1. La situation
La situation concerne une classe de 1ère Accompagnement Soins et Services à la Personne (ASSP) composée de 28 élèves. Elle se déroule au début de l’année scolaire, fin septembre. Le cours a lieu en classe entière, un mardi de 10h25 à 11h20 (55 min) après la récréation. Les élèves ont déjà eu 2h de cours avant.
La salle de classe est disposée en autobus (7 élèves / rangée).
L’enseignante est sur le pas de la porte et elle salue les élèves. Ceux-ci arrivent au fur et à mesure et entrent dans la classe. Ils s’installent comme ils veulent car il n’y a pas de plan de classe. Les élèves continuent à discuter entre eux sans avoir sorti leurs affaires. Les conversations débutées lors de la récréation se poursuivent. Certains sont retournés pour bavarder à voix haute avec leurs camarades et ne modifient pas leur comportement malgré les demandes de la professeure (« retournez-vous ! »). Les premiers rangs restent vides au centre.
La professeure demande le silence pour pouvoir faire l’appel. Les élèves ne réagissent pas et continuent à discuter entre eux, comme si la récréation n’était pas terminée.
La professeure hausse le ton et commence l’appel. Les bavardages reprennent au bout de 20 secondes.
La professeure interrompt l’appel quelques secondes et une deuxième tentative de demande de silence est faite en haussant le ton : « Est-ce que je peux avoir le silence afin de pouvoir faire l’appel ! ».
Comme la réalisation de l’appel dans le silence est impossible, la professeure menace de faire une évaluation à l’issue de l’appel. Le silence finit donc par arriver.
L’appel peut enfin se faire dans le calme. À l’issue de celui-ci, les élèves sont invités à sortir une feuille. Débute alors une négociation de la part des élèves pour ne pas réaliser d’évaluation, face à une professeure intransigeante. Cinq questions sont inscrites au tableau : elles concernent le cours de la veille.
L‘évaluation a donc bien lieu et dure 40 minutes.
Les élèves exécutent la tâche dans le calme et consciencieusement sous la pression de la note. Nous pouvons donc supposer que les élèves sont soucieux de leurs résultats et que, par conséquent, ils ont intériorisé les règles scolaires.
Les deux cours suivants étaient moins bruyants, les élèvent étaient moins dissipés.
Lors d’un de ces deux cours, auquel participait la tutrice de la professeure, les élèves ont été très dissipés. Ce cours avait lieu un vendredi matin, également après la récréation et en classe entière. Durant ce cours, les élèves ont de nouveau enfreint certaines règles de vie de classe : une élève se lève en plein cours sans demander la permission pour aller emprunter une gomme ; un élève met son téléphone portable en charge dans la classe ; les bavardages sont incessants malgré les rappels au calme.
Lors du débriefing, la tutrice terrain a fait remarquer à la professeure stagiaire des difficultés de gestion de classe rencontrées. Elle a interrogé la professeure sur la façon d’accueillir les élèves, étant donné qu’elle n’a pas pu y assister. Suite à son analyse, elle en a conclu que l’accueil manquait de cadrage et a proposé une façon de faire qui lui paraissait plus adaptée à la situation et la classe qu’elle connaît d’une précédente année d’enseignement.
Le conseil consistait à faire attendre les élèves à l’extérieur de la salle, en attendant la majorité de la classe, et à leur demander de s’installer debout devant leur place respective, jusqu’à ce que la professeure leur donne l’autorisation de s’asseoir. Cette dernière n’est donnée qu’après obtention du silence.
Le mardi suivant, un recadrage a eu lieu, ainsi qu’une annonce de changement des règles : ils attendront désormais dehors et ne rentreront pas dans la classe sans que la professeure leur en donne l’autorisation. Ils entreront maintenant dans la classe en saluant et en restant debout, jusqu’à ce qu’on les autorise à s’asseoir. La règle est la même pour le rangement des affaires et la sortie de la classe. Si un élève prend l’initiative de ranger ses affaires sans autorisation, il sera rappelé à l’ordre.
La professeure s’est sentie un peu contrainte dans sa pratique d’enseignement. Pour autant, elle a décidé d’appliquer les conseils prodigués par la tutrice de terrain, sous la pression du statut de stagiaire et du retentissement sur la titularisation.
