Conditions de production
Le récit et l’analyse de cette situation ont été produits par un groupe de 3 professeur.e.s-stagiaires (MEEF2 / Professeurs de lycée des voies technologique et professionnelle) en 2018-2019. Ils/elles ont été accompagné.e.s par un formateur/une formatrice en bénéficiant de ses remarques, questionnements et conseils. La production qui suit est une deuxième version, c’est à dire que les stagiaires ont effectué quelques remaniements à partir de remarques formulées par le formateur/ la formatrice sur la première version.
Prologue
« PETITE EMILIE » de Keen’v
Petite Émilie, 6 ans et demi,
Est l’unique fille d’une famille reconstruite,
Une mère pour qui elle est toute sa vie,
Et un beau père qui l’aime comme si elle était de lui.
Si gentille, si belle, des yeux qui ensorcellent,
Pour ceux d’sa mère, elle en était la prunelle.
Elle ne pouvait pas vivre l’une sans elle
Leur relation était devenue plus que fusionnelle.
Petite Émilie, à 8 ans passés,
Rien n’a changé sauf qu’elle a déménagé,
Finie la campagne isolée,
Elle vit maintenant en ville, car sa maman fut mutée.
Une nouvelle école, de nouveaux amis,
Elle ne mit pas longtemps à s’adapter à cette vie.
Du haut de ses 8 ans, on peut dire qu’elle est ravie,
Car tout va pour le mieux pour Petite Émilie.
Petite Émilie à 10 ans était
Devenue une petite fille comblée.
On peut dire que l’école lui plaisait,
Bonne élève pour maman, elle en était une fierté.
Un peu rondelette, de bonnes petites joues,
Elle essuie les critiques de quelques jaloux,
Devant les profs il l’appelaient « Bouffe-Tout »,
Mais ce ne sont que des enfants après tout.
Petite Émilie a 12 ans maintenant,
Adolescente renfermée au grand dam de maman,
Fini le joli visage souriant,
C’est une petite fille maussade qu’elle est devenue à présent.
Faut dire qu’au collège tout avait changé,
Trop d’élèves ne faisaient que de se moquer,
Partout elle se sentait rejetée,
Tantôt frappée, tantôt injuriée.
Elle se demandait comment faire face,
Elle était devenue le souffre-douleur de la classe,
Sur les réseaux sociaux ils l’appelaient « la dégueulasse »,
Des photos d’elle tournaient montrant son ventre qui dépasse.
Ne sachant pas comment faire,
Ni comment réagir à cet enfer,
Par honte et ne voulant pas affoler sa mère,
Petite Émilie décida de se taire.
Mais un soir de décembre,
Petite Émilie rentra chez elle dénudée,
Ses camarades tous ensemble
L’avaient enfermée dans les vestiaires pour la doucher.
C’en était trop pour elle,
Trop qu’elle ne puisse encore supporter,
Alors elle étendit ses ailes,
Et prit son envol vers la paix.
Le climat scolaire est une condition sine qua non pour la réussite de l’élève. Il est difficile de parvenir à cette réussite lorsque ce climat n’est pas serein et sécurisant. Nous avons choisi d’aborder la situation suivante, car elle est représentative du quotidien de certains enseignants qui y sont confrontés de plus en plus au sein de leur classe.
01.Choix de la situation
Je suis professeure stagiaire d’arts appliqués depuis cinq mois au sein d’un lycée professionnel situé dans le 93. J’enseigne auprès de cinq classes de première année de Bac professionnel, dont celle des 1TR, première Transport. Les élèves de cette classe, âgés de 15 à 19 ans, n’ont jamais eu d’Arts appliqués en seconde, ils découvrent donc cette matière avec un créneau horaire de 2h par semaine pendant cette nouvelle année scolaire 2018/2019. Pour préciser, c’est une de mes classes les plus difficiles, car elle est composée d’une majorité de garçons. Il y a sept élèves perturbateurs qui rendent l’enseignement difficile, ce qui entraîne des exclusions de cours à répétition, des rapports d’incidents ainsi que des conseils de discipline. Cela perturbe énormément mes cours, notablement dans ma progression pédagogique, mais aussi dans l’avancée de leur travail.
Après avoir effectué une analyse des attitudes et des habitudes de mes élèves, j’ai distingué trois types de comportements :
- Les perturbateurs
- Les attentifs
- Les discrets
Je constate une mauvaise ambiance au sein de cette classe. Les élèves discutent beaucoup entre eux, