Bagarre entre élèves

1. La situation

Le vendredi 16 octobre 2020, aux alentours de 10h20, 30 secondes après la première sonnerie annonçant la récréation matinale, au sein d’un lycée professionnel des Hauts-de-Seine. 

Un professeur de mathématiques, venant de libérer ses élèves de 1ère Gestion-Administration, est alerté par des éclats de voix provenant du couloir attenant à sa salle de classe. Il décide de quitter cette dernière afin de s’enquérir de l’évènement qui lui semble être inhabituel et inquiétant. Il aperçoit alors au sein d’une masse d’élèves, qu’il identifie comme appartenant majoritairement à sa classe, deux de ses élèves filles, l’une présente et l’autre absente à son précédent cours, en train de se livrer à une bagarre. Ces dernières s’empoignent violemment. Rassemblés autour d’elles, leurs camarades adoptent deux attitudes contraires. Les amis proches enjoignent les deux combattantes à se séparer en répétant « lâche, lâche ». Le reste de l’assemblée encourage au contraire l’animosité des jeunes filles. 

Le professeur prend la décision d’intervenir d’abord par la parole en répétant trois ou quatre fois : « Les filles lâchez vos mains » puis physiquement. Il saisit ainsi la main de chacune d’entre elles afin de les séparer, mais n’y parvient finalement pas. La tentative est très brève. 

Quatre autres professeurs alertés par le bruit rejoignent la scène et tentent, à leur tour, de s’interposer physiquement entre les deux élèves. Ils répètent : « lâchez vos mains, lâchez prise ». Ils parviennent à les séparer et à former une barrière afin de ne pas les laisser s’approcher l’une de l’autre de nouveau.

Alertée depuis son bureau par le bruit, la Conseillère Principale d’Education (CPE) rejoint la scène à vive allure, raisonne les deux élèves avec des mots forts et ordonne avec vigueur à l’ensemble des présents de se calmer. Elle réussit définitivement à dissoudre l’assemblée. Elle réussit également à maintenir éloignées les deux élèves bagarreuses en s’imposant physiquement entre ces dernières. (On distinguera, désormais pour la suite du récit, les deux élèves bagarreuses en les nommant “élève A” et “élève B”.) 

L’élève A ne s’arrête pas de crier. Parmi ses divers propos, on peut retenir : « Je ne la lâcherai pas. Et si je la lâche, je recommencerai devant le lycée, je vais la pourrir. »

La CPE s’assure de la bonne santé des deux élèves et leur suggère de se rendre à l’infirmerie. 

L’élève A se montre très agressive, formule auprès de la CPE sa volonté de régler ses comptes et profère ainsi une menace selon laquelle elle “détruirait” l’élève B en face-à-face dans son bureau. L’élève A est finalement amenée par deux de ses camarades au foyer du lycée.

Tentant d’échapper aux conséquences, elle retourne en cours mais est finalement ramenée auprès de la CPE par une AED (Assistante d’Éducation).  

L’élève B adopte, pour sa part, un comportement passif. Elle refuse toutefois de se rendre à l’infirmerie. 

Les deux élèves sont individuellement convoquées par la CPE en présence du proviseur. 

L’élève A ne coopère pas. Elle ne fournit aucune information concernant le motif de l’agression ni même concernant le déroulé des faits. 

L’élève B coopère, prend le temps de décrire à l’écrit le déroulé de l’altercation et fournit des informations permettant à la CPE d’éclaircir la problématique à l’origine des faits. Ces dernières restent confidentielles et ne sont pas communiquées. Les familles des deux élèves sont alertées par téléphone. 

Au regard de son comportement, de son absence de coopération et de ses antécédents au sein de l’établissement (exclusion d’une semaine entre octobre et novembre 2020), il a été décidé que l’élève A serait convoquée à un conseil de discipline. 

Il a été annoncé à l’élève B qu’elle ferait l’objet d’une exclusion temporaire. 

Un compte-rendu est réalisé par la CPE et communiqué à l’ensemble de l’équipe pédagogique via Pronote. 

Il est à noter qu’en parallèle de cette bagarre, un second incident s’est produit. 

En effet, durant les trois minutes d’agitation avant la venue de la CPE, l’une des professeurs sur place aperçoit deux élèves, qu’elle ne connaît pas, en train de filmer la scène avec leur téléphone respectif. Elle enjoint le premier d’effacer devant elle la vidéo enregistrée. Il s’exécute. Elle interpelle ensuite le second, dont le visage est partiellement masqué par sa position ainsi que par la pénombre ambiante du couloir, et renouvelle son précédent ordre. Ce dernier la bouscule, s’enfuit et conserve donc la vidéo. Aucun autre indice que la couleur dorée de la coque de son téléphone ne permet d’identifier l’élève. 

Les vacances de la Toussaint se déroulent. La CPE, en congé maladie, ne revient pas au retour des vacances. À ce jour, aucune des deux sanctions n’a été appliquée. 

Le professeur de mathématiques, avec pour objectif de retrouver la vidéo enregistrée et son auteur, décide d’investiguer de son côté. Pour ce faire, il recherche sur les réseaux sociaux plusieurs mots-clés qui pourraient être associés à la bagarre. Toutefois, il n’obtient pas de résultat. Il fait supposer que la publication de la vidéo, si elle existe, s’est faite sur un réseau privé. 

En fin de cours, le professeur prend par ailleurs des nouvelles de l’élève B. Il apprend alors que l’élève A lui a demandé son adresse afin de renouveler la bagarre. L’élève B n’a pas donné suite à ses demandes en les ignorant. 

Les deux élèves s’ignorent désormais en classe entière. 

Le plan sanitaire Covid mis en place par le lycée à la suite des annonces gouvernementales de novembre 2020 ne permet plus aux deux élèves, inscrites dans deux demi-groupes différents, de se croiser. 

Enfin, le professeur de mathématiques s’est entretenu avec ses collègues au sujet de la bagarre et du rôle que le professeur se doit d’endosser dans ce type de situation. En l’absence d’arme blanche et donc de danger identifié, ses collègues lui ont affirmé qu’il avait, à leurs yeux, adopté la meilleure des postures, celle d’assurer la sécurité des élèves. En cas de danger identifiable, ses collègues lui conseillent de rester en dehors du conflit. 

2. Les questions que pose la situation 

Quelle attitude adopter en cas de bagarre entre élèves ? Le rôle du CPE vs celui du professeur ? 

Pratiques différenciées au sein de chaque établissement, parfois contraires. 

Difficulté de se positionner face à l’événement.

Gravité de la situation et conséquences.

3. Dimension réglementaire

A. Tout personnel éducatif a une obligation de signalement des faits.

Selon l’article 40 du Code de procédure civile, “tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en informer dans les plus brefs délais le procureur de la République”. 

Or, dans notre cas pratique, il s’agit de violences légères entre élèves puisqu’elles n’ont entraîné aucune incapacité totale de travail. Elles ne consistent donc pas en un crime ou un délit. 

Par conséquent, le personnel éducatif assistant à la scène précédemment décrite ne pourra pas être poursuivi en cas de non-signalement des faits en justice. 

B. Tout personnel éducatif a l’obligation de porter assistance à personne en danger

Selon l’article 3 de l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, “toute personne pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne s’abstenant volontairement de le faire verra son comportement qualifié de non-assistance à personne en danger. Celui-ci est puni par la loi”. 

Or, dans notre cas pratique, il s’agit de violences légères entre élèves puisqu’elles n’ont entraîné aucune incapacité totale de travail. Elles ne consistent donc pas en un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne. 

Par conséquent, en cas d’absence d’intervention, le comportement du personnel éducatif assistant à la scène précédemment décrite ne pourra pas être qualifié de non-assistance à personne en danger. 