Les convictions de la professeure ne sont pas complètement en adéquation avec celles de la tutrice. En effet, la rigidité de l’accueil et la répression ne lui semblent pas être une manière efficace de faire adhérer l’ensemble de la classe aux règles d’organisation de celle-ci. L’adhésion volontaire semble pour elle plus efficiente car elle signe alors la compréhension par le groupe classe de l’importance de s’installer rapidement pour une mise au travail immédiate et efficace.
Le recadrage a toutefois permis une entrée en classe moins dispersée en termes d’arrivée. Les élèves se disciplinent entre eux, certains camarades n’hésitant pas à interpeler les élèves retardant l’installation et la mise au travail.
2. Les questions que pose la situation
Cette situation soulève des questions de concentration des élèves, de la mise au travail, de respect du cadre scolaire et des règles qui en découlent, du sens de l’apprentissage, et des devoirs de l’élève.
Pour la professeure, comment arriver à faire autorité dans sa classe ? Hausser le ton est-il un moyen efficace de faire autorité ? Comment prendre de la distance par rapport à une réaction en lien avec l’affect pour se cantonner à sa position de professeure et adopter une réaction plus posée ?
L’autorité1Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, autorité, consulté dans https://www.cnrtl.fr/definition/AUTORITÉ est définie comme étant « le pouvoir d’agir sur autrui ». Il convient toutefois de faire la distinction entre « avoir de l’autorité » et « être autoritaire »2Nordmann, J-F. (2013). Formation à l’autorité : l’« assujettissement » scolaire, une visée impensée ?. Revue Recherche et formation, 72. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2051.
Comment faire autorité sans pour autant devenir autoritaire ?
Cette situation engendre des problèmes tant pour les élèves que pour la professeure.
Pour les élèves :
- Lacunes dans l’acquisition des compétences et connaissances en fin d’année scolaire ;
- Répercussions sur les évaluations certificatives ;
- Répercussions sur la qualité de l’ambiance de travail pour ceux qui veulent travailler ;
- Non-respect des devoirs de l’élève au regard du règlement intérieur de l’établissement ;
Pour la professeure :
- Le retard dans la mise au travail implique un ralentissement de l’avancée dans la progression prévue ;
- L’ambiance de travail, lorsqu’elle n’est pas favorable, ne permet pas une transmission des savoirs et connaissances essentielles pour les élèves, ayant ainsi un impact sur l’accompagnement du groupe classe vers la réussite ;
- Le silence est-il un facteur essentiel pour une mise au travail rapide ?
- L’appel doit-il obligatoirement être fait de manière orale, immédiatement après l’entrée en classe ?
3. Dimension réglementaire
Référentiel des compétences Bulletin officiel du 25 juillet 2013.
Compétences communes à tous les professeurs et personnels d’éducation
6. AGIR EN EDUCATEUR RESPONSABLE ET SELON DES PRINCIPES ÉTHIQUES
Respecter et faire respecter le règlement intérieur et les chartes d’usage.
14. S’ENGAGER DANS UNE DÉMARCHE INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE DE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL
– Réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action.
Compétences communes à tous les professeurs
P 4. ORGANISER ET ASSURER UN MODE DE FONCTIONNEMENT DU GROUPE FAVORISANT L’APPRENTISSAGE ET LA SOCIALISATION DES ÉLÈVES
– Maintenir un climat propice à l’apprentissage et un mode de fonctionnement efficace et pertinent pour les activités.
Au regard des compétences du Bulletin Officiel qui régit notre pratique d’enseignant, comment se positionner face à un contexte de travail tel que celui décrit ci-dessus ?
Dans quelle mesure “le climat propice d’apprentissage“ et “le mode de fonctionnement efficace et pertinent pour les activités“ décrits par la compétence commune P4 peut-il être créé face à des élèves qui freinent le bon déroulement des dispositifs de travail ?
De même, comment “faire respecter le règlement intérieur et les chartes d’usage“ comme le demande la compétence commune 6., sans pour autant nuire au “climat propice à l’apprentissage“ de la compétence P4 ?
La bonne ambiance de travail étant un facteur de bon déroulement de la pratique de l’enseignement que nous dispensons à nos élèves, comment réussir à concilier ces différents paramètres ?
Enfin, au regard de la posture de praticien réflexif dans laquelle nous nous trouvons en tant que professeur, il est intéressant de se demander comment réussir à conjuguer ses analyses, convictions et ressentis personnels avec ceux de ses pairs (collègues et formateurs).
Nous garderons bien entendu à l’esprit que le réinvestissement de sa réflexion doit prendre place au cœur de l’action et de l’expérimentation sur le terrain, comme le dit la compétence 14 : « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ».
4. Ce qu’en disent des collègues
Une collègue nous a fait part de son expérience avec sa classe pour laquelle elle a remarqué, ces derniers temps, du relâchement dans le comportement. Elle a donc choisi de noter au tableau en gros caractères : « N’oubliez pas la note de comportement. ». À chaque débordement, elle tapote sur le tableau avec son crayon en guise de rappel à l’ordre, sans parler. Cette communication sonore mais non verbale a porté ses fruits sur les séances suivantes.
D’autres collègues tentent le silence complet. Elles attendent la fin du brouhaha pour commencer la séance. Cependant cette technique a été utilisée par la professeure à l’origine de la situation et cette solution ne fonctionne que de manière très temporaire dans la classe concernée.
Une autre collègue nous raconte qu’elle hausse le ton et va parfois même jusqu’à exclure de classe les élèves les plus perturbateurs. Quel comportement adopter face à ces élèves qui nécessitent d’être rappelés à l’ordre trop souvent, pour créer un climat propice à l’apprentissage ?
5. Les ressources universitaires
Pour le maître de conférence en philosophie Jean-François NORDMANN3Nordmann, J-F. (2013). Formation à l’autorité : l’« assujettissement » scolaire, une visée impensée ?. Revue Recherche et formation, 72. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2051, « chacun doit rechercher pour lui-même sa manière à lui, son propre style d’autorité ». En effet, reproduire les techniques utilisées par les collègues permettant d’avoir de l’autorité auprès des élèves ne va pas forcément fonctionner pour nous. Il évoque également les techniques non règlementaires permettant de palier à l’indiscipline, comme par exemple « déplacer les élèves perturbateurs ou réaliser un plan de classe. »4Ibid.. Il parle alors de tactique organisationnelle.
Selon lui, les élèves seraient dissipés car ils n’auraient pas compris le travail à faire :
« Une seconde voie de renforcement de l’autorité dans son versant de légitimité va préconiser de conduire les élèves – et particulièrement ceux d’entre eux qui sont éloignés socialement de la culture scolaire – à mieux comprendre le sens immédiat des consignes de l’enseignant ainsi qu’à mieux appréhender la portée et la valeur du projet général d’instruction, d’éducation et de formation de l’École. »5Ibid..
Nos systèmes d’éducation (scolaire ou familiale) créent selon lui un certain « habitus de soumission à une loi se donnant comme une loi supérieure [chez les élèves] »6Ibid.. Cette soumission n’a pas pour objectif de les dominer, mais au contraire de les protéger.
Il cite Dominique GELIN, pour qui « la nécessité pour l’enseignant d’assumer “la nécessaire dissymétrie de la relation enseignant/élève“ est d’arriver à “accueillir et cadrer“ les élèves… “Cadrer“, “fixer les limites“, “donner les repères“, etc. ».7Ibid.
La relation d’autorité, relation “dissymétrique“ nécessaire pour certains entre l’enseignant et l’élève, n’est pas forcément la solution. Il ne faudrait pas persévérer dans une éducation où l’on réprimande, mais plutôt aider les élèves à se questionner, à se construire à leur rythme en répondant à leurs questionnements.
Pour Bruno ROBBES8Robbes, B. (2010). L’autorité éducative dans la classe, p 245. ESF éditeur., « l’autorité éducative est une relation statutairement asymétrique dans laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifique, manifeste la volonté d’exercer une influence sur l’autre reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa part et sans recours à la violence une reconnaissance qui fait que cette influence lui permet d’être à son tour auteur de lui-même. La reconnaissance par l’autre (…) constitue l’élément clé du processus de légitimation de l’autorité éducative ».
