose la situation
Le problème principal posé par cette situation est l’échec scolaire que vit S. et son absence d’insertion dans la dynamique scolaire que représente son absentéisme. Je parle d’échec scolaire parce que ses résultats témoignent d’une difficulté à suivre les apprentissages attendus pour son âge. Elle ne réussit pas à apprendre alors que l’objectif de sa scolarisation est de la former intellectuellement pour qu’elle soit à même de s’intégrer dans le tissu socio-professionnel, en l’occurrence après une formation supérieure courte puisque c’est la suite naturelle d’études de la voie technologique. Or, c’est manifestement déjà très difficile pour elle. L’absentéisme découle de ses difficultés d’apprentissages et, à la manière d’un cercle vicieux, l’éloigne encore davantage de la réussite scolaire.
Cet échec scolaire est aussi le mien puisqu’en tant que professeure principale chargée de l’orientation, je n’ai pas réussi à convaincre S. et sa famille de choisir la voie professionnelle, et ce faisant, c’est aussi à mon sens, l’échec de toute la communauté éducative : CPE qui était au courant de l’absentéisme de S., proviseur (qui joue un rôle dans l’orientation définitive dans la mesure où il peut recevoir les parents après décision du conseil de classe et qui, déjà, lors du conseil de classe est responsable de la décision d’orientation, et qui enfin, suit la directive officielle qui lui permet d’accepter le vœu technologique de l’élève) et le rectorat qui autorise le passage en voie technologique de droit dès lors qu’il est explicitement demandé par la famille, et laisse les acteurs de terrain se débrouiller pour essayer de convaincre les parents que ce n’est pas une bonne idée.
A mon avis, il y a cinq acteurs avec lesquels je devais travailler et cette synergie s’est révélée inexistante ou inefficace.
Tout d’abord, l’élève elle-même. J’ai alerté très tôt S. sur les difficultés qu’elle me semblait rencontrer, confirmées par les résultats, sans parler de ses problèmes d’élocution qui ne peuvent qu’entraver une insertion socio-professionnelle optimale. Je ne dis pas que ce dernier point est essentiel, mais il est évident que si cette jeune fille se présente à un entretien, son problème d’élocution risque de surprendre ses interlocuteurs. Il faut qu’elle puisse soit y remédier, soit l’assumer. Ce qui me gêne dans sa situation, c’est qu’elle fait comme s’il n’existait pas. Concernant ses problèmes d’apprentissage, je n’ai pas su quoi lui conseiller, mais je pense qu’inconsciemment, je me disais que si elle avait accepté de reconnaître qu’il y a avait un problème, cela aurait été un indice de sa prise de conscience que quelque chose n’allait pas dans sa scolarité. C’est comme si je m’étais dit : ”Puisque cette jeune fille suit la politique de l’autruche, faisons comme elle.” Ce n’est pas très glorieux mais je pense vraiment que j’ai suivi une pente du moindre effort, en me disant que je l’avais sensibilisée à plusieurs problèmes et que si elle ne voulait pas agir, c’était tant pis pour elle.
Les seconds acteurs sont les parents. J’avais une bonne image de ces derniers, car la mère s’était déplacée à la réunion de rentrée et cela m’avait fait croire que les parents suivaient la scolarité de leur fille avec attention. Cet élément a endormi ma vigilance et j’ai dû me dire que les soucis rencontrés par S. dans sa scolarité antérieure étaient connus de la mère et que donc, je n’avais rien à faire. Elle avait déjà dû se préoccuper de régler tous types de problèmes qui auraient pu se poser.
De ce fait, quand je l’ai appelée en octobre pour lui parler des séances d’orthophonie, je lui ai fait confiance quand elle m’a dit que S. en avait déjà bénéficié (confirmant ainsi les propos de l’élève) mais qu’il avait été décidé – par qui, je ne m’en souviens plus – que ces séances n’étaient plus nécessaires. N’étant pas une professionnelle du paramédical, je n’ai pas insisté et je me suis satisfaite de cette réponse. Quant aux résultats scolaires, je ne sais plus ce qu’elle m’a dit, mais l’essentiel est que je me sois dit que j’avais fait mon travail et que je ne pouvais pas faire plus qu’informer la mère des difficultés scolaires de sa fille. A posteriori, je pense que comme pour S., j’ai suivi la politique de l’autruche, que suivaient déjà S. et sa mère. J’ajoute que je n’ai eu aucun contact avec le père. J’aurais dû demander à l’infirmière ou la PSY-EN de la voir dès le premier trimestre pour tirer cette histoire d’orthophonie au clair.