Selon l’article 223-6 du Code pénal, “toute personne qui s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour elle ou pour les tiers, elle pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours est punie par la loi”

Or, dans notre cas pratique, l’enseignant n’a pas jugé que l’un des élèves était en péril. 

Par conséquent, le personnel éducatif assistant à la scène précédemment décrite ne pourra pas être poursuivi s’il ne porte pas assistance aux élèves, soit par son action personnelle, soit par provocation d’un secours.

C. Tout fonctionnaire bénéficie d’une protection de l’état dans le cadre de ses fonctions

1. Protection fonctionnelle

L’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précise que “la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits commis qui ont le caractère de faute de service”

Il s’agit de la protection fonctionnelle

Cette dernière protège également le fonctionnaire “dans le cas où il est victime dans l’exercice de ses fonctions de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations et outrages”

Elle peut revêtir diverses formes (prise en charge des frais engagés en justice, accompagnement psychologique, assistance juridique…). 

Ainsi, tout personnel éducatif engagé dans une procédure pénale peut se saisir de cette protection à la condition que la faute commise ne soit pas qualifiée de faute personnelle. 

2. Faute personnelle et faute de service

Une faute personnelle est une faute commise par l’agent :

  • en dehors de son service ;
  • ou pendant son service mais qui :
    • est hautement incompatible avec le service public ou les « pratiques administratives normales » et qui revêt alors un degré de gravité élevé.
    • révèle la personnalité de son auteur et les préoccupations d’ordre privé qui l’animent.

Ainsi, est qualifiée de faute personnelle, toute action volontaire telles que des violences ou involontaires telles que de la maladresse ou de l’imprudence. 

Une faute de service est “une faute commise par l’agent dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire pendant son service, avec les moyens du service, et en dehors de tout intérêt personnel

Dès lors, dans le cas où une action en justice devait être intentée à l’encontre de l’enseignant impliqué dans cette situation, pour un motif quelconque, et dans la mesure où il ne commet pas de faute personnelle, celui-ci bénéficierait de la protection fonctionnelle.

4. Ce qu’en disent des collègues

A.  Retours CPE

Méthodologie : Réalisation d’enquêtes qualitatives par le biais d’entretiens individuels. 

Sur les entretiens réalisés auprès des quatre CPE interrogés, on peut retenir : 

  • Lors d’un conflit, il y a deux réflexes à avoir : intervenir oralement pour atténuer les tensions et envoyer un élève délégué pour aller chercher de l’aide auprès du CPE ou d’un surveillant.
  • Si le conflit intervient pendant le cours, le suspendre.
  • On ne touche jamais un élève sauf en cas de mise en danger : le cas d’une défenestration par exemple. En cas de bagarre, le geste physique peut cependant être approprié pour stopper les échanges physiques. La priorité est donnée à l’action rapide pour réagir.
  • Tout le personnel éducatif est légitime d’intervenir. Il n’existe pas de hiérarchie entre enseignant, CPE, secrétaire, etc.
  • Le rôle de l’assistante sociale permet d’aller plus loin dans la gestion des problèmes individuels des élèves.
  • Un seul établissement propose un protocole d’action en interne : 

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Protocole d’intervention en cas de violences au sein de l’établissement scolaire

Coopération entre prof/CPE :

  1. Isoler les deux protagonistes. Pas de contact physique entre l’enseignant et l’élève. Toucher un élève augmente les tensions, cela risque de créer un dysfonctionnement. Il faut revoir son geste face à l’élève.
  2. Continuer ou arrêter le cours.                                                                                                 
  3. Rapport d’incident.
  4. Les deux élèves en entretien et rendez-vous avec le CPE (le professeur est libre de se joindre à l’entretien).
  5. Le professeur se doit de rencontrer en entretien le CPE.
  6. Les parents sont appelés.