Cette idée peut être complétée par les écrits de Maëla PAUL9Paul, M. (2009). Autour du mot accompagnement. Revue Recherche et formation, 62, pp. 91-108. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.391 dans lesquels elle explique que l’accompagnement (d’un élève) nécessite d’être “à côté de…“. L’enseignant ne doit pas dominer l’élève. Ce dernier avance à son rythme, et le professeur l’accompagne, le valorise. L’objectif poursuivi doit être commun et il convient de s’être mis d’accord au préalable concernant les règles à respecter.
Jean HOUSSAYE quant à lui insiste sur la finalité de l’action éducative qui mène au vivre ensemble tout en se confrontant au savoir : « (…) la plupart des pédagogues ont posé l’autorité comme anti-éducative. Certes, les voies qu’ils tracent divergent mais elles montrent avant tout que le sens de l’éducation s’allie à la liberté. Pour eux, le sens de l’école réside dans la conjugaison et la déclinaison du vivre ensemble, de l’agir ensemble, du vouloir ensemble, et ce dans la confrontation au savoir (…) ».10Houssaye, J. (1996). Autorité ou éducation ?, pp 180-181. ESF.
6. Pistes de résolution de la situation
Plusieurs pistes de résolution pourraient être proposées pour captiver l’attention des élèves et agir sur l’enrôlement de ces derniers dans le cours. Ces actions peuvent prendre place à différents niveaux et sur différents paramètres tels le dispositif spatial de la classe, le support-élève ou encore l’incitation de départ du cours et auront pour spécificité de prendre place à un moment opportun.
En s’inspirant des actions menées par un professeur d’allemand dans une vidéo Néopass éducation 11http://neo.ens-lyon.fr/neopass/index.php?theme=1, on pourrait imaginer accueillir ses élèves directement à l’entrée de la classe en leur distribuant un document de travail papier, ou en les disposant sur les tables en amont. Cette première interaction permettrait une prise de contact directe avec les élèves et une demande d’implication implicite dans la tâche qui sera demandée ultérieurement.
Toujours en s’inspirant de l’expérience du professeur d’allemand, il serait intéressant de procéder au lancement d’un sujet de travail via une vidéo ou une bande son dès le début du cours, de manière à captiver instantanément l’attention des élèves en les immergeant dans une atmosphère de travail dès l’entrée dans la classe. Les tâches d’appel ou d’énonciation des consignes pouvant venir par la suite.
La distribution d’une feuille de papier aux élèves à l’entrée en classe, accompagnée de la demande de noter un mot résumant leur état d’esprit du jour, qui précèderait un tour de table avec un bref temps de parole accordé à chacun, pourrait également être une piste pour mettre les élèves directement dans l’action, tout en s’intéressant à eux.
Enfin, la modification de la disposition de la salle pourrait permettre de créer un effet de surprise, de susciter la curiosité chez les élèves en les amenant à se questionner sur la suite du cours. Cette modification pourrait captiver leur attention et susciter leur intérêt pour s’impliquer dans le travail qui leur sera demandé, voire même à les rendre « demandeurs ».
1 – Communication du professeur au moment de l’accueil (verbale et non verbale)
Dans son Supplément au dictionnaire italien12Munari, B. (1963). Supplemento al dizionario italiano. Corraini Editore., le designer et pédagogue italien Bruno Munari présente une histoire et un répertoire illustré de plus d’une centaine de gestes qui accompagnent les paroles des italiens. Il montre à quel point le discours du corps est essentiel dans la communication en règle générale. Nos regards, nos postures physiques, nos positionnements dans la classe, nos mouvements corporels ou encore nos positionnements dans la classe sont autant de “gestes“ qui accompagnent notre discours face aux élèves, qui l’appuient et le complètent. Notre manière de nous adresser physiquement aux élèves a nécessairement un retentissement sur la qualité de leur écoute et de leur attention. C’est ce dont parle Piaget par le concept de “schème“ (l’invariant, la structure de base de l’action), et Pierre Bourdieu par celui “d’habitus“ (système de schèmes qui “gouvernent“ notre rapport au réel, comme la “grammaire génératrice“ de nos pratiques.)13Perrenoud, P. (1996). Enseigner, agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, pp.176-177. Paris, ESF.
Ces gestes, bases de nos actions dans la classe peuvent être qualifiés de “gestes professionnels“ qui sont par définition toujours “adressés“ et s’inscrivent dans un contexte (Perrenoud P.)14Ibid.. « Les gestes professionnels sont langagiers mais aussi non verbaux, ils décrivent l’enseignant en situation, en action avec les élèves. »15Ibid.. Anne Jorro les nomme les “grains discrets de la pratiques »16Jorro, A. (2002). Professionnaliser le métier d’enseignant, p.40. ESF éditeur. et elle fait bien la distinction entre les gestes canoniques et emblématiques du professeur tel qu’écrire au tableau ou donner une consigne et les autres « […] gestes professionnels qui décrivent les ajustements effectués en contexte pour chaque enseignant. » Elle précise que ceux sont eux qui font le “style professionnel“ de chaque professeur et qui permettent de comprendre ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas.17Ibid. Elle rajoute également que « Les caractéristiques structurelles et fonctionnelles des gestes du métier donnent à l’activité un socle invariant »18Ibid. et donc une certaine stabilité.
C’est bien à ce niveau de finesse d’action que nous pouvons intervenir pour améliorer le déroulement des séances de cours, en captivant nos interlocuteurs : les élèves. Le choix des termes utilisés dans l’énonciation des consignes (simple ou complexe) par exemple, tout comme le ton sur lequel nous nous adressons aux élèves (ferme, doux, décisif, etc.) ou encore le regard qui accompagne un discours peuvent également avoir un retentissement sur l’attention des élèves et leur implication dans la tâche demandée.
De la même manière la distribution de la parole entre les élèves peut être plus fluide en l’accompagnant physiquement par des gestes. Tel un chef d’orchestre, le professeur avec sa voix, son regard et ses gestes peut guider une discussion collective avec finesse et respect mutuel entre les élèves.
Ces pistes de résolution sont autant de paramètres qui peuvent être réglés par le professeur en fonction de la singularité19« Avec les gestes professionnels, une lecture symbolique et interactionniste de l’activité professionnelle est en jeu. Ainsi, le formateur, l’enseignant seraient appréhendés dans la spécificité biographique de leurs gestes. Il n’est pas tant question de répertorier des actes mais de saisir la valeur symbolique, affective, émotive de ces actes. Autrement dit, il s’agit de mettre en évidence, au delà de la technicité des gestes, la dimension intersubjective de l’activité professionnelle, de repérer ce que fait le style professionnel de tel enseignant, de tel formateur. » Jorro, A. Op.cit. des gestes de chacun, ajustés en fonction des publics concernés et des contextes d’enseignements (dimensions spatiale, sonore, lumineuse de la salle de classe), pour permettent de créer le “climat propice à l’apprentissage“ que préconise le Bulletin Officiel.
2 – Dispositif spatial (tables, chaises, luminosité de la pièce)
Si nous regardons un espace dans lequel nous sommes amenés à faire cours et que nous l’analysons brièvement, nous pouvons dire que, dans la plupart des cas, il est composé d’un volume permettant d’accueillir entre 30 et 35 élèves, de tables et de chaises, d’un bureau, d’un tableau, d’un vidéoprojecteur, de lumière naturelle et de lumière artificielle, ainsi que de deux portes (pour des mesures de sécurité). Ces différentes composantes de la classe sont autant de paramètres sur lesquels nous pouvons intervenir pour moduler la disposition classique de la classe (en autobus) pour conduire des activités d’enseignement. La posture de l’élève face au tableau communément appelée “en autobus“ conditionne les élèves dans une posture d’écoute passive et lui offre un point de vue également conditionnant étant donné qu’il est face au tableau. Les activités que nous menons en classe ne nécessitent pas tout le temps un tableau ou peut-être pas de façon permanente. De même les élèves ne sont pas amenés à travailler individuellement à chaque cours et la création de binôme ou de groupes de travail peut inciter à changer la disposition classique de la classe pour accompagner spatialement la posture des élèves et leur implication dans la tâche.
Comme pistes de résolution de problème, il serait donc intéressant d’imaginer adapter la disposition des tables dans la classe en lien avec l’activité du jour, d’inviter les élèves à s’asseoir à un endroit plutôt qu’à un autre en disposant leurs noms sur les tables ou sur un plan au tableau. La constitution d’îlots de tables, de chemins de tables en lien avec les activités menées et le rythme qu’elles requièrent peut ainsi être imaginée.
La luminosité de la pièce peut également être un paramètre sur lequel intervenir, tout comme la sonorisation de la salle, afin de créer des ambiances de travail permettant de les immerger dans un univers propice à l’implication dans l’activité.
Enfin, les élèves peuvent également intervenir dans la mise en place de la salle dès leur arriver. Une mission qui leur est confiée peut les responsabiliser et leur procurer le sentiment d’être important pour la mise en place de l’activité.
Cet espace classe à dimensions variables est donc à interpréter et moduler comme bon nous semble pour nous accompagner au plus proche de la nature de nos activités dans le souci d’impliquer les élèves au maximum, en les conditionnant par la position qu’ils auront dans la classe.
3 – Mettre l’élève en activité
Demander à un élève de mettre en place une salle et ainsi de participer à la mise en place du contexte et des conditions de travail dans lesquels il pourra bien apprendre, le responsabilise mais surtout le met en activité dès l’entrée dans le cours. Comme le rappel André Tricot dans son ouvrage L’innovation pédagogique20Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Retz Eds. « Manipuler permet de mieux faire apprendre ». La mise en action du corps de l’élève permet une meilleure implication dans la tâche effectuée et un meilleur apprentissage. En s’appuyant sur le “Learning by doing“ de Dewey, André Tricot explique cependant qu’il ne faut pas confondre “l’action comme moyen d’apprendre“ et “l’action comme but de l’apprentissage“.21Tricot, A. Op.cit. p.14. L’activité physique dont il est question ici dans la mise en place de la disposition de la salle de classe n’est donc pas à confondre avec l’activité au sens cognitif. Le raisonnement permis par la manipulation physique peut également être considéré comme une mobilisation active de l’élève dans l’apprentissage. En revanche, il s’agit ici d’une simple implication physique qui permet une focalisation de l’attention sur une tâche, et donc une concentration et une implication, introduction à ce qu’il suivra dans le reste du cours.
La mise en activité physique du corps des élèves peut intervenir à d’autres moments de la séance si cette dernière nécessite des déplacements pour aller chercher une information ou la transmettre par exemple.
Une autre piste de résolution serait donc de rendre actif les élèves en les faisant se mobiliser cognitivement par la réflexion. Cette dernière ne passe pas nécessairement dans la mise en action physique du corps. Pour ce faire, nous pouvons imaginer passer par des “modes d’engagement passifs dans les apprentissages“ 22(Chi, 2009)Chi, M. (2009) cité par Tricot A, op. cit. p.17. : « Ce sont les situations où les élèves sont “orientés vers“ ce qu’il y a à apprendre, ils sont attentifs, ils sont focalisés sur les explications de leur enseignant(e) ou sur un document à étudier. »23Ibid..
Le support élève et sa nature peuvent ici intervenir comme “mobilisateurs“ de l’attention des élèves.
4 – Document élève
« Si les élèves sont engagés dans les apprentissages, s’ils sont attentifs, alors le fait de leur proposer une activité de manipulation peut améliorer l’apprentissage : les élèves doivent manipuler des objets, réaliser des gestes, des mouvements, sélectionner des supports. Mais la recherche dans le domaine montre qu’il est encore plus efficace de les faire réfléchir, les amener à se poser des questions, formuler des hypothèses […] »24Tricot, A. Ibid..
« L’important pour apprendre, c’est d’abord d’être actif cognitivement, bien plus que physiquement. »25Tricot, A. Op.cit. p.17.
Le document élève est à ce titre intéressant. C’est cet outil auquel va s’accrocher l’élève pour répondre à la demande, c’est également le lien entre le professeur et l’élève. Support d’informations ou de réponses, le document élève peut prendre plusieurs formes : dépliant, poster, frise, post-it… et plusieurs fonctions : inscrire, base de données, support d’informations, support d’exercices, etc. Il permet des “apprentissages génératifs“ (Fiorella et Mayer, 2015) ou “apprentissages constructifs“ (Chi et Wylie, 2014) qui le mobilisent cognitivement. Les actions permises par ces apprentissages peuvent être classés en huit grandes catégories selon Fiorella et Mayer : résumer, cartographier, dessiner, schématiser, s’auto-évaluer, s’auto-expliquer, expliquer à autrui ou encore agir physiquement. Le document élève s’immisce dans l’activité de l’élève, qu’elle soit physique ou cérébrale. Nous pouvons donc nous baser sur ces différentes catégories pour orienter la construction de nos documents élève afin qu’ils puissent générer de l’implication et rendre actif nos élèves face à la tâche qui leur est demandée, ceci dans le souci de participer à la construction du climat propice aux apprentissages.
La constitution du document, sa nature, sa mise en page et l’interaction avec l’élève qu’il sous-entend importent tout autant que la facilité de compréhension et d’appropriation qu’en aura l’élève, ainsi que le moment auquel il sera donné à l’élève. Le donner en début de séance peut par exemple susciter de la curiosité et un effet de surprise, au même titre que la disposition de la salle dont nous parlions précédemment.
5 – Surprise et immersion
Surprendre signifie : «Causer de l’étonnement à quelqu’un (par un comportement, une attitude). » ; « Prendre au dépourvu ; se produire à l’improviste, sans qu’on s’y attende » ou encore « Affecter subitement » ; « Émouvoir subitement en produisant une sensation nouvelle, une perception étonnante. »26https://www.cnrtl.fr/definition/surprendre.
C’est donc dans une dimension novatrice, dans le décalage avec l’habitude et dans la sensation d’une émotion que prend effet la surprise. Nos élèves semblent réticents aux formes traditionnelles pédagogiques. Il est difficile pour eux de contenir leur corps, en silence et action pendant la classe. La création d’un effet de surprise, qu’il provienne de la disposition spatiale de la salle de classe, du document élève avec lequel ils auront à travailler, ou encore de l’activité qu’on va leur demander de faire, peut générer une augmentation de l’attention et de la concentration de l’élève. Il faut qu’il y ait un changement pour rompre avec les habitudes.
La surprise amenée par un changement d’habitude peut être bonne ou mauvaise, mais elle aura toujours une dimension perturbatrice qui interpellera et stoppera le comportement habituel. Si quelque chose cloche, on s’interroge nécessairement. Elle est à la fois un état et une émotion, un signifiant et un signifié.
L’immersion dans un univers fictif peut à ce titre procurer un effet de surprise par la confrontation à l’atmosphère sonore ou lumineuse modifiée d’un espace connu par exemple. En faisant entrer les élèves en classe comme s’ils entraient dans un autre monde ou dans une nouvelle version de leur quotidien, ils seront nécessairement interpelés. À ce sujet, le travail sur le dispositif spatial de la classe et sur les supports élèves peut contribuer à créer un effet de surprise par l’immersion.
Ces suggestions d’apport de l’effet de surprise au sein du dispositif pédagogique nous ont amenés à nous questionner sur l’authenticité des situations d’enseignement. Cette dernière ne doit pas se cantonner à la simple nécessité d’atteindre la connaissance pure, mais être capable de s’en saisir, de se confronter à la réalité du monde dans lequel les apprenants seront amenés à vivre dans des dizaines d’années et qui seront différents de notre époque actuelle.
André Tricot le dit bien : « […] L’école étant par définition un lieu où l’on acquiert des connaissances qui ne sont pas apprises par le simple fait de grandir en s’adaptant à son environnement quotidien, l’utilité perçue des apprentissages scolaires peut paraître très réduite. La situation authentique est un moyen d’améliorer la perception de l’utilité de la connaissance à apprendre. » […] « C’est aussi dans la vraie vie que se trouvent les objectifs de l’enseignement. »27Tricot, A. Op.cit. p.85.
Alors comment rendre authentique une situation d’enseignement par l’effet de surprise et l’immersion ? Si on suit les conseils donnés par John Dewey dans son ouvrage Experience and Education (1938), ceux de Célestin Freinet en France ou de Maria Montessori en Italie, nous pourrions trouver une solution à notre problème : « la façon traditionnelle d’enseigner est fondée sur l’imposition de normes par l’adulte à l’enfant, mais aussi de contenus (les matières scolaire) et de méthodes. Mais sur ces trois plans, l’écart entre l’adulte et l’enfant est tellement important que ni le contenu ni les méthodes ne sont adaptés à ce dernier. Ces contenus et ces méthodes sont hors de portée de l’expérience des jeunes apprenants : c’est pour cette raison qu’ils sont imposés. Les bons enseignants parviennent à « masquer » cette imposition. »28Tricot, A. Ibid..
Nous en revenons donc à notre questionnement initial entre “faire autorité“ et “être autoritaire“. Notre autorité en tant qu’enseignant peut donc s’immiscer dans plusieurs paramètres de nos dispositifs pédagogiques de façon à la rendre invisible, à la rendre acceptable en somme. C’est principalement dans la mise en place d’activités physiques et cognitives à travers l’expérience par exemple, ou au moyen de l’immersion que peut prendre effet cette autorité, gage du bon déroulement du cours pour les élèves comme pour les professeurs.
Le dispositif pédagogique prend forme à la fois dans le dispositif spatial de la classe, dans la mise en activité des élèves, dans les supports auxquels ils sont confrontés, mais également dans les interactions entre ces différents paramètres. Comme le rappelle Clémence Mergy, designer enseignante, en se référant à la définition qu’en donne Giorgio Agamben, « le dispositif est ce qui organise la relation de pouvoir au savoir et ce qui renvoie à un ensemble de moyens, de pratiques et de mécanismes. Il appartient d’abord à l’enseignant et à l’institution qui l’encadre.»29Mergy, C. (2017). Comment j’ai travaillé dans l’océan des projets innovants. Innover dans l’école par le design. Cité du design et Canopé..
C’est donc à nous, professeurs, de réfléchir ces recettes de dispositifs pédagogiques en dosant chaque ingrédient avec justesse, et en réfléchissant chaque partie constituante de ce dispositif pédagogique en lien les uns avec les autres, de façon à produire un “climat propice à l’apprentissage et un mode de fonctionnement efficace et pertinent pour les activités“
- 1Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, autorité, consulté dans https://www.cnrtl.fr/definition/AUTORITÉ
- 2Nordmann, J-F. (2013). Formation à l’autorité : l’« assujettissement » scolaire, une visée impensée ?. Revue Recherche et formation, 72. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2051
- 3Nordmann, J-F. (2013). Formation à l’autorité : l’« assujettissement » scolaire, une visée impensée ?. Revue Recherche et formation, 72. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2051
- 4Ibid.
- 5Ibid.
- 6Ibid.
- 7Ibid.
- 8Robbes, B. (2010). L’autorité éducative dans la classe, p 245. ESF éditeur.
- 9Paul, M. (2009). Autour du mot accompagnement. Revue Recherche et formation, 62, pp. 91-108. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.391
- 10Houssaye, J. (1996). Autorité ou éducation ?, pp 180-181. ESF.
- 11http://neo.ens-lyon.fr/neopass/index.php?theme=1
- 12Munari, B. (1963). Supplemento al dizionario italiano. Corraini Editore.
- 13Perrenoud, P. (1996). Enseigner, agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, pp.176-177. Paris, ESF.
- 14Ibid.
- 15Ibid.
- 16Jorro, A. (2002). Professionnaliser le métier d’enseignant, p.40. ESF éditeur.
- 17Ibid.
- 18Ibid.
- 19« Avec les gestes professionnels, une lecture symbolique et interactionniste de l’activité professionnelle est en jeu. Ainsi, le formateur, l’enseignant seraient appréhendés dans la spécificité biographique de leurs gestes. Il n’est pas tant question de répertorier des actes mais de saisir la valeur symbolique, affective, émotive de ces actes. Autrement dit, il s’agit de mettre en évidence, au delà de la technicité des gestes, la dimension intersubjective de l’activité professionnelle, de repérer ce que fait le style professionnel de tel enseignant, de tel formateur. » Jorro, A. Op.cit.
- 20Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Retz Eds.
- 21Tricot, A. Op.cit. p.14.
- 22(Chi, 2009)Chi, M. (2009) cité par Tricot A, op. cit. p.17.
- 23Ibid.
- 24Tricot, A. Ibid.
- 25Tricot, A. Op.cit. p.17.
- 26https://www.cnrtl.fr/definition/surprendre
- 27Tricot, A. Op.cit. p.85
- 28Tricot, A. Ibid.
- 29Mergy, C. (2017). Comment j’ai travaillé dans l’océan des projets innovants. Innover dans l’école par le design. Cité du design et Canopé.