Le troisième acteur est la CPE. A aucun moment, je ne me suis pas préoccupée de la contacter. J’estimais que le problème d’absentéisme était de son ressort et que je n’avais pas à le régler. Cela dit, j’aurais pu lui parler des autres problèmes de S. Je ne l’ai pas fait car je n’avais pas confiance en elle. En effet, quand j’ai commencé à être professeure principale il y a environ 8 ans, je travaillais avec une autre CPE avec laquelle je m’entendais très bien. Cette collègue a changé de région et a été remplacée par une nouvelle CPE. La relation de confiance a eu du mal à se mettre en place car avec l’ancienne collègue, les rencontres se faisaient régulièrement et de façon fluide, pas toujours organisées longtemps à l’avance, et souvent c’était elle qui me sollicitait pour un rendez-vous que j’acceptais toujours. J’étais tenue au courant des situations compliquées de certains élèves et elle savait compter sur ma discrétion pour que les informations sensibles soient prises en compte sans être divulguées inutilement. Avec la nouvelle collègue, j’ai eu l’impression qu’elle faisait de la rétention d’information. J’apprenais certains éléments au conseil de classe, comme les autres professeurs. Elle ne me sollicitait pas pour qu’on se voie. L’élément qui a fait basculer de façon définitive la vision que j’avais d’elle est un incident qui s’est produit il y a deux ans : elle a convoqué une élève qui était très absentéiste et dont j’étais professeure principale. J’ai voulu assister à l’entretien et lors de ce dernier, la jeune fille est restée très silencieuse. La CPE a alors demandé à l’élève si ma présence était un frein à sa parole et l’élève a répondu oui. Je suis donc sortie et je suis restée devant la porte, à attendre la fin de l’entretien. Ce dernier s’est prolongé et a débordé sur la récréation. A la fin de cette dernière, alors qu’il n’était toujours pas fini, je donnais cours et j’ai donc dû partir rejoindre ma classe.
Non seulement la CPE n’est pas sortie de son bureau pour me libérer au vu de la durée de l’entretien, ce que j’ai très mal pris, mais je n’ai pas eu d’excuses de sa part a posteriori. Pire encore, je n’ai pas eu de retour sur les propos de l’élève. Je fais confiance au CPE pour déterminer la teneur des situations qu’il peut divulguer, mais j’attendais tout de même un retour bref et superficiel, type problème de santé de l’élève, mésentente avec les parents ou entre les parents, membre de la famille gravement malade, etc., bref un élément qui me permette d’évaluer la gravité de la situation. Ce manque de coopération m’a affectée et j’ai décidé depuis lors de me passer de la CPE.
L’année suivante, j’ai quand même sollicité un rendez-vous avec ellepour discuter de la classe dont nous étions en charge toutes deux. Ce rendez-vous a été reporté plusieurs fois et quand il a enfin failli avoir lieu, la CPE m’a demandé au téléphone pour quelle raison au juste je voulais la voir. Je lui ai répondu que je voulais un échange d’informations, et elle m’a répondu que si j’avais des informations à lui donner, on pouvait faire ce rendez-vous mais qu’elle, de son côté, n’avait rien à me dire. Quand j’ai entendu ça, je lui ai répondu que dans ce cas-là, ce n’était pas la peine qu’on se voie.
De ce fait, je ne ne sais pas si un rendez-vous entre la CPE et S. a eu lieu, je ne sais pas si elles ont pu parler des absences ou du reste : je n’ai eu aucun retour et n’en ai pas demandé non plus.
Le quatrième acteur est la PSY-EN. Cette dernière passe une heure en décembre ou janvier avec chaque classe de seconde pour faire un bref topo sur l’orientation post-seconde. En-dehors de ce moment-là, les élèves ne la voient pas sauf si le professeur principal ou le CPE organise un rendez-vous avec elle pour un élève en particulier. Je n’ai donc pas vraiment l’habitude de travailler avec elle. Je me contente de lui renvoyer les cas compliqués pour moi (ex : élèves qui sont tentés par la voie professionnelle, élèves qui ne savent pas du tout quoi demander après la seconde et qui n’ont pas les résultats suffisants pour rester en voie générale, qui ne savent quelles spécialités demander, etc.). S. faisait partie de ces cas que je voyais un peu trop fragiles pour aller en voie technologique : j’ai donc demandé à la PSY-EN de la recevoir. Du fait de l’absentéisme très important de S., la PSY-EN a eu beaucoup de mal à la voir. Enfin, à la suite de l’entretien, S. a envisagé l’hypothèse de la voie professionnelle, puisque cette dernière fait partie des vœux provisoires demandés en janvier. Je rappelle que je n’ai plus de trace des vœux définitifs. Je pense là encore que la PSY-EN a fait son travail. Je ne sais pas ce qui s’est dit durant l’entretien mais elle a dû la convaincre que l’option de la voie professionnelle pouvait être une solution pour elle. Cependant, personne ne pouvait la forcer à la demander, ni à s’y tenir.
Enfin, le dernier acteur est le proviseur. Il – ou son adjointe – préside le conseil de classe, et la décision d’orientation est donc prise par lui, en s’appuyant sur les avis des enseignants bien entendu. Lors du dernier conseil de classe, il a bien vu que les résultats ne permettaient pas une poursuite d’études sereine en voie technologique. Encore une fois, je ne sais plus si le vœu “pro” avait été demandé par la famille, en plus du vœu technologique, mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas évoqué la possibilité de rencontrer la famille pour essayer de la convaincre de changer son vœu, ni ne m’a demandé de le faire. A contrario, il m’a demandé d’essayer de convaincre d’autres élèves de la même classe ou leurs parents de choisir la voie générale plutôt que la voie technologique pour des élèves à qui on avait donné un avis favorable aux deux vœux, dans la perspective de les pousser vers une filière plus exigeante. Quand je lui faisais part de mes doutes sur la pertinence de laisser aller en voie technologique des élèves aussi fragiles, il répondait que le vœu technologique des familles ne pouvait pas être refusé, et que c’était “tant pis” pour les familles si elles s’entêtaient dans une voie. Il m’a lui aussi donné l’impression d’une sorte de fatalisme, et d’être allé au bout des possibilités.
En somme, on pourrait résumer la situation en disant qu’elle fait apparaître cinq problèmes:
1) Les difficultés scolaires des élèves : comment y remédier ?
2) L’absentéisme des élèves : comment le combattre ?
3 ) Le manque d’implication des parents dans la scolarité des élèves : comment la renforcer ?
4) Le manque de collaboration entre les acteurs de l’éducation : comment la faire exister ?
5) Le manque de clarté de l’offre de formation scolaire et en particulier, le rôle volontairement ambigu qu’on fait jouer à la voie technologique en faisant croire aux parents et aux élèves qu’elle est une poursuite d’études post-seconde au même titre que la voie générale, alors qu’elle est le déversoir prévu des élèves qui ne peuvent pas accéder à la voie générale. L’entretien de cette illusion a peut-être pour but de valoriser en creux la voie professionnelle, mais dans les faits, il débouche sur une orientation vers la voie technologique de certains élèves qui ne peuvent pas réussir dans cette voie. Comment clarifier la situation ?
3. Dimension réglementaire
La situation met en jeu l’encadrement juridique de l’orientation. La principale source juridique est le Code de l’Education et les articles suivants : l’article L 331-7. (modifié par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005) stipule que « l’élève élabore son projet d’orientation scolaire et professionnelle avec l’aide de l’établissement et de la communauté éducative, notamment des enseignants et des conseillers d’orientation-psychologues, qui lui en facilitent la réalisation tant en cours de scolarité qu’à l’issue de celle-ci. » Dans le cas de S., la procédure a été respectée, même si probablement un accompagnement plus approfondi aurait dû être mis en place. Mais globalement, je suis intervenue en tant que professeure principale et la PSY-EN aussi.
Selon l’article L. 331-8 du Code de l’éducation, « la décision d’orientation est préparée par une observation continue de l’élève. Le choix de l’orientation est de la responsabilité de la famille ou de l’élève quand celui-ci est majeur. Tout désaccord avec la proposition du conseil de classe fait l’objet d’un entretien préalable à la décision du chef d’établissement. Si cette dernière n’est pas conforme à la demande de l’élève ou de sa famille, elle est motivée. » Cela dit, malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé la référence réglementaire qui indique que la voie technologique est de droit quand elle est demandée par la famille. Au moment où j’écris, j’ai demandé à mon supérieur hiérarchique de m’envoyer la référence.
Quant aux missions générales des conseillers principaux d’éducation (CPE), elles sont définies à l’article 4 du décret n° 70-738 du 12 août 1970 : « ils contribuent à conseiller les élèves dans le choix de leur projet d’orientation ». Cela confirme que le CPE est également un acteur de l’orientation. Cela dit, j’ai du mal à comprendre comment les CPE peuvent efficacement jouer ce rôle en plus de toutes leurs tâches (en tout cas, dans mon établissement, elles sont débordées). Cela pose également la question de la pertinence de multiplier les acteurs de l’orientation.
Enfin, quant aux poursuites d’études possibles après la seconde GT, elles sont définies par l’arrêté du 29 juillet 2019 relatif aux voies d’orientation, mais ce dernier ne précise pas que la voie technologique est accordée d’office dès lors qu’elle est demandée explicitement par la famille, alors même que c’est le discours tenu par les directions successives dans mon établissement depuis quelques années.
On peut donc dire que le cadre juridique a été respecté même si l’accès accordé d’office à la voie technologique me semble infondée réglementairement.
4. Ce qu’en disent des collègues
Voici ce que disent les collègues à qui j’ai soumis cette situation (ce ne sont pas des acteurs de mon établissement scolaire) :
- « Le CPE est un partenaire dans l’orientation. Il s’agirait de proposer rapidement une réorientation à la jeune fille. Une immersion dans l’autre classe pourrait être mise en place rapidement. Je suis souvent confrontée à ce problème mais trop tard, en terminale. En ce moment est mise en place une immersion en première pro à un élève de terminale technologique pour une réorientation en classe de première dès février, mise en place par la psychologue EN et CPE. »
- « Il faut un lien entre le professeur principal et le CPE par des échanges concernant les élèves. Cela dépend aussi beaucoup des personnes. Pour l’orientation pour ma part je vois plus le professeur principal et les autres professeurs que le CPE. Mais c’est peut-être une erreur. Je vois plus le CPE pour la gestion de l’élève dans l’établissement. Il serait bon de proposer une réorientation tout de suite sans gâcher encore une année scolaire. Quand c’est possible, il faut agir vite. Il faudrait faire un entretien avec la famille et l’élève pour cerner le problème, pour agir rapidement, vers une réorientation ou autre. »
- « Si les résultats (4 de moyenne générale au 3ème trimestre) et l’absentéisme chronique de S. ne permettaient pas d’envisager un passage en première technologique, pourquoi ne pas avoir insisté et refusé le passage en 1er STMG ? Dans ce cas, un entretien entre le chef d’établissement et la famille aurait pu permettre de clarifier la situation et d’exposer les arguments dans l’intérêt de choisir la voie professionnelle. »
5. Les ressources universitaires
Les résultats de la recherche sur le sujet de l’absentéisme permettent de réfléchir à la situation et d’essayer de trouver des solutions au problème posé.
Ainsi, dans son article intitulé Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les apports des recherches récentes parus dans Déviances et Sociétés en 2006, Maryse Esterle-Hedibel présente (entre autres) la question de l’absentéisme et on peut lire : « L’absentéisme est défini dans les textes français de la manière suivante : lorsque l’enfant a manqué la classe sans motif légitime ni excuse valable au moins quatre demi-journées dans le mois (article L 131-8 du Code de l’éducation). C’est à partir de ce critère que peut être déclenchée la procédure de signalement à l’inspection académique, (…) ». Le moins que l’on puisse dire est que S. a systématiquement dépassé le seuil en question. Un signalement a-t-il été fait ? A ma connaissance, non (la CPE en aurait parlé lors des conseils de classe). Par ailleurs cela dit, l’article, bien qu’intéressant, ne donne malheureusement pas de clés pour expliquer le rôle de la famille dans les tendances absentéistes des élèves (et aurait presque tendance, en exagérant à peine le trait, à poser que les familles n’y jouent aucun rôle), alors qu’un chapitre de l’article est bien consacré au rôle des familles (intitulé : Quelle part les familles prennent-elles aux processus de déscolarisation ?) mais insiste surtout sur le fait que les familles sont (abusivement, d’après l’autrice) vues par l’institution scolaire comme défaillantes : « Les parents sont ainsi considérés comme les principaux éducateurs des enfants, redevables de leur conduite, y compris à l’école, alors que les données issues d’enquêtes pourraient reprendre à leur compte que force est de constater le peu de moyens et le peu de ressources mis à leur disposition pour assumer leurs responsabilités » (Janosz, Leblanc, 1996, 74).
Une autre source intéressante est constituée par un écrit qui n’est pas issu de la recherche universitaire à proprement parler mais du MENESR-DEPP (Bureau des études sur les établissements et l’éducation prioritaire), rédigé par Sophie Cristofoli, daté de 2015 et intitulé L’absentéisme des élèves soumis à l’obligation scolaire – Un lien étroit avec le climat scolaire et le bien-être des élèves.
GPS réalisé par Fatima BIGDADE, Céline BIANCHI et Aurélie FROMONT DU ECLORE – mai 2024