Sanctions à mettre en œuvre en fonction du degré de gravité des faits : 

Sanction scolaire : Exclusion de cours

Sanctions disciplinaires applicables : 

  • Dossier scolaire
  • Avertissement
  • Travaux d’intérêt général
  • Inclusion
  • Conseil de discipline
  • Exclusion temporaire en fonction des deux protagonistes.

Post-conflit :

Mise en place, auprès de la classe spectatrice de l’incident, d’une sensibilisation. 

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Bien que l’existence d’un matériau disponible offre des solutions concrètes, une formation du corps enseignant nous semble nécessaire pour assimiler la méthodologie proposée. 

Au sujet de la captation de l’incident, deux points nous semblent importants à noter : 

  • On peut exiger d’un élève qu’il efface la vidéo, mais ce sera du volontariat. On ne peut pas saisir son téléphone. Seuls les services de police sont aptes à le faire. Si nécessaire, amener l’élève dans le bureau du proviseur et convoquer la police. 
  • Concernant la recherche de la potentielle vidéo, le CPE indique qu’il trouve plus utile de convoquer les élèves présents et de les questionner intensément jusqu’à ce que l’un d’entre eux délivre des informations, plutôt que de mener une enquête sur le net qui a peu de chance d’aboutir. 

B. Retours collègues

Méthodologie : 

Phase 1 : Réalisation d’enquêtes qualitatives par le biais d’entretiens individuels. 

Onze collègues de disciplines variées exerçant soit en lycées professionnels soit en lycées technologiques ont été interrogés. 

Ils déclarent tous adopter, en commun, les gestes suivants : 

  • Interpeller les élèves et leur sommer de cesser. La parole est l’outil premier qu’ils auraient tous déployé. 
  • Nommer, dans les plus brefs délais, un élève présent sur place et le missionner pour prévenir un CPE et/ou des AED. 
  • Déclarer l’incident de manière officielle via Pronote ou monlycée.net. 

Toutefois, parmi ces mêmes enseignants interrogés, on distingue deux grandes catégories : ceux qui seraient intervenus physiquement et ceux qui ne seraient pas intervenus physiquement. 

1. Intervention physique

L’intervention physique se traduit, pour ceux qui déclarent y avoir recours, par la séparation des élèves. Certains collègues précisent qu’ils ne se positionneront jamais entre les deux élèves. Ils préfèreront se positionner derrière l’un d’entre eux pour l’attraper par le col ou les vêtements et l’extirper de l’altercation. Ils estiment assurer davantage leur propre sécurité en procédant de la sorte. 

Les enseignants déclarant avoir l’intention d’intervenir physiquement au coeur de l’altercation justifient cette dernière par : 

  • La crainte d’être accusé de “non-assistance à personne en danger”. 
  • Le fait de connaître les élèves impliqués dans l’altercation. En effet, ils considèrent alors que ces derniers seront plus facilement raisonnables. De plus, le danger estimé semble être moindre lorsque le professeur connaît les élèves. 
  • L’instinct. En effet, ils évoquent une réaction primaire. La mesure de la gravité de l’altercation ne semble arriver que dans un second temps. 

2. Absence d’intervention physique

Les enseignants déclarant ne pas avoir l’intention d’intervenir physiquement au coeur de l’altercation justifient cette dernière par :

  • L’évaluation de l’existence d’un danger pour l’enseignant lui-même. Certains professeurs estiment, en effet, ne pas disposer de suffisamment de force physique pour intervenir sans être blessé. 
  • Le fait de vouloir prioriser la sécurisation des élèves présents sur place. Ils précisent vouloir, dans un premier temps, protéger les autres du danger avant de prêter attention aux élèves en action. 
  • Le fait que, selon eux, le rôle de l’enseignant s’arrête à la gestion de sa classe. 

Phase 2 : Réalisation d’une enquête quantitative par le biais d’envoi de questionnaires soumis par email. 

