La note de l’absence.

Notation d’un élève absentéiste dans le cadre d’un travail de groupe

Résumé

Un groupe d’élève rend un travail de groupe qui donne lieu à une note collective. Cependant l’un des deux élèves est souvent absent ce qui fait craindre à son enseignante qu’il n’ai en réalité pas ou peu participé au travail rendu. La question se pose de l’équité de la notation similaire vis-à-vis de l’élève ayant assurément travaillé et de la gestion des absences répétées de son camarade.

1. La situation

La situation a été vécue par une professeure stagiaire de Lettres-Histoire, affectée dans un lycée du Val d’Oise.

Il s’agit d’un lycée polyvalent de 650 élèves environ dans un quartier assez calme comportant deux classes d’Agora sur trois niveaux et une majorité de classes de la voie générale. La situation concerne une classe 2nde AGORA, de 28 élèves, réunie 1 heure par semaine en classe entière, et 2 heure par semaine en demi-groupe en cours de Français et Histoire-Géographie. C’est une classe dynamique et assez motivée dans cette matière, la plupart des élèves ont choisi cette orientation et ont un projet professionnel défini. Cette classe ne présente pas de problèmes de comportement, mais il y a deux élèves très absentéistes depuis la rentrée.

Début novembre 2021 à l’occasion d’un cours d’Histoire, en fin de séquence sur le thème 1 portant sur les grandes découvertes, les élèves ont un devoir à faire à la maison en binôme. Cet exposé porte sur un grand explorateur vu dans le cours. Le travail à faire est précisé dans un encart sur le document de cours des élèves. Il est annoncé oralement par le professeur dès le début de la séquence, soit deux semaines avant la date de présentation de l’exposé à l’oral. Le travail à faire est également précisé dans le cahier de textes de Pronote et un mail de rappel de la consigne est envoyé par le professeur, une semaine avant. L’enseignante s’était assurée auprès de la collègue d’Administration que les élèves avaient les compétences et les prérequis pour réaliser ce travail en autonomie. Chaque élève a en sa possession un ordinateur équipé du logiciel Powerpoint depuis la rentrée (dotation de la région Ile de France pour les secondes).

La consigne : proposer en binôme un exposé sur la vie et le voyage de l’explorateur choisi, il devra comporter 5 diapositives au minimum, deux représentations de l’explorateur et une carte de son ou ses voyages. Le travail écrit est noté, la présentation orale sera courte et apportera des points bonus à la note écrite. Les élèves d’un même groupe auront la même note. Le travail écrit sera à rendre au professeur au plus tard la veille de l’exposé par mail afin de faciliter la présentation sur vidéo-projecteur.

Les critères d’évaluation sont présentés aux élèves :

  • respect de toutes les consignes
  • orthographe
  • capacité à rechercher et à synthétiser les informations
  • capacité à échanger en binôme pour sélectionner les informations pertinentes.
  • Pour la partie orale, capacité à restituer à l’oral les éléments collectés et mis en page.

L’enseignante a laissé aux élèves le choix du binôme. Les élèves se répartissent donc par groupes de deux ou trois élèves par affinités. Un élève assidu choisit de travailler avec un élève absent ce jour-là mais très absentéiste. Par élève absentéiste, nous entendons ici un élève absent lors de la quasi-totalité des cours de cette enseignante depuis le début de l’année.

Deux jours avant l’oral, l’élève assidu envoie au professeure un document sur lequel il n’y a aucun texte autre que son nom et celui de son camarade. L’enseignante précise par retour de mail que c’est l’écrit qui est noté et qu’en l’état sa note serait très basse. L’enseignante lui laisse jusqu’au matin de l’exposé pour renvoyer un travail complet. La professeure n’a aucune nouvelle de l’autre élève, il n’est même pas en copie du message de son camarade. Le matin de l’exposé, la professeure reçoit le document complété, envoyé par l’élève assidu.

Au moment de l’exposé oral, seul l’élève assidu est présent et présente le travail supposément réalisé en binôme. Il fait une présentation correcte et obtient une note de 10/20 pour l’écrit et l’enseignante décide de lui donner un bonus de 1 point pour sa présentation orale. Concernant son camarade, la professeure doute de la marche à suivre, et questionne l’élève assidu sur l’implication de son camarade dans ce travail. L’élève assidu indique qu’il a fait le travail avec son camarade, précisant qu’ils s’étaient vus en dehors des cours pour travailler sur le sujet. Mais le doute persiste, l’élève assidu essaye peut-être de valoriser / protéger son camarade.

