Élève difficile, élève en danger

Résumé

Une élève de CAP fait part à un CPE de son désespoir quant à son incapacité à trouver un stage, de sa colère contre les professeurs qu’elle accuse de « s’en foutre » et de ses inquiétudes pour son avenir personnel….

1. La situation

L’établissement scolaire

La situation étudiée a lieu dans un lycée professionnel d’une ville de la région parisienne, au cœur d’un quartier sensible.

Une vingtaine de classes préparent le CAP ou Bac Pro.

La proviseure a été affectée dans l’établissement à la rentrée 2016.

La proviseure adjointe a été affectée dans l’établissement à la rentrée 2019.

L’établissement est doté de deux postes de CPE dont l’un des co-auteurs que nous appellerons Thècles (affecté dans l’établissement à la rentrée 2016).

Il y a une assistante sociale à temps plein (affectée dans l’établissement à la rentrée 2017) et une infirmière à temps plein (affectée dans l’établissement à la rentrée 2017).

Le service de Vie scolaire compte sept postes et demi équivalent temps plein (ETP) dont un assistant prévention-sécurité.

Thècles, qui s’occupe d’autres filières, n’est pas son CPE référent – n’a pas en charge cette élève (car pas sa classe).

L’élève a été accompagnée durant sa première année par une CPE avec qui la relation était très conflictuelle. Une nouvelle CPE a été affectée lors de la rentrée suivante mais elle est partie en congé maternité à la mi-novembre 2020.

Son CPE référent (contractuel) a débuté il y a 5 ans d’abord comme assistant d’éducation, puis comme assistant prévention-sécurité. Il habite le même quartier que la jeune concernée.

Le territoire

Nous sommes fin novembre 2020. L’élève habite dans le quartier X.

Ce territoire est classé à la fois quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) et a intégré le dispositif des zones de « reconquête républicaine » dès leur création en 2018.

La population, en grande partie issue des pays d’Afrique subsaharienne, est marquée par une forte précarité socio-économique. Beaucoup de familles sont en situation de grande pauvreté. De  nombreux  trafics  de  drogue  alimentent  l’économie  souterraine  et  les  rivalités  de  territoire,
caractérisées par des faits d’une gravité exceptionnelle, avec les autres cités de la commune et des villes avoisinantes, sont fréquentes. Plusieurs élèves du lycée ont fait l’objet de poursuites judiciaires et ont été incarcérés.

Dans ces conditions, la cité souffre d’une image particulièrement dégradée depuis plusieurs décennies.

Malgré le contexte urbain, le climat scolaire de ce lycée professionnel situé en plein cœur du quartier s’est apaisé ces dernières années et le nombre de signalements d’incidents graves à la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) et de signalements d’infractions en milieu scolaire au Procureur de la République a nettement baissé.

Le taux de décrochage scolaire est également en baisse même s’il reste important.

Parallèlement, la réussite au baccalauréat et au CAP a connu une augmentation significative classant le lycée parmi les meilleurs du département et la communauté éducative, dans son ensemble, demeure stable.

Néanmoins les difficultés socio-économiques, familiales, administratives et juridiques persistent et touchent une grande majorité d’élèves.

Finalement la situation géographique du lycée, sa réputation au-delà même du département, ses filières jugées peu attractives par de nombreux collégiens et leurs familles, ainsi que sa vétusté jusqu’au début des travaux de reconstruction, expliquent que l’établissement figure rarement parmi les premiers vœux d’orientation des élèves de 3ème.

L’élève et sa famille

Nadia est inscrite en 2ème année de CAP. Sa scolarité est marquée par de nombreuses difficultés : absentéisme important et problèmes de comportement durant les enseignements, mais également avec d’autres professeurs qui n’ont pas en charge sa classe.

Les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) sont compliquées : le dernier stage, d’une durée prévue de cinq semaines non effectué en fin d’année 2020, devait être reprogrammé. Toutefois, le responsable de la structure d’accueil, un centre de loisirs, a pris la décision d’y mettre un terme au bout de deux semaines en raison des nombreux retards de Nadia et de ses altercations verbales avec les personnels.

La structure familiale est complexe. Les parents sont séparés et la mère vit seule avec ses filles. Les deux premières sont de jeunes adultes âgées respectivement de 22 et 25 ans. Nadia, qui vient d’être majeure, est en troisième position et la plus jeune des sœurs est en situation de handicap. Une enseignante indique avoir connu les soeurs de Nadia, Maissa (*) et Myriam (*). Elle les décrit de la même façon qu’apparaît Nadia : absentéistes, insolentes voire agressives et difficilement contrôlables dans le groupe classe. Toutes les deux ont quitté le système scolaire avant l’obtention de leur diplôme. Le dialogue avec Myriam était alors très compliqué : régulièrement, l’élève quittait les cours en claquant la porte. Sa scolarité avait définitivement pris fin après une exclusion de son lieu de stage, du fait du non-respect du règlement intérieur de la structure l’accueillant en stage. Les deux aînées sont, à leur tour, mères de famille : Maissa a deux ou trois enfants, Myriam en aurait au moins deux. Cette dernière, même si elle a quitté le domicile familial, y retourne régulièrement. Après des violences conjugales, Maissa, quant à elle, est revenue chez sa mère et y réside au quotidien avec ses propres enfants. Un assistant d’éducation du lycée, qui réside également dans la cité et qui connaît bien Maissa, indique que celle-ci délaisserait ses enfants en confiant leur garde à Nadia. Le schéma familial semble expliquer en partie les difficultés rencontrées par l’élève.

Le conseil de discipline

Absentéiste dès sa première année de CAP, Nadia a été convoquée devant le conseil de discipline en raison de son intrusion dans une salle de classe et de l’altercation qui s’en est suivie avec une enseignante qu’elle ne connaissait pas.

Elle expliquera aux membres du conseil être allée demander directement des explications à un enseignant qui avait tenu des propos racistes à l’encontre d’un autre élève, ami de Nadia, et que le ton était monté avec une professeur également présente dans la salle.

Nadia avait sollicité la confiance, l’écoute et la bienveillance du CPE Thècles, dans ce contexte d’insultes racistes à l’égard d’un de ses amis, qui connaissait le CPE.

A l’issue du conseil de discipline, un courrier d’excuses de Nadia à la professeure sera demandé (l’exclusion définitive ne peut être requise au vu de la gravité des propos tenus par l’enseignant, professeur d’atelier : « retourne dans ta savane », ceux-ci ayant pu être perçus comme racistes par l’élève et pouvant sous-entendre que “le professeur et Nadia ne font pas partie du même monde”, car pas suffisamment éduquée).

Maissa, la grande sœur, représentera la famille dans cette instance et manquera de peu de faire basculer le conseil de discipline à de multiples reprises en raison de l’agressivité qu’elle manifestera à l’encontre de plusieurs personnels.

Pour une enseignante, l’absence de la mère s’explique par un épuisement face aux parcours chaotiques des deux aînées et de son accaparement par le handicap de la cadette. Ce qui expliquerait, selon elle, sa délégation d’autorité parentale à Maissa.

Les conseils des éducateurs dans la recherche de stage

Comme de nombreux jeunes, toutes les sœurs sont très attachées à leur cité.

Sa méconnaissance des codes sociaux et sa peur de se retrouver dans un univers inconnu avaient placé sa soeur Myriam face à une difficulté insurmontable lors de son dernier stage il y a quelques années, provoquant ainsi son décrochage scolaire définitif.

Nadia, si elle affirme aujourd’hui vouloir son CAP pour “ne pas finir comme ses sœurs”, se retrouve de façon tragique dans une situation similaire. Ses profondes difficultés relationnelles ont naturellement été soulignées dès le premier stage qui, malgré tout, a pu se faire dans son intégralité.
La période de confinement complet en mars 2020 a apporté un répit dans la scolarité conflictuelle de l’élève, lui évitant ainsi d’être confrontée à un monde dont elle ne maîtrise pas les codes.
Toutefois à l’issue d’un huis clos dans un tel contexte familial et social encore plus éprouvant que dans le reste de la population, et en raison de son non-retour au mois de mai, la rentrée scolaire 2021 se fait dans les mêmes conditions : Nadia demeure très absentéiste et ses relations avec plusieurs de ses enseignants  ne  s’améliorent  pas.  Elle  explique  alors  faire  le  choix  d’éviter  les  cours  les  plus problématiques pour ne pas gâcher définitivement le peu de scolarité qui lui reste. Le contexte sanitaire, qui perdure et qui complique lourdement le quotidien, rend la recherche de structures d’accueil pour les PFMP, particulièrement difficile.

C’est à ce moment que Nadia décide de revenir voir Thècles pour lui faire part de son désespoir quant à son incapacité à trouver un stage, sa colère contre les professeurs qu’elle accuse de « s’en foutre » et de ses inquiétudes pour son avenir personnel. Elle connaît l’importance des stages en CAP, elle a une vision très claire du calendrier scolaire et redoute de se retrouver dans une impasse. Début décembre, Nadia n’a toujours pas de stage alors qu’elle devrait y être depuis dix jours.

Compte tenu de l’urgence pour trouver un stage à l’élève, et bien que cela n’entre pas dans ses missions de CPE, Thècles sollicite ses relations pour tenter de trouver une structure d’accueil. Quelques jours plus tard, Nadia, désespérée, lui demande si ses éducateurs peuvent le contacter pour
le même sujet.

Il organise donc une rencontre en sa présence dans la semaine qui précède les vacances de Noël. Ils comprennent ainsi plus clairement les enjeux et les problématiques de sa dernière année de CAP. Le calendrier apparaît extrêmement contraint et Nadia est de plus en plus angoissée. Elle finit par quitter la réunion, ne parvenant pas à maîtriser ses émotions.

Les éducateurs s’engagent eux aussi à tout mettre en œuvre pour apporter une solution à la situation mais leur capacité est limitée : il s’agit de solliciter à nouveau le référent à la Mairie qui attribue les places de stage dans les différents établissements de la commune.

D’après une enseignante, le rapport de stage au sujet de Nadia n’est pas positif et les services municipaux seront réticents à l’idée de l’accompagner une nouvelle fois dans cette recherche.
Fin 2020, l’enseignante qui l’accompagne également au plus près n’est guère plus positive : l’équipe pédagogique est harassée par le comportement de l’élève et souhaite désormais concentrer ses efforts sur d’autres élèves estimés plus méritants. En effet, la notion de mérite est souvent utilisée par l’équipe pédagogique pour justifier ou non d’un accompagnement plus soutenu des élèves dans leur recherche de stage. Il est, par ailleurs, peu probable qu’une proposition de redoublement soit faite à l’élève en cas d’échec à l’examen.

Les violences subies

Un autre sujet d’inquiétude encore plus préoccupant émergera le lendemain de l’entretien avec les éducateurs. Un assistant d’éducation informe Thècles que Nadia s’est réfugiée au lycée, son visage est marqué par des traces de coups. Il apprend alors que la sœur aînée, Maissa, s’en prend à elle et la violente régulièrement.

Thècles se renseigne alors pour savoir si une information préoccupante (IP) a été envoyée à la DSDEN mais certains membres du service de vie scolaire (CPE et AED), informés des mauvais traitements, semblent réticents à l’idée d’une telle démarche de signalement (IP). Les risques de violence accrue sont
réels mais ils craignent que la famille fasse l’objet d’un contrôle des services sociaux dont ils seraient à l’origine. Nadia risquerait alors d’être mise à la porte du domicile familial et cela pourrait engendrer des tensions dans le quartier.

Finalement, Thècles apprendra que l’infirmière a bien rédigé une information préoccupante au président du conseil départemental durant sa première année de CAP après qu’on lui ait signalé des marques sur les avant-bras de l’élève. Toutefois, le refus catégorique de Nadia d’aborder la situation familiale freinera significativement l’action de protection.

Ressenti de Thècles

Face à cette situation et d’une manière plus générale pour les élèves en difficulté, le CPE a été amené à s’interroger sur le sens de son travail et le rôle de l’École dans la réduction du déterminisme social. En l’occurrence, il a le sentiment que le niveau de difficulté auquel l’élève était confrontée a empêché d’apporter une réponse adaptée à sa situation, à savoir de briser le cycle de reproduction du schéma familial.

Le CPE ressent une sorte d’impuissance, de fatalité lorsque les élèves sont dans des situations sociales qui dépassent le cadre scolaire.

A travers l’exemple de cette élève, le CPE s’interroge sur les bénéfices qu’apporte le dispositif d’éducation prioritaire.

Ressenti de K. et L.

K. et moi-même sommes tout à fait d’accord avec le ressenti de Thècles.

La réponse apportée à la situation (conseil de discipline) est cohérente au vu des faits, mais donne l’impression de ne pas avoir les outils efficaces pour intervenir de manière plus pertinente et constructive auprès de l’élève et de sa famille.

Exclure un élève d’un établissement scolaire est souvent l’aveu de l’échec du système scolaire dans un environnement socio-économique précaire, laissant peu de place à l’idée (l’ambition) d’une réussite sociale (au vu de la faiblesse de son adhésion aux codes attendus de l’école, de son manque de capital social et culturel mais aussi d’un certain déterminisme familial à l’échec scolaire).

On se pose ainsi des questions sur :

–     la formation initiale des collègues notamment contractuels et les règles d’affectation.

Des formes de tutorat des enseignants contractuels et une meilleure connaissance du territoire dans lequel ils interviennent pourraient les aider à mieux s’intégrer dans l’établissement, mais ces pistes se heurtent souvent à la volonté des établissements et aux statuts précaires de ces agents.

– l’identité professionnelle des professeurs : quelle place accorder dans leur formation à la socialisation, l’éducation, l’accompagnement à l’orientation et la gestion des élèves à profil particulier ? En effet, exercer  en  zone  d’éducation  prioritaire  requiert,  en  dehors  des  compétences  pédagogiques  et didactiques, de réelles qualités psychosociales. En dehors du bon vouloir des enseignants (volonté ou initiative individuelle), cet aspect est un indispensable pour mener un réel travail éducatif avec les élèves plus éloignés du profil classique et attendu.

Dans cet environnement, être professeur suppose d’avoir un regard vigilant, bienveillant mais aussi encourageant pour faire émerger l’espoir d’une mobilité sociale pour des élèves, voyant parfois l’école comme un lieu de coercition et de découragement.

Choix de la situation

Le choix de cette situation répond aux trois critères suivants :

1) c’est une situation professionnelle que vous avez vécue ou dont vous avez été témoin.

C’est une situation que Thècles, CPE, a vécu dans son établissement scolaire actuel alors qu’il n’est pas référent de cette élève.

2)  c’est une situation qui soulève des problèmes pour lesquels la réponse à apporter ne va pas de soi.  La  situation  peut  par  exemple  comporter  des  aspects complexes et contradictoires ; ou induire des conséquences multiples, à différents niveaux, pour les différents acteurs, à court, moyen ou long terme ; ou mettre en jeu des questions « sensibles » engageant des convictions et des options personnelles non nécessairement partagées ; etc.

C’est une situation complexe sous divers aspects :

–     une trajectoire des filles marquées de fortes ruptures avec l’institution scolaire

Nadia, comme ses 2 sœurs, n’ont connu que l’échec scolaire sous tous ses aspects : mauvaises notes, peu de motivation, absentéisme chronique, conflits avec les enseignants ou l’autorité … Toute la fratrie (à l’exception de la dernière soeur présentant un handicap) semble inscrite dans un
processus familial de rupture scolaire. La réussite de Nadia paraît déterminée par la culture de sa famille et tout particulièrement ses soeurs, n’ayant adhéré aux “valeurs scolaires”. Leur capital culturel est très éloigné de celui véhiculé par l’école, constituant ainsi un véritable handicap socio-culturel.

–     un poids des familles et de l’environnement dans l’histoire des jeunes filles

Nadia réside dans une zone de reconquête républicaine. Sa cité, considérée comme sensible, (le territoire enclavé est estampillé QPV) cumule les handicaps sociaux-économiques (grande pauvreté, forte monoparentalité, délinquance, immigration, non-maîtrise de la langue d’accueil, mal-logement, chômage et manque de qualification des jeunes) depuis des décennies.

L’adolescente vit dans une famille monoparentale (mère), avec la présence intermittente de ses grandes sœurs (qui elles-mêmes rencontrent des violences de la part de leur ex-conjoint et suivent la scolarité de Nadia). Malgré les sollicitations, seule une enseignante est parvenue à rencontrer la mère de l’élève. La famille bénéficie d’un accompagnement par des éducateurs d’une association.

Nadia a pleinement intériorisé les codes et valeurs portés par certains jeunes du quartier, qui sont en pleine opposition avec celles du système scolaire, et plus globalement, de la société dans son ensemble. Incapable de se défaire de cette “culture de cité”, méconnaissant les rapports qui
régissent le monde extérieur, Nadia entretient des rapports compliqués et/ou conflictuels avec son entourage proche et tous ceux qui interagissent avec elle. Finalement, le poids de l’environnement social et familial dans lequel elle a grandi marque, de manière importante, sa scolarité par ce qui semble être un échec.

–     le rôle de l’institution:

« Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. L’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique” ((Rapport annexé à la loi d’orientation de 1989)).
Cependant, dans ce type d’environnement géographique relativement ghettoïsé, l’école n’a pas toujours sa légitimé, du fait des valeurs véhiculées très éloignés de celles de la majorité des élèves en difficulté qu’elle côtoie mais aussi par le fait qu’elle peut même accroitre les inégalités sociales, la conduisant ainsi à être le symbole de la reproduction sociale. »

L’institution a pu paraître défaillante car dès les premières années de scolarisation de Nadia, celle-ci n’a pas été repérée précocement comme une enfant en danger et n’a donc pas été suffisamment accompagnée dans son parcours scolaire, et notamment en apportant des réponses aux
difficultés rencontrées par l’élève : que ce soit sur les aspects cognitifs, sur sa capacité d’intégration et d’interaction sociale ainsi que sur la mise en oeuvre réelle d’un projet d’orientation choisie et non subie.

3) la considération et l’analyse de cette situation vous apparaissent formatrices, non seulement pour vous mais pour les enseignant-e-s (et plus particulièrement pour ceux/ celles qui entrent dans le métier) ainsi que pour les autres acteurs de l’éducation.

Pour nous :

C’est un exemple de situation de découverte des difficultés (personnelles, familiales et sociales) d’élèves sur un territoire précaire, impactant fortement la réussite scolaire et entravant le plein accès à la citoyenneté. À ce jour, aucune solution pérenne et institutionnelle n’a pu être apportée à la situation de l’adolescente.

Pour les enseignants :

La situation de Nadia est représentative de certaines catégories d’élèves qui, pour reprendre un terme du sociologue Marwan Mohammed, n’ont jamais “accroché” avec l’école et pour laquelle la réponse institutionnelle est limitée (notamment en matière de formation initiale et d’hétérogénéité du public scolaire). Elle permet également de mettre en lumière l’impact des facteurs individuels et collectifs concourant au processus de l’échec scolaire.

Ces   marqueurs       ( problèmes )   doivent   être   analysés   comme   des   symptômes            ( qu’est-ce   qui dysfonctionne ? ) et pas seulement comme des conséquences de problèmes ou facteurs d’exclusion (manque d’autorité,  troubles  comportementaux,  famille  monoparentale,  pauvreté  culturelle  et  économique, violence intrafamiliale …)  .

Cerner les raisons qui expliquent que l’élève ne rentre pas dans le cadre scolaire est utile pour rendre efficace l’intervention des enseignants. Il faut trouver de réels leviers d’action pour éviter l’épuisement des équipes (les solutions trouvées pour résoudre le problème passant à côté du regard des inégalités sociales) et faire reposer sur le mérite la bonne volonté des élèves.

Pour les acteurs de l’éducation :

Cette situation met en évidence d’une part, le manque de travail collaboratif, sur des thèmes problématiques / des préoccupations (prévention de la violence, soutien à la parentalité, prise en charge psychologique, conseils pour la mise en oeuvre du projet professionnel de l’élève …) des élèves et de leurs familles, entre les divers acteurs tant à l’interne qu’avec les intervenants extérieurs à l’établissement, et d’autre part la nécessité d’agir de manière complémentaire et bien en amont des difficultés, aujourd’hui insurmontables.

2. Les questions que pose la situation 

La situation a posé divers problèmes beaucoup plus complexes, comme :

–     les inégalités scolaires et la reproduction sociale : l’échec scolaire est familial, imputable essentiellement à la structure familiale ? (L.)

La famille de Nadia (sa maman, sa soeurs et elle) n’a connu que des expériences négatives de l’école, qui n’ont généré chez elle que des représentations hostiles envers l’école.

Selon cette perspective, l’échec scolaire est un effet transgénérationnel de certains habitus inculqués dans la famille et prend surtout la forme d’un échec non cognitif (représenté par une inadaptabilité de l’élève face à l’ambiance scolaire et concernant, plus précisément, l’incapacité de l’élève de s’adapter aux rigueurs de la vie d’étudiant, aux exigences normatives que suppose le bon fonctionnement de toute école ou de toute communauté scolaire).

L’habitus que tend à inculquer l’école est lointain de celui inculqué par la famille au sein du milieu social (habitus de classe se caractérisant par des schèmes de perception et d’appréciation communs à une classe sociale). Dans la situation de Nadia, l’écart entre ces deux types d’habitus est grand, ce qui réduit ses chances de réussite scolaire. D’une manière générale, les membres des classes populaires, par anticipation et du fait de leur habitus de classe, tendent à s’auto-éliminer de l’enseignement secondaire ou supérieur en considérant que les études ne sont pas faites pour eux. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron montrent d’ailleurs que les inégalités entre les classes sont davantage le fait de cette auto- élimination que de l’échec scolaire. Tout se passe donc comme si les catégories les plus défavorisées avaient intériorisé dans leur habitus les probabilités objectivement faibles qu’elles ont d’accéder aux études supérieures et qu’elles ajustaient leur comportement à leurs chances objectives de réussite.
Pierre Bourdieu qualifie par la suite d’amor fati ou « amour du destin social » cet « ajustement inconscient aux probabilités associées à une structure objective de domination ».

À travers la formation d’un habitus se joue ainsi l’héritage de dispositions mais aussi celui d’une propension plus ou moins grande à l’ambition scolaire et sociale (Jourdain Anne, Naulin Sidonie, « Héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu », Idées économiques et sociales, 2011/4 (N° 166), p. 6-14. DOI : 10.3917/idee.166.0006. URL : https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2011-4-page-6.htm).

Chez Nadia, l’abandon scolaire précoce est favorisé par un environnement, notamment familial moins coercitif ; les causes de cette inadaptation scolaire étant d’ordre affectif (comme la peur ou la répulsion envers l’école, apparus après quelques sanctions sévères ou des conflits répétés avec les parents et/ou les enseignants), ou d’ordre psycho-nerveux congénital tels que l’hyperexcitabilité, le trouble émotif, l’impulsivité excessive (Petre Cristian, Simion Laura, Marica Mircea Adrian, « La culture familiale de l’échec scolaire », Pensée plurielle, 2017/3 (n° 46), p. 19-31. DOI : 10.3917/pp.046.0019. URL : https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2017-3-page-19.htm).

A côté des facteurs internes à Nadia (personnel et familial) dans le processus d’échec scolaire, il existe des facteurs inhérents à celle-ci : d’ordre social et situationnel. En effet, dans le cadre scolaire, les inégalités des élèves et de leur famille face à la culture scolaire, sont avant tout déterminées par l’origine sociale ; et cela à tous les niveaux de la scolarité malgré l’engagement des professionnels de l’éducation et des divers dispositifs en faveur d’une école inclusive. Elles demeurent même au-delà de la scolarité, c’est-à-dire dans le monde du travail (Comment l’école reproduit-elle les inégalités ? Égalité des chances,   réussite,   psychologie   sociale,   de   Stéphane   Goudeau,   PUG, 2020   sur   cahiers-pédagogiques.com).

Selon Bourdieu et Passeron, l’école opère et reproduit les inégalités sociales au moyen de la violence  symbolique  qu’elle  exerce  sur  les  élèves,  principalement  au  travers  de  l’action pédagogique. Sous couvert de légitimité, cette action est perçue comme normale par le plus grand nombre. L’école joue, ainsi dans les sociétés méritocratiques, un rôle clé de reproduction symbolique en sélectionnant des significations (une culture, des critères de jugement…) et en les imposant à toute une classe d’âge, en « dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force ». En d’autres termes, l’école promeut un « idéal de la personne cultivée » (formulation de Max Weber), à l’aune duquel on estimera légitime de classer les élèves. Et comme cet idéal est celui du groupe dominant, l’école va classer en tête ceux d’entre eux qui correspondent le mieux aux critères particuliers du groupe dominant. (Les scolarités comme base légitime de la répartition sociale, www.universalis.fr).

La domination et la force symbolique qui permet à cette dernière de persister sont d’autant plus efficaces qu’elles sont perçues, par les dominés, comme légitimes. C’est ce processus qui se joue dans l’action pédagogique. Cette violence symbolique peut se manifester sous deux formes : objective (règles, lois, mécanismes de régulation sociale) et subjective (pensées, représentations, schèmes de perception).
Ces sociologues soutiennent la thèse selon laquelle l’institution scolaire perpétue les inégalités en légitimant l’ordre établi, et cela parce qu’elle conserve la structure des rapports de classe (De la violence scolaire, Le pouvoir de la violence symbolique, de la FAPEO sur www.educasante.org)

Par ailleurs, pour certains enfants issus de milieux défavorisés, réussir à l’école peut signifier trahir sa famille. Ici, Nadia, enfant issue de classes sociales très défavorisées y côtoie des professeurs issus d’autres milieux, un véritable décalage se crée alors pour elle, entre l’école et la maison.

Tout oppose ces deux mondes : langage, politesse, règles de vie, habitudes … Selon Marie-Aleth GRARG, vice-présidente d’ATD Quart Monde, dans une interview pour L’Obs, l’enfant comprend alors qu’à l’école « il n’est pas dans le modèle que ses parents lui apprennent« . Il se retrouve donc face à un dilemme, et se sent inconsciemment obligé de choisir entre son entourage d’un côté, et l’apprentissage scolaire de l’autre. C’est ce qu’on appelle le conflit de loyauté.

S’il réussit à l’école, qu’il intègre les enseignements et les normes scolaires, il s’éloigne de ses parents. L’enfant pourrait, à terme, s’élever socialement et ainsi quitter sa classe sociale, ce qui peut être ressenti comme une trahison.

À l’inverse, s’il veut rester proche de sa famille, l’enfant va rejeter l’école et ses apprentissages. Un processus qui se fait généralement de manière inconsciente. C’est ainsi qu’il se retrouve en échec scolaire ; l’école ne parvenant pas à estomper les inégalités sociales.

Ce conflit de loyauté peut aussi être directement lié aux habitus et est un facteur important d’échec scolaire en milieu populaire.

–     l’absentéisme et le décrochage, quels dispositifs mis en place et quelle efficacité ? La situation a posé divers problèmes :

–     l’absentéisme scolaire

La prévention de l’absentéisme scolaire constitue une priorité absolue qui doit mobiliser tous les membres de la communauté éducative. Chaque élève, qu’il soit soumis à l’obligation scolaire ou qu’il n’en relève plus, a droit à l’éducation, un droit qui a pour corollaire le respect de l’obligation d’assiduité, condition première de la réussite scolaire

La loi n° 2013-108 du 31 janvier 2013 qui s’applique à tous les élèves met en place un dispositif d’accompagnement.

Il renforce l’accompagnement des familles, parfois très éloignées du monde de l’École, dans le suivi de la scolarité de leur enfant. Il améliore ainsi le dialogue avec les parents d’élèves dans un esprit de coéducation, notamment grâce à la mise en place d’un personnel d’éducation référent.

Il revient à chaque responsable, à tous les niveaux de l’institution scolaire, de se mobiliser pour mettre en place des actions de prévention et de suivi de l’absentéisme et apporter, dans un climat de confiance avec les familles, des réponses rapides et efficaces lorsque des absences sont constatées.

Principes d’action : repérer et analyser l’absentéisme de l’élève ; Prévenir l’absentéisme de l’élève de manière   conjointe entre l’établissement et les parents / accompagner les personnes responsables et l’élève concerné ; En cas de persistance du défaut d’assiduité prendre des mesures appropriées.

–       le décrochage scolaire

Le phénomène du décrochage est imputable à de multiples facteurs qui ont trait aux populations touchées (la structure familiale, le niveau de diplôme des parents, les conditions économique et sociale, etc.) mais aussi à l’institution (le redoublement, l’orientation, l’évaluation, etc.) et aux territoires (taux de chômage, accessibilité des structures de formation, de santé, etc.).

C’est surtout à partir du lycée que le phénomène prend de l’ampleur. Les lycéens peuvent percevoir leurs  cours  comme  une  contrainte :  ils  ne  se  sentent  pas  à  leur  place.  Les  élèves  de  lycées professionnels ont plus de risques de décrocher.

Chaque établissement scolaire dispose d’un groupe de prévention contre le décrochage. Dès que les élèves présentent les premiers signes de décrochage, ils sont « signalés » auprès des plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD). Professeurs et CPE remontent les cas des élèves les plus susceptibles d’abandonner leur formation.

En lycée professionnel comme en lycée d’enseignement général et technologique, l’accompagnement personnalisé apporte un soutien disciplinaire, une aide méthodologique et un cadre à la construction du projet d’orientation. Il renforce ainsi la mobilisation des élèves.

Le parcours individualisé est une mesure de prévention du décrochage scolaire qui peut s’appuyer sur des actions de la MLDS. Il s’établit sur la base d’un contrat entre le jeune, sa famille et le chef d’établissement, fixant des objectifs et des échéances sur lesquels les parties s’engagent.

L’activité de la MLDS  se développe autour de plusieurs objectifs :

–     favoriser la persévérance scolaire,

–     prévenir le décrochage scolaire en agissant dès les premiers signes,

–     apporter une expertise concernant l’accueil, la prise en charge et le suivi des décrocheurs tout au

long de l’année scolaire et leur offrir des actions spécifiques sous statut scolaire. Ce sont soit des actions de prévention, soit des actions de remédiation.

–     l’orientation scolaire subie / choisie :  la difficile compréhension pour les élèves des procédures d’orientation et du discours consistant à valoriser les logiques expressives tout en rappelant à certains  principes de réalités,  sorte de  plafond de verre,  qui constituent des contraintes supplémentaires pour ces élèves. (A.)

L’orientation post-troisième est un véritable écueil pour de nombreux élèves et notamment pour ceux issus de milieu populaire.

Passé l’âge où beaucoup d’enfants répondent qu’ils voudront être “pompiers ou policiers” quand ils seront grands, on a l’habitude de rencontrer des familles qui rêvent d’études brillantes amenant à des professions considérées comme prestigieuses : médecins, avocats… et ce quel que soit le niveau scolaire à l’entrée en classe de sixième.

À moins de disposer d’un capital socio-culturel leur permettant de se projeter dans des métiers manuels recherchés, rares sont les collégiens résidant dans les quartiers “politique de la ville” qui s’imaginent exercer le métier d’ébéniste et plus rares encore sont ceux qui connaissent les formations dispensées par l’école Boulle.

En France, si l’école offre une formation de qualité à la majorité des élèves, une part importante de ceux issus d’un milieu défavorisé reste “sur le bord de la route”. Ce triste constat attesté par les rapports PISA de l’OCDE, qui décrivait alors entre 2003 et 2012 une aggravation particulièrement inquiétante des écarts entre élèves selon leur origine sociale, indique que si les inégalités scolaires restent stables en 2019, elles restent néanmoins à un niveau élevé. Le pays demeure ainsi celui où le destin scolaire est le plus corrélé à l’origine sociale.

Comme l’indique le rapport sur les inégalités produit par l’Observatoire des inégalités en 2018, des avancées évidentes depuis plusieurs décennies ont marqué l’histoire du système scolaire dans les dernières décennies.

Ainsi, en 1978, 41% des jeunes de 18 à 24 ans avaient quitté le système scolaire avec au mieux le brevet de fin de troisième et ne suivaient aucune formation selon le ministère de l’Éducation nationale. En quarante ans cette proportion a été divisée par plus de quatre et s’établit à 9% en 2017. L’évolution est énorme même s’il reste encore 80 000 jeunes qui quittent le système scolaire chaque année avec un bagage faible. Parmi ces sortants précoces, une partie a continué au lycée sans obtenir le bac. La description souvent faite d’un système scolaire produisant en masse de l’échec est trompeuse, la proportion d’illettrés parmi les jeunes étant inférieure à 5% selon l’INSEE.

Toutefois, la classe de troisième est devenue un moment clé dans l’orientation comme l’était hier le certificat d’études. Les enfants des catégories défavorisées forment 41,7% des élèves au collège, toutes sections  confondues.  Ils  ne  représentent  plus  que 31%  des  élèves  de  seconde  générale  et technologique. Du collège à l’entrée au lycée la part des enfants des catégories défavorisées est réduite de 25%, celle des enfants issus de milieux très favorisés augmente de 50%. Cela résulte en partie du fait qu’à niveau scolaire équivalent, les élèves de catégories populaires sont plus souvent orientés vers l’enseignement professionnel.

De la même façon, le manuel indocile des sciences sociales de la Fondation Copernic indique dans le chapitre intitulé « À l’école, tu bosses, tu réussis ? », qu’en raison de la sectorisation et de la carte scolaire, « les établissements reflètent pour bonne part les caractéristiques sociales des populations des territoires dans lesquels ils se situent. Ce qui induit une ségrégation, particulièrement forte au collège, entre les établissements favorisés et ceux qui concentrent les élèves des quartiers populaires. Or, comme l’indique Marie Duru-Bella, en éducation le contexte fait des différences. Regrouper, au sein des mêmes établissements,  les  élèves  les  plus  éloignés  de  la  culture  scolaire  a  pour  effet  leur  plus  faible progression : le mieux serait, au contraire, d’avoir des classes hétérogènes en termes de niveau pour Agnès van Zanten, une telle ségrégation contribue de facto, à construire une école de la périphérie. »

Par ailleurs, dans le contexte d’enseignement, quand « Professeurs et élèves sont en contact, ce sont des histoires sociales incarnées (dans le prof ou l’élève) qui se rencontrent, et qui s’affrontent à mesure que les distances sociales entre eux se creusent – qui s’illégitimisent l’une l’autre en certains cas; qui sont irrecevables l’une pour l’autre. Une part de l’exclusion scolaire des élèves provenant des milieux populaires (notamment les garçons) tient beaucoup à cela : là sont invalidées par des enseignants (recrutés dans d’autres milieux sociaux) les pratiques culturelles spécifiquement populaires, les façons de parler ou de se tenir spécifiquement populaires, les insolences populaires. Car toute l’identité sociale des
enseignants, toute la hiérarchie de leurs goûts, en même temps que leur façon d’être, se trouvent alors effrayées.

Biljana Stevanovic rapporte les observations de Fortin et al. (2005) qui indiquent que “le faible niveau de coopération en classe se traduit par le non-respect des consignes et par une incapacité à se conformer aux demandes de l’enseignant. Cela pourrait contribuer à une attitude négative de
l’enseignant  envers  l’élève  et  à  une  mauvaise  relation.  L’élève  de  son  côté  peut  percevoir  les enseignants comme responsables de ses échecs et développer les attitudes négatives envers l’école”.
Il apparaît par ailleurs dans le rapport que “le processus d’orientation scolaire peut également conduire au décrochage, particulièrement s’il est perçu comme subi”. Dans l’enquête qu’elle cite, réalisée auprès de 186 jeunes décrochés inscrits dans les micro-lycées et les Missions Locales, 79 % ont déclaré qu’ils ont eu le sentiment d’avoir été mal conseillés au moment de leur choix d’orientation en 3e et 59 % d’avoir subi leur orientation.

Les élèves de la voie professionnelle sont les plus concernés par les sorties précoces du système scolaire, quels que soient les pays concernés en Europe (France, Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Allemagne, Danemark, etc.) (Thibert, 2013). La massification des études depuis les années 1970 et l’objectif du ministère de l’Éducation nationale de mener 80 % d’une génération au bac, ont rendu la scolarité moins sélective mais en revanche la sélection se fait davantage par filière. D’ailleurs, même au sein de la voie professionnelle, la sélection s’opère, du fait de la hiérarchie entre les filières (Thibert, 2013).

Dans l’Académie de Créteil, selon l’enquête du Pôle Académique de la Prospective et de la Performance (PAPP), 58 % des élèves qui décrochent viennent du lycée professionnel, 23 % du lycée général et 12 % du collège. Il apparaît également que le taux de décrochage augmente à mesure que le rang du vœu d’orientation augmente, cependant 82,3 % de ceux qui décrochent ont eu leur 1er vœu en CAP et 80,3 % en Bac professionnel (SIEI 2015, PAPP). L’étude du parcours scolaire des jeunes touchés par le décrochage scolaire montre que 43 % d’élèves décrocheurs de CAP et 40 % de Bac professionnel, étaient en retard en 6e (SIEI 2015, PAPP).

À chaque palier d’orientation, les jeunes en difficulté scolaire sont confrontés à des choix de filières mais ils n’ont pas réellement conscience de l’environnement professionnel dans lequel ils vont se retrouver. Parfois, même en choisissant leur filière, les élèves se rendent compte que la voie choisie ne correspond pas à leurs capacités et leurs attentes. Souvent, les stages de découverte professionnelle en entreprise en 3e ne permettent pas aux jeunes de bien découvrir le métier et le monde de l’entreprise.

L’observation des vœux d’orientation des “élèves entrant” au lycée Gabriel Péri illustre parfaitement ces différents constats. Même si une nouvelle tendance semble se dessiner depuis les trois dernières années, qui s’explique peut-être par de meilleurs taux de réussite aux examens et un climat scolaire apaisé, il est très rare de
trouver l’établissement en première position. Il en est de même pour les filières. Après avoir abandonné l’espoir “d’aller anciennement en S” et même en bac général, une fois que la réalité du niveau scolaire écarte toute autre possibilité, y compris l’accès à un bac technologique, ne reste plus que la voie professionnelle…

En premier lieu apparaissent des choix d’orientation dans des filières plus sélectives (mécanique automobile, carrosserie, moto, métiers du froid…) pour les CAP ou les Bac pros industriels et des établissements de centre-ville ou de communes avoisinantes estimés moins difficiles.

La consultation du dossier scolaire de Nadia fait apparaître la même réalité: issue d’un collège REP+ situé dans une des zones les plus sensibles de la zone de reconquête républicaine, son origine sociale la prédestine en fin de troisième à intégrer un CAP.

3. Dimension réglementaire

La situation relève de 3 dimensions principales :

–     la protection de l’enfance

Code de l’action sociale et des familles

Article L112 : « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de l’intérêt de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant ».

Article L112-3 : « la protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents   peuvent   être   confrontés   dans   l’exercice   de   leurs   responsabilités   éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs… ».

–     la lutte contre le décrochage scolaire et la réussite éducative des élèves.

Circulaire no 2013-035 du 29 mars 2013, le groupe de prévention du décrochage scolaire (GPDS) est une instance obligatoire dans chaque établissement du second degré.

Circulaire n° 2011-028 du 9-2-2011 : Organisation et mise en œuvre des articles L. 313-7 et L. 313-8 du Code de l’éducation.

Obligation de formation : Le décret n° 2020-978 du 5 août 2020 relatif à l’obligation de formation des jeunes de seize à dix-huit ans.

–     le conseil de discipline

Code de l’éducation et circulaire n°2014-059 du 27 mai 2014 relative à l’Application de la règle, mesures de prévention et sanctions dans les établissements du second degré.

4. Ce qu’en disent des collègues

Un témoignage :

–        une infirmière scolaire en  lycée général et technologique en Seine-Saint-Denis.

Il semble que la problématique  familiale soit très ancienne. L’assistante sociale est citée mais quelle a été son intervention ? À quel moment ? Quel suivi a été mis en place ? Où est le travail d’équipe ? L’institution en tant que telle n’apparaît pas, ce sont des individus avec plus ou moins d’affinités qui interagissent.

Depuis longtemps, des Réunions d’Équipes Éducatives auraient dû réunir le service médico-social, la psychologue de l’Éducation nationale, le proviseur, la famille à la suite de rapports explicitant les incidents  dans le but de planifier un suivi scolaire avec des aménagements, de temps et peut-être une prise en charge psychologique qui va souvent de pair avec la prise en charge sociale.

Une IP est relatée, les services de l’ASE et les services sociaux sont défaillants ? Refaire une IP avec l’AS.

A ce propos, tout adulte ayant connaissance de faits de maltraitance sur un élève se doit de le signaler, hiérarchie, CPE, proviseur, et pôle médico-social. L’enfant doit être protégé, l ‘élève est manifestement en danger. C’est le juge qui décide de son placement : encore faut-il qu’il en soit informé !

Et au bout d’un moment, l’institution a ses limites : la passivité de cette prise en charge conduit aussi à la maltraitance des équipes éducatives qui ne sont pas formées et qui subissent de plein fouet la violence d’une élève abandonnée tant sur le plan familial que sur le plan institutionnel. Il faut travailler en équipe, l’individualisme ne prime pas dans ces prises en charge très lourdes, et le suivi de l’assistante sociale rappelle le cadre légal avec lequel s’appuyer pour protéger cet enfant. L’infirmière peut orienter vers un service médical pour les traces de coup mais aussi un service psychiatrique pour les troubles du comportement. Tout est à faire, mais l’institution se doit de se positionner, et on en est bien loin.

5. Les ressources universitaires

La culture familiale de l’échec scolaire de Cristian Petre, Laura Simion, Mircea Adrian Marica Dans Pensée plurielle 2017/3 (n° 46) :

Les concepts de réussite et d’échec scolaire ne sont pas atemporels, mais ils sont construits par une histoire (Sălăvăstru, 2004). Selon cet auteur, la réussite scolaire réside dans « l’acquisition d’un rendement plus élevé dans l’activité instructive-éducative en conformité avec les exigences et les
objectifs des programmes d’éducation », et l’échec scolaire représente le fait de ne pas progresser selon les exigences du procès d’apprentissage ou le non-accomplissement des exigences obligatoires dans l’activité instructive-éducative.

La Reproduction, Éléments d’une théorie du système d’enseignement de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1970 – Collection Le sens commun, 284 pages :

Cet ouvrage présente la synthèse théorique de recherches dont le livre Les héritiers, en 1964, marquait la première étape. A partir de travaux empiriques sur le rapport pédagogique, sur l’usage lettré ou mondain de la langue et de la culture universitaires et sur les effets économiques et symboliques de l’examen et du diplôme, se construit une théorie générale des actions de violence symbolique et des conditions sociales de la dissimulation de cette violence. En explicitant les conditions sociales du rapport d’imposition symbolique, cette  théorie  définit  les  limites  méthodologiques  des  analyses  qui,  sous l’influence cumulée de la linguistique, de la cybernétique et de la psychanalyse, tendent à réduire les rapports sociaux à de purs rapports symboliques.

L’École produit des illusions dont les effets sont loin d’être illusoires : ainsi, l’illusion de l’indépendance et de la neutralité scolaires est au principe de la contribution la plus spécifique que l’École apporte à la reproduction de l’ordre établi. Par suite, essayer de mettre au jour les lois selon lesquelles elle reproduit la structure de la distribution du capital culturel, c’est non seulement se donner le moyen de comprendre complètement les contradictions qui affectent aujourd’hui les systèmes d’enseignement, mais encore contribuer à une théorie de la pratique qui, constituant les agents comme produits des structures, reproducteurs  des  structures,  échappe  aussi  bien  au  subjectivisme  de  la  liberté  créatrice  qu’à l’objectivisme pan-structuraliste.

6. Pistes de résolution de la situation

La situation nous permet d’envisager plusieurs pistes de résolution :

À l’école / à l’interne

Relations parents / école

–      la recherche de la venue et de l’adhésion de la mère dans le projet scolaire de son enfant : le parent exerçant l’autorité parentale a le devoir d’assurer son rôle éducatif à travers le droit à l’information sur le suivi de la scolarité et du comportement scolaire de son enfant. Dans
cette situation, la mère a été peu présente, sollicitée et donc impliquée. Un travail mené en amont pour identifier les parents, leurs difficultés mais aussi leurs capacités d’action avec les associations de parents ou de femmes (familles monoparentales surreprésentées) sur le quartier peut être défini dans ce sens (aide par les pairs). Il s’agit aussi de déconstruire les représentations sur les parents et leurs conditions d’existence ;

Relations élève / école

–            une proposition de prise en charge psychologique adaptée à l’âge et aux besoins de l’élève, soit à l’intérieur de l’école (certains établissements scolaires dans leur espace, en partenariat avec des structures locales, disposent de permanences assurées par des psychiatres et des psychologues pour accompagner les jeunes présentant des difficultés d’apprentissage ou des troubles psychologiques) soit en dehors des murs de l’école (maison des adolescents, centre médico-psychologique …) ;

–         une meilleure préparation, notamment pour ceux rencontrant des difficultés dans leur

recherche et / ou les prérequis nécessaires à l’entrée en stage (les stages de l’élève se sont toujours soldés par un échec), un suivi précoce (l’élève n’ayant pas été visité sur son court temps de stage) et une coordination conjointe des stages des élèves par les structures d’accueil et l’établissement scolaire sont des axes centraux d’intervention évitant que le terrain de stage ne constitue un deuxième champ de bataille (après l’école).