Nous avons soumis par email un bref questionnaire à nos collègues professeurs (toutes disciplines technologiques et professionnelles confondues) afin de valider ou d’infirmer, à grande échelle, les enseignements issus de la Phase 1. 

Celui-ci ainsi que les réponses obtenues et agrégées sous forme de graphiques sont disponibles en annexes de ce travail. 

Analyse des questionnaires :

  • Une grande majorité de répondants (92,9%) déclarent ne jamais avoir reçu de formation portant sur l’attitude à adopter en cas d’altercation physique et/ou verbale entre élèves d’un degré élevé de gravité. 
  • Confrontés à une telle situation : 
    • Une majorité déclarent qu’ils interviendraient par la parole (92,9% des répondants), qu’ils feraient intervenir un personnel éducatif (AED, CPE…) autre qu’un professeur (78,6%) et qu’ils demanderaient aux élèves de s’éloigner (57,1%). 
    • Moins d’un tiers des répondants les sépareraient physiquement
  • Dans le cas où cette dite altercation aurait été filmée par un élève :
    • 100% des répondants déclarent qu’ils auraient prévenu le CPE
    • Une majorité d’entre eux (71,4%) auraient également demandé à l’élève d’effacer la vidéo
    • L’organisation d’une séance de prévention sur les risques juridiques encourus ne semble pas être un automatisme (42,9%). 
    • Des répondants précisent spontanément qu’ils auraient prévenu la direction de l’établissement et qu’ils auraient également demandé à obtenir une copie de la vidéo en guise de preuve de l’altercation. 
  • Près de 15% des répondants estiment être moins légitimes qu’un personnel de vie scolaire (CPE et AED) à intervenir dans ce type de situation. 
  • Le degré de gravité de l’altercation semble être une variable importante de l’attitude adoptée par les répondants. 
  • Enfin, les répondants évoquent leur sentiment d’impuissance, de peur et de sidération face à ce type de situation. 

Ces résultats confirment ceux préalablement obtenus en Phase 1. 

Biais de notre enquête quantitative : Toutefois, ces résultats sont à relativiser au regard du faible nombre de répondants (14). 

5. Les ressources universitaires

Peu de littérature semble disponible sur le sujet précis de l’intervention physique de l’enseignant en cas de conflit entre élèves. Quelques articles spécialisés traitent spécifiquement du cours d’éducation physique comme en témoigne le travail réalisé par Fabienne Brière-Guenoun, intitulé « Les gestes du professeur d’éducation physique en milieu difficile : de multiples compromis au service de la co-construction des savoirs », une situation qui nous a semblé trop éloignée de la nôtre. Nous nous sommes donc dirigés vers un corpus plus large au sujet de la violence en milieu scolaire et des réponses envisagées par l’institution et le corps enseignant. Nous avons choisi de retenir un article en particulier : la retranscription de la conférence de Philippe Meirieu intitulée « Quelle parole face à la violence ? » qui permet d’envisager la problématique du point de vue du langage. 

La conférence ne se présente ni comme une histoire des violences scolaires ni comme un panorama des aides et des soutiens envisageables mais ambitionne de « penser pédagogiquement le phénomène violence ».

L’auteur part du postulat selon lequel la violence correspond à la mise en échec de la parole.
L’acte de parole se définit comme une attention dirigée vers quelqu’un, une interlocution avec l’autre, une adresse qui implique une certaine prise de risque.

À cela, Meirieu ajoute une définition de la violence ou plutôt des violences qui tire parti des différentes distinctions proposées par la recherche en pédagogie depuis les années 1960. Parmi celles-ci, Meirieu retient celle qui distingue les violences anomiques, qui sont de simples transgressions des normes, des violences ontologiques qui atteignent l’individu lui-même, en lui-même. Cette deuxième catégorie représente ce qu’il appelle le noyau dur de la violence et correspond au cas observé dans notre situation.

Il note également le caractère pulsionnel de certains actes perpétrés envers l’institution et ses représentants mais également entre pairs.

Le rôle de l’école serait donc de mettre l’élève dans des conditions susceptibles de lui permettre de maîtriser ses pulsions. Une condition indispensable comme un acte fondateur qui, selon les mots du sociologue Marcel Mauss, permet de « savoir poser les lances ».

Sans cela, la parole est inefficace. Rapprochant les situations de violences scolaires des opposants au sein de la démocratie, Meirieu fait état de la difficulté à dialoguer avec celui qui n’accepte pas le pacte commun. Il rejette tour à tour les solutions violentes (répondre et laisser grimper l’échelle de la violence) ou excluantes (exclure l’élément perturbant du groupe) et propose d’autres perspectives « pour une pédagogie contre la violence ».

Conjurer l’échec de la parole, la violence, par la prise de parole sous conditions.

Pour ce faire, Meirieu s’appuie sur trois leviers utiles : différer, symboliser et stabiliser.

Différer pour surseoir à la réaction immédiate, ne pas répondre tout de suite à l’injonction sans pour autant la nier. Un décollement qui permet à l’enseignant et à l’élève un retrait afin de dialoguer en prenant conscience du contexte et des étiquettes, en éprouvant leurs différences.

Symboliser dans le but de donner à l’élève les ressources nécessaires, des modèles, pour manipuler les signes de la violence exprimée. C’est-à-dire l’autoriser à emprunter à la mythologie, à la littérature, à la science et à toutes les formes de cultures, « des images pour figurer ses propres pulsions » et les apprivoiser.

Et enfin stabiliser les collectifs : la classe, l’équipe pédagogique pour permettre la prise de parole.

Ces trois leviers sont à actionner simultanément de façon à configurer l’espace et le temps scolaire. Différer, symboliser et stabiliser permettent ainsi un processus de « métabolisation de la violence en parole ». La fabrication de quelque chose en quelque chose d’autre.

Un processus que l’institution se doit de soutenir en favorisant les conditions adéquates pour le mettre en œuvre : un espace favorable à l’écoute (les vertus du « matérialisme pédagogique » évoqué par Freinet) , un temps scandé par des rituels significatifs et des enseignants unis qui assument leur position de formateurs.

Plusieurs éléments entrent en résonnance avec notre situation de terrain : 

  • La prise de parole comme remède dans l’urgence et sur le long terme. Dans l’urgence afin de différer le geste exprimé par l’élève et sur le long terme pour établir les conditions susceptibles de désamorcer les violences pulsionnelles. Ce rôle pourrait être attribué non seulement à l’enseignant mais aussi au reste de l’équipe éducative.
  • La prise de parole pour stabiliser l’équipe pédagogique afin de proposer une réponse unie face à l’événement. La coordination de la parole aurait peut-être pu convaincre les protagonistes de lâcher prise plus facilement.
  • La prise de parole comme outil de médiation symbolique pour permettre l’expression pacifiée de la violence. Si ce volet est sous la responsabilité des professeurs, l’implication de l’institution est également souhaitable.

Au regard des vertus d’un “matérialisme pédagogique”, la mise en place d’un espace-temps adéquat pourrait limiter les démonstrations violentes dans l’enceinte de l’école. 

6. Pistes de résolution de la situation

Au regard des points soulevés lors des différentes étapes de notre enquête, des pistes de résolution se dégagent. 

  • Les réponses apportées par le questionnaire confirment qu’une formation consacrée à la gestion de la violence entre élèves apportée aux enseignants (durant leur année de stage par exemple) serait bienvenue pour gérer ce type de situations. S’il existe des matériaux à disposition (documentation au sujet de la conduite à tenir en cas d’infractions en milieu scolaire ou réagir face aux violences en milieu scolaire),  il n’y a pas à ce jour d’enseignement dédié au sein de l’INSPE.
  • La prise de parole en amont au sein de l’équipe pédagogique pourrait permettre de réagir plus efficacement en cas de conflit. Une coordination qui, selon les mots de Meirieu, permettrait de “stabiliser l’équipe pédagogique” et d’unifier les réponses en cas de conflit entre élèves.
  • Dans cette logique d’unification et de stabilisation, la mise en place d’un protocole standardisé pour tous les établissements pourrait permettre à l’enseignant de se sentir moins démuni face à la situation.
  • Dans le cas spécifique où l’altercation aurait été filmée par un élève, les réponses au questionnaire préconisent une réaction rapide pour éviter sa diffusion. Un entretien immédiat avec les élèves concernés pourrait résoudre le problème.
  • Une démarche de prévention réalisée avec l’aide du psychologue scolaire, de la Police et en présence du CPE et du chef d’établissement pourrait permettre de désamorcer le conflit en responsabilisant les élèves sur les conséquences des actes perpétrés.
  • Par ailleurs, la mise en place d’une séance de médiation avec les élèves concernés ainsi que le reste de groupe au sujet de l’expression de la violence de façon générale. Ici la prise de parole, le pouvoir symbolique des mots et la portée mythologique des discours pourraient être éprouvés au cours d’ateliers comme outils de résolution des conflits. 
  • Il est à noter que dans le cadre de la médiation, dans certains lycées, il a été mis en place un médiateur scolaire formé et spécialisé pour faire le lien entre les enseignants et les élèves pour instaurer un climat de confiance.
  • Enfin, tout personnel éducatif, responsable aux yeux de la loi, devrait être tenu informé de ce qui constitue le caractère de la non-assistance à personne en danger. En effet, la méconnaissance des préceptes juridiques pourrait entraîner, à tort, des réactions ou l’absence de réaction de la part des personnels éducatifs ayant, pourtant, la volonté de bien faire. Dispenser une formation portant sur les droits et devoirs du fonctionnaire au regard de la loi semble être une piste de réponse aisément déployable.

7. Prendre parti

Si nous devions prendre parti, nous opterions pour une solution combinatoire car la diversité des situations reste complexe et nécessite un soutien à différents niveaux. 

Une formation au cours de l’année de stage nous semblerait nécessaire ou du moins efficace pour rassurer les enseignants en début de carrière et les doter d’outils pour réagir concrètement en cas de conflit. La mise en place d’un enseignement à l’INSPE pourrait faire partie de ce programme, qui serait articulé autour de plusieurs modules, tels que l’apprentissage des techniques de médiation, du rôle d’enseignant-éducateur, la relation éducative, la gestion du groupe.    

Sur le terrain, la mise en place d’un protocole dans l’établissement et la communication au sein de l’équipe pédagogique pourraient également permettre d’anticiper la conduite à adopter si la situation se présentait. L’échange entre enseignants et CPE se montrerait ici d’une grande utilité. 

Enfin, la mise en œuvre de séances de prévention sur les conséquences des actes de violence dans l’enceinte du lycée ainsi qu’une réflexion collective sur les formes d’expression non-violentes du conflit permettrait sans doute de sensibiliser les élèves.

Bibliographie

Brière-Guenoun, F. (2015). Les gestes du professeur d’éducation physique en milieu difficile : de multiples compromis au service de la co-construction des savoirs. Carrefours de l’éducation 2015/2 (n° 40), pp. 85-103.

Amigues, R. (2003). Pour une approche ergonomique de l’activité enseignante. Skolê (Hors-série), n° 1, pp. 5-16. 

Bucheton, D. (dir.). (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Paris : Octares Éditions.

Meirieu, P. (2009). Quelle parole face à la violence ?. Consulté sur http://www.meirieu.com/ARTICLES/parole_violence.pdf

Annexes

Annexe 1 : Questionnaire soumis à nos collègues
Annexe 2 : Réponses au questionnaire – Partie 1
Annexe 3 : Réponses au questionnaire – Partie 2
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