Comme l’enseignante avait annoncé que les deux élèves de chaque binôme auraient la même note d’écrit, il lui semble compliqué de ne pas mettre la même note à l’élève absentéiste, sans le bonus de l’oral étant donné qu’il était absent lors de la présentation orale. Cet élève n’a assisté à aucun des cours d’histoire, sa seule note sera donc celle d’un exposé pour lequel le professeur n’a aucune preuve qu’il ait effectivement participé. Il aura donc presque la même note que l’élève assidu, sans avoir rien ou presque rien fait étant donné qu’il est évident que le travail écrit de dernière minute est le travail de l’élève assidu seul. Cette note sera au coefficient 1, alors que les évaluations de fin de séquence sont habituellement au coefficient 2. Les élèves ont connaissance des coefficients. Le professeur demande à sa tutrice son avis sur la situation.

2. Les questions que pose la situation 


Tout d’abord, cela pose un problème d’équité, les deux élèves ont la même note alors que leur investissement dans la formation n’est clairement pas la même. L’équité face à l’évaluation chiffrée sous-entend que chaque élève a une note qui reflète son investissement et dans le travail et dans l’acquisition de ses compétences. Or, dans cette situation, il est difficile d’évaluer l’élève absentéiste, car on ignore la qualité de son investissement dans le travail en binôme. De fait, cela pose la question de l’évaluation et de la notation de chaque élève au sein du groupe et par rapport au reste de la classe.

Concernant l’élève absentéiste, cela pose un problème, car c’est la seule note qu’il aura sur le semestre en Histoire, alors que le professeur n’a aucune certitude que cela soit le reflet de son travail ou de ses compétences. La notation est censée permettre d’évaluer les apprentissages et les compétences acquises des élèves et ce n’est pas le cas ici.

De plus, il est difficile pour l’enseignante, d’avoir le recul nécessaire pour l’évaluer et accompagner l’élève absentéiste dans ses apprentissages. Tout comme il est difficile d’évaluer l’investissement des élèves lorsque le travail est à faire en autonomie à distance. Cela pose la question de l’équité de la notation. Est-il juste qu’un élève ayant pas ou peu travaillé obtienne la même note que les autres ?

Cela entraîne un certain nombre de questions: l’élève est-il absentéiste de manière généralisée ou seulement dans ce cours. L’élève est-il dans son choix d’orientation initial ? et dans son choix d’affectation ? A-t-il conscience de mettre en péril ses apprentissages et sa formation ? Des moyens ont-ils été déployés afin de pallier cet absentéisme récurrent au sein de l’établissement ? L’élève a-t-il des difficultés scolaires ? Son absence est-il du fait d’un élément extérieur à l’école ( famille, loisirs, etc) ? Son orientation lui convient-elle toujours ?

3. Dimension réglementaire

L’évaluation est réglementée, le guide sur l’évaluation d’Eduscol en précise les modalités. Dans le cadre de la situation présentée, il ne s’agit pas d’une note certificative. Il ne s’agit pas de sanctionner un manque de travail ou d’investissement, mais bien de comprendre où se situe l’élève dans son apprentissage et dans sa formation. Ce qu’il doit revoir, et ce qu’il a acquis, les méthodes qu’il maîtrise et celles sur lesquelles le professeur pourra revenir. La notation a pour valeur d’évaluer les progrès effectués, ce qui est impossible avec pas ou peu de notes. La progression de l’élève ne peut être observée.

La présence en classe est également réglementée, car les élèves sont soumis à l’obligation scolaire en fonction de leur âge. L’absentéisme est un frein à l’apprentissage et à l’évaluation des progrès de l’élève.

Sur ce dernier point, la loi d’orientation et de programmation de 2013, met en lumière le décrochage dont l’absentéisme peut être le révélateur. Il est clairement dit que les établissements doivent faire de la réduction de l’absentéisme l’un des objectifs principaux de leurs projets d’établissement. Et ce, dans le but d’accompagner au mieux les élèves vers l’obtention de leur diplôme.

Il s’agira donc, comme c’est le cas ici, de se concentrer sur la question de l’absentéisme et d’établir en équipe des mesures à prendre pour agir de manière collective et y remédier. Pour cela, la loi met en avant la possibilité de désigner un référent au cœur de l’équipe du lycée, « un référent aura en charge la prévention du décrochage, le suivi des élèves décrocheurs en liaison avec les plates-formes, la relation avec les parents, le suivi de l’aide au retour en formation des jeunes décrocheurs de l’établissement, en vue de l’obtention d’un diplôme national ou d’un titre professionnel de niveau V. ». Ce référent pourrait ainsi se charger de la communication avec la famille, le suivi de l’élève, de son retour en formation et tisser des liens avec les différents acteurs de sa formation. La question de l’évaluation pourra être alors, ensuite, à nouveau mise en avant.

La loi indique par ailleurs que « quelles que soient les origines de l’absentéisme, il appartient à l’institution scolaire de mettre en œuvre tous les moyens pédagogiques et éducatifs à sa disposition pour favoriser l’assiduité de l’élève. ». Il s’agira donc d’établir un diagnostic permettant de comprendre les raisons du manque d’assiduité afin de proposer des solutions.

4. Ce qu’en disent des collègues

La tutrice de l’enseignante stagiaire propose de rester sur ce qui avait été annoncé, à savoir, la même note écrite pour les deux élèves et le bonus oral pour celui qui a fait l’exposé. Concernant l’absence de notes autres que celle-ci sur le bulletin de l’élève, elle conseille de préciser dans les appréciations que la note n’est pas représentative, car c’est la seule note du semestre et que c’est un devoir maison en groupe.

Certains professeurs proposent, si c’est encore possible avant l’arrêt des notes, de faire faire un travail complémentaire à l’élève afin d’évaluer ses compétences dans des conditions différentes. Des collègues issus d’autres disciplines, notamment professionnelles, proposent de mettre la même note aux deux élèves, tout en spécifiant sur le bulletin de l’élève absentéiste que cette note ne représente pas l’acquisition des compétences de l’élève.

Dans l’ensemble, les collègues que nous avons interrogés dans nos établissements respectifs mettent tous l’accent sur l’absentéisme et comment faire en sorte que l’élève revienne en classe, la note n’est qu’accessoire dans ce cas précis.

5. Les ressources universitaires

De nombreux chercheurs travaillent sur l’absentéisme et sur l’évaluation. Bien que notre problème traite des deux sujets, nous avons choisi de nous pencher sur l’absentéisme qui est la cause de la situation présentée. Les recherches portent sur les causes de l’absentéisme, notamment les causes sociales. Il convient de se demander si l’élève ne vient plus parce qu’il préfère aller travailler pour aider sa famille, s’il vient d’une famille réfractaire à l’école, etc. Les chercheurs relèvent également des causes d’absentéisme en lien avec l’orientation des jeunes. L’élève avait-il choisi son orientation ? Celle-ci (choisie ou subie) lui convient-elle ? Pourquoi ? Etc.

Il y a aussi des causes et facteurs sociologiques, et psychologiques, l’élève qui “s’enferme” dans le rôle de mauvais élève et donc d’absentéisme comme le souligne l’étude de Hernandez, Oubrayrie-Roussel et Prêteur portant sur les “Relations sociales entre pairs à l’adolescence et risque de désinvestissement scolaire” 1Hernandez, Oubraurie-Roussel et Prêteur, « Relations sociales entre pairs à l’adolescence et risque de désinvestissement scolaire », Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, vol 60, n°2, mars 2012, pp. 87-93. Notons également la recherche de Crosnoe, Kirkpatrick, Johnson & Elder, portant sur le lien de causalité entre la relation élève-professeur et l’absentéisme, qui estime que si la relation élève-professeur est vécue comme positive (en particulier si elle est juste) le risque d’absentéisme diminue 2Crosnoe, Kirkpatrick, Johnson & Elder, « School Size and the Interpersonal Side of Education: An Examination of Race/Ethnicity and Organizational Context », Social Science Quarterly, Vol. 85; N°5, Décembre 2004, pp. 1259-1274.

On le constate d’ailleurs dans les absences perlées, les cours manqués sont souvent les mêmes. L’absentéisme est également à quantifier, est-il “perlé” ou continu ? Le centre national d’étude des systèmes scolaires (CNESCO) estime que l’absentéisme perlé (certains cours pas tous) concerne environ 25% des élèves au cours de leurs scolarité alors que l’absentéisme d’une journée entière concerne seulement 11% des élèves (d’après les résultats PISA 2015).