Relations école / équipes

–    davantage de communication entre les CPE remplaçants, de dialogue avec l’élève, une prise de recul / nécessaire distance quant au comportement inadapté de l’élève face aux attendus de l’école : en effet, en raison d’une proximité entre la 1ère CPE et de la professeure
principale,  l’élève  n’a  peut-être  pas  assez  été  entendue  dans  sa  difficulté (y  compris comportementale). Ces professionnels ont été moins impliqués dans le suivi de cette élève car cet investissement pédagogique était conditionné au mérite de l’élève. Ce qui est considéré
comme des capacités, n’est en réalité que le produit du capital culturel et des habitus (primaire et secondaire). Pour pouvoir accompagner avec le plus d’efficacité les élèves en difficulté  et  ne  pas  passer  à  côté  d’une  situation  préoccupante  qui  se  dégrade,  les informations doivent pouvoir être transmises assez rapidement (dans la limite du secret partagé et de l’information utile) aux interlocuteurs privilégiés, notamment dans le cas d’instabilité des personnels (comme cela a été le cas ici, l’élève a été confrontée dans un cycle court à trois CPE différents dont deux originaires de province et partant en cours d’année en congé maternité) et manquant d’expérience dans cette fonction (deux néo- titulaires, un CPE contractuel). La multiplication des référents vie scolaire a pu contribuer à rendre difficile l’instauration d’un climat et d’une relation de confiance avec l’élève ;

–            un suivi plus individualisé du parcours personnel et d’orientation de cette élève, au regard de son profil, de ses aspirations, prenant en compte l’histoire familiale et la place des inégalités sociales dans celles des inégalités scolaires. Tous les éléments de sa situation (notes, comportement, investissement…) ont montré un rapport distant à l’école et pourraient prétendre à une prise en charge globale (signalement par l’équipe enseignante, Psy-En, intervention de la vie scolaire, de l’équipe pédagogique ou médico-sociale auprès du Groupe de Prévention de Décrochage Scolaire du lycée, notamment) ;

–            une meilleure connaissance du territoire, de ses caractéristiques et de ses problématiques (pauvreté des familles et ses effets, focus sur les freins à la réussite scolaire) peut être opportun pour viser un repérage précoce et une meilleure prise en charge pédagogique (dans le sens d’adapter aux besoins des élèves en difficulté). Ce qui peut paraître comme un problème pour la majorité des enseignants, constitue pour le personnel médico-social ou les partenaires extérieurs, le symptôme, les effets du problème. A l’instar de certaines Académies de la région parisienne comme celle de Créteil, une meilleure connaissance de l’environnement des familles, du quartier et de ses particularités, l’identification des dispositifs dans et hors école pouvant aider les familles et les enseignants et la mobilisation des associations (ATD Quart-Monde, centres sociaux, associations d’aide au devoir et de soutien à la parentalité comme le Café des parents, association de parents d’élèves…) sont
préconisées pour faire entendre la réalité du lien entre grande pauvreté et réussite scolaire, dont les enseignants voire les équipes de direction (c’est notamment très instructif pour les personnels originaires de province, recrutés temporairement pour remplacer du personnel au lycée ou ceux ayant des un cadre de référence très différent des élèves). Souvent éloignés des  valeurs  scolaires,  culturelles  et  sociales  des  élèves,  les  équipes  doivent  être sensibilisées à la manière de “voir” les élèves et leurs familles pour éviter les amalgames, représentations sociales et stéréotypes. Il s’agit là de leviers pour agir collectivement en faveur de la réussite scolaire des plus fragiles. Ce travail d’information, de sensibilisation et
de formation auprès des équipes du lycée peuvent prendre des formes diverses : à l’interne, des aides négociées de territoire (modalité d’accompagnement de projets de formation d’initiative locale d’établissement ou de réseau portés par un membre de la communauté
éducative représentant les personnels volontaires ou directement par la direction et visant à aider les équipes à trouver des réponses à leurs questionnements professionnels), de mise en place de projets d’équipe mais aussi avec l’extérieur, de rencontres avec les acteurs de la vie locale (responsables associatifs, associations de parents, CAF…) agissant au plus près des élèves et de leurs familles ;

À l’extérieur / à l’externe

–            une prise en charge anticipée de l’élève par les services de l’aide sociale à l’enfance : le manque de communication de son dossier scolaire aussi bien au niveau collège de départ que par le lycée d’accueil aurait dû être examiné avec plus de vigilance et de tact au vu de la situation familiale (proche du danger). En dehors de l’information préoccupante (transmise à la Cellule de recueil, d’évaluation et de traitement des IP du Conseil départemental) rédigée par l’infirmière du lycée, un signalement adressé au procureur de la République aurait pu être envisagé (à la différence de l’IP, tout personnel de l’Éducation nationale peut en aviser le procureur, dans les cas où la gravité le justifie) ;

–            davantage d’échanges avec les services d’éducation spécialisée de rue, qui assurent des missions de préservation ou de renforcement de l’autonomie et de développement des capacités à vivre en autonomie et qui côtoient les jeunes en difficulté ou en rupture scolaire dans leur quotidien sur le territoire.

7. Prendre parti

Pour A. :

Il me semble que la situation rencontrée par Nadia n’a pas trouvé de réponse satisfaisante dans l’établissement scolaire. Différentes raisons peuvent expliquer cette prise en charge incomplète. J’ignore si la transmission d’informations entre son CPE du collège d’origine et celle du lycée s’est faite. Toutefois il aurait sans doute été opportun d’alerter dès la rentrée l’ensemble de la communauté éducative, et notamment les personnels médico-sociaux, sur la situation particulière de l’élève afin qu’elle soit accompagnée au plus près dans ses difficultés et bénéficie d’une attention bienveillante de la part des professeurs.

Ce préalable aurait peut-être permis de prévenir les relations conflictuelles à venir, aussi bien avec sa première CPE qu’avec le reste de l’équipe pédagogique. L’appui dans la recherche de stage, qui relève des missions du professeur principal, aurait sans doute été plus efficace et les enseignants chargés des visites des stagiaires dans les structures d’accueil auraient pleinement joué leur rôle.

Ce manque d’investissement s’il n’explique pas toutes les difficultés rencontrées par l’adolescente, a contribué  à  l’échec  de  ses  PFMP.  L’absence  prolongée  du  Directeur  délégué  des  formations technologiques et professionnelles (DDFTP), ex-chef des travaux, en lien direct avec les entreprises et les structures d’accueil a également eu un impact non négligeable sur sa scolarité.

Par ailleurs, et de façon plus systémique, l’affectation dans l’Académie de Créteil de personnels peu expérimentés (deux CPE originaires du Sud de la France et néo-titulaires) voire peu qualifiés (un CPE contractuel) interroge directement sur l’encadrement d’élèves rencontrant de multiples difficultés, sur la capacité de suivi des situations complexes et finalement sur la relation de confiance qui peut s’établir entre le jeune et l’adulte référent.

Enfin, et en lien avec la gestion des ressources humaines décrite, le manque voire l’absence de relations avec les partenaires territoriaux, qu’ils soient associatifs ou institutionnels, souligne les limites de l’institution scolaire.

Pour K. :

La situation de l’établissement (plusieurs CPE successifs et difficultés de transmission des informations) a mis l’élève dans la situation de ne pouvoir être repérée efficacement par le Groupe de Prévention contre le Décrochage Scolaire.

Un travail spécifique aurait pu être mis en œuvre par l’assistante sociale du lycée à destination du responsable légal afin de s’assurer de pouvoir proposer un accompagnement répondant aux besoins de l’élève.

Il est regrettable qu’aucune mesure d’aide (suite à un bilan de situation) n’ait pu être mise en place par l’équipe pédagogique. Aucun acteur institutionnel extérieur à l’établissement n’a été sollicité.

Pour L. :

Me concernant, un des facteurs principaux des problèmes soulevés par la situation est l’absence de la mère dans le suivi de la scolarité de Nadia. Tout est fait comme si la mère était injoignable alors que détentrice de l’autorité parentale, celle-ci a, jusqu’à la majorité ou l’émancipation de son enfant, le devoir de la protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, d’assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Tous les moyens de communication doivent être déployés par l’établissement scolaire pour la mobiliser : appels téléphoniques (avec mise à jour des numéros de téléphones), courrier recommandé avec accusé de réception, visite à domicile d’une assistante sociale, voir si la famille est connue par le service social de secteur, etc., pour voir ensuite éventuellement si les sœurs peuvent devenir les interlocutrices privilégiées, avec accord explicite de la mère.  Les sœurs se sont, avec ou sans l’accord de la mère, substituées à l’autorité parentale.

Cette délégation de pouvoir pose aussi le souci de la crédibilité de la parole de l’adulte : comment Nadia peut-elle être aidée par ses sœurs alors qu’elle-même a subi des violences de leur part et sont dans des situations similaires d’échec, et l’empêchent de sortir de la bulle familiale. Pour moi, “le destin de Nadia semble assigné” par la fratrie.

L’équipe pédagogique, d’orientation, de direction et de vie scolaire ayant eu connaissance des difficultés personnelles et familiales de l’élève, un accompagnement personnalisé et conjointement mené par l’assistante sociale, la Psy-En et l’infirmière du lycée aurait pu être anticipé et entamé auprès de Nadia et sa famille dès son entrée au lycée (car la famille était connue dès le collège), avec plus d’engagement de la part de la famille, en partenariat avec les services sociaux de polyvalence de secteur. Dans certains cas, une action éducative en milieu ouvert peut être prononcée par le Juge des enfants lorsque les détenteurs de l’autorité parentale ne sont plus en mesure de protéger et d’éduquer leur enfant dont la santé, la moralité, la sécurité, les conditions de son éducation ou son développement sont gravement compromises.

Cette situation semble me faire penser que toute issue scolaire favorable ne pouvait être conçue pour Nadia, donc peu génératrice d’actions par le système éducatif en faveur de la réussite de l’élève : comme si “tout était déjà joué, prédit d’avance, que la fatalité et la résignation étaient au rendez-vous”.

Au niveau institutionnel, les équipes peuvent, sans le vouloir, “étiqueter / stigmatiser” les élèves de par leur comportement, leur environnement, leur passif familial. Parallèlement à cela, Nadia semble avoir intériorisé toute la rancœur des sœurs confrontées à l’échec scolaire ; l’École, dans ce cas précis, a peu contribué à son épanouissement et à un projet de réussite de l’élève (tant d’un point de vue scolaire que social). Nadia donne l’impression d’hériter de l’échec scolaire de la famille.

Mieux  comprendre  le  parcours  de  l’échec,  identifier  les  obstacles (psychologiques,  liés  aux apprentissages, familiaux, etc.), accompagner l’élève dans la maturation de son projet d’orientation (et donc solliciter a minima le psychologue de l’Éducation nationale) est un nécessaire préalable pour permettre à l’élève d’être acteur de sa scolarité et donc d’être engagée dans un objectif de réussite scolaire.

Un  travail  de  formation  de  tous  les  enseignants (contractuels,  stagiaires  et  titulaires),  tout particulièrement doit être mené autour de la bienveillance envers les élèves (relation de confiance, estime de soi, psychologie de l’adolescence, etc.) et de la pédagogie au service de la réussite scolaire en milieu défavorisé (prise en compte des inégalités sociales, part de l’échec cognitif et non-cognitif, existence d’un conflit de loyauté dans certaines situations, etc.), peut être pertinent à mener à l’échelle d’un établissement confronté à de multiples et récurrentes problématiques sociales.

La possibilité pour les enseignants de bénéficier de groupes de parole ou de prise du recul sur des situations difficiles  qu’ils vivent fréquemment et d’analyses de situations / pratiques (grâce à un regard critique, avec des intervenants tiers tels que dans notre DU, voire même avec des psychologues) leur apportant des pistes sur la manière dont les points de vue peuvent être confrontés) peut amener plus de sérénité et d’optimisme dans nos pratiques pédagogiques.

Le  recours  à  des  personnes  qualifiées  et  reconnues (associations  de  quartier,  centres  sociaux éducateur de rue, maison des adolescents …) en dehors des murs de l’école peut permettre, aux élèves les plus éloignés de l’école et de leur famille (pour qui le dialogue est difficile voire inexistant), de nouer ou renouer les relations élève-école-famille, dans le respect des rôles et obligations de chacun, mais aussi de porter la voix des “sans voix” (cf Le mouvement ATD Quart Monde, engagé auprès des plus pauvres depuis plus de cinquante ans, exclu du Conseil économique, social et environnemental à compter de mai 2021 malgré la remise en main propre le 12 mai 2021 de la pétition ATD Quart Monde doit continuer à porter la voix des plus pauvres au CESE par 27500 signataires à un conseiller de Jean CASTEX) des élèves et familles “invisibles” (selon Stéphane BEAUD dans “La France des invisibles” – 2008 -,  ce concept renvoie aux populations qui, malgré leur nombre, sont masquées, volontairement ou
non, par les chiffres, le droit, le discours politique, les représentations médiatiques, les politiques publiques, les études sociologiques ou les catégorisations dépassées qui occultent leurs conditions d’existence).

Dernier point : les nombreux échanges avec mon groupe, notre formateur aux 2 GPS et l’analyse faite par un membre extérieur (infirmière scolaire de lycée) de cette situation présentée en GPS 2 m’ont aussi fait prendre conscience du besoin d’identifier et faire savoir de manière catégorique nos missions, notre champ d’intervention, nos limites et relais à mobiliser par la direction de l’établissement.

Face à l’extrême interaction et imbrication de difficultés auxquelles peut être exposé un établissement scolaire, il est obligatoire de différencier ce qui relève d’une logique individuelle d’un devoir institutionnel.

Pour reprendre le terme de Mme F.B, infirmière scolaire, ce n’est pas une “affinité personnelle” qui doit prévaloir la nécessité d’intervenir auprès de tel ou tel élève, mais bien, une obligation que le droit nous confère. Cette ligne claire pour chacun nous permettrait à mon sens d’éviter deux écueils :

  • penser que nous sommes irremplaçables et que sans nous, l’enfant ne peut être pris en charge et trouver de solutions. Ce qui permettrait pour les personnes investies (parfois trop à la limite du burn out), de pouvoir prendre de la distance (notamment psychique) face à la situation, de “lever le pied” et d’assurer le relais notamment en cas de fort turnover et instabilité des équipes, sans craindre que l’enfant soit livré à un professionnel hasardeux ;
  • perdre le sens du travail quotidien d’agents du service public de l’Éducation nationale en zone sensible, confrontés aux limites d’un système où la mobilité sociale n’est qu’une chimère. L’action de “réduction des inégalités” doit être collective et affichée pour tous (axe pouvant être décliné dans un projet académique, d’établissement et de territoire) et vue avec un certain regard psychosocial – sociologique (cette forme d’expertise scientifique est très peu sollicitée dans les groupes de travail des conseils locaux de la prévention de la délinquance, de la mise en place de contrats de ville ou des programmes de réussite éducative), pour ne pas oublier que les élèves de ces territoires sont les premières victimes des inégalités scolaires, (en grande partie sociale) avec de forts et néfastes prolongements (illettrisme, chômage, disqualification, délinquance, tout particulièrement) à l’âge adulte dans un territoire circonscrit. Avec plus de vingt d’expérience professionnelle en direction d’usagers, j’en arrive à conclure que seule, une volonté politique et sincère (en  dehors  des  échéances  électorales  et  des  partis  pris)  aux  divers  échelons géographiques,  objective (basée  sur  des  faits  scientifiques  et  non  mesurée  par  des représentations  sociales)  et  avec  des  moyens  pérennes  peut  atténuer  les  effets  de  la reproduction sociale et contribuer avec les parents à la réussite de leurs enfants, dans un souci d’équité et de maintien de la cohésion sociale.
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