Il y a donc plusieurs types de facteurs qui peuvent entraîner un absentéisme scolaire, des facteurs psychologiques, des facteurs sociologiques et des facteurs sociaux. Il convient de définir quels sont les facteurs dans chaque cas afin de pouvoir proposer des solutions adaptées à chaque cas particulier.

6. Pistes de résolution de la situation

  1. Mettre la même note d’écrit aux deux élèves, valorisé l’assidu avec le bonus de l’oral. Cette solution a pour avantage de respecter les consignes énoncées par le professeur, mais cela entraîne la communication d’un message général erroné auprès de l’ensemble du groupe, et une difficulté à évaluer de manière juste les deux élèves au regard de leur investissement respectif.
  2. Mettre la note à l’élève assidu et « non noté » à l’élève absentéiste. Cette solution met le professeur en situation délicate. En effet, il émet un jugement sur le travail et l’investissement de l’élève absentéiste sans en avoir la certitude.
  3. Mettre la note à l’élève assidu et « ABS » à l’élève absentéiste. Cette solution pose le problème du respect du critère d’évaluation énoncé. Pour rappel, les élèves sont évalués sur l’écrit et non sur l’oral. L’élève absentéiste à rendu un travail portant son nom.
  4. Préciser dans les appréciations du bulletin que la note n’est pas représentative du fait des absences aux évaluations.
    Cette solution, compatible avec les précédentes, permet d’informer l’élève, les parents et les autres enseignants de la nuance à apporter à la note ou à l’absence de note.
  5. Prendre contact avec les parents, faire le point avec le professeur principal et la CPE. Cette solution, compatible avec les précédentes, permet d’informer l’élève, les parents et les autres enseignants de la nuance à apporter à la note ou l’absence de note et d’essayer de trouver des solutions afin de réduire l’absentéisme de cet élève.
  1. Proposer la mise en place d’un référent décrochage, pour assurer le suivi de cet élève en particulier. Cette solution, compatible avec d’autres propositions permet de limiter le décrochage, et de favoriser un accompagnement personnalisé du jeune.
  2. Proposer une évaluation complémentaire à l’élève absentéiste. Cette solution permet de lui laisser une chance de prouver son investissement dans le travail, et de gagner comme son camarade un point «bonus» sur l’oral.

7. Prendre parti

Le parti-pris que nous prenons est de suivre les pistes 1, 4, 5 et 6 à savoir :

  • ●  Mettre la même note d’écrit aux deux élèves, valoriser l’assidu avec le bonus de l’oral.
  • ●  Préciser dans les appréciations du bulletin que la note n’est pas représentative du fait des absences aux évaluations.
  • ●  Prendre contact(s) avec les parents, faire le point avec le professeur principal et la CPE.
  • ●  Proposer la mise en place d’un référent décrochage, pour assurer le suivi de cet élève en particulier.

Ces solutions nous semblent les plus adaptées. En effet, le professeur respecte ses engagements en termes d’évaluation vis-à-vis des élèves, afin de préserver le lien de confiance avec le groupe classe. Dans la mesure où il n’y a pas de certitude sur l’absence d’investissement de la part de l’élève absentéiste, le bénéfice du doute lui est accordé. De fait, la note est la même que celle qu’il aurait eu si le professeur avait eu la certitude de son investissement personnel. Le fait de préciser, dans les appréciations du bulletin du premier semestre, l’impossibilité d’évaluer correctement l’élève, permet de nuancer la note unique. Parallèlement, nous mènerons un suivi renforcé de l’élève en collaboration avec l’équipe pédagogique, le professeur principal, le CPE et les parents de l’élève afin de comprendre les motifs de l’absentéisme et d’essayer d’y remédier de manière efficiente. Travailler sur l’absentéisme avec cet élève, l’équipe pédagogique et ses parents pour trouver une solution à l’absentéisme, qui met en péril sa scolarité.

  • 1
    Hernandez, Oubraurie-Roussel et Prêteur, « Relations sociales entre pairs à l’adolescence et risque de désinvestissement scolaire », Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, vol 60, n°2, mars 2012, pp. 87-93
  • 2
    Crosnoe, Kirkpatrick, Johnson & Elder, « School Size and the Interpersonal Side of Education: An Examination of Race/Ethnicity and Organizational Context », Social Science Quarterly, Vol. 85; N°5, Décembre 2004, pp. 1259-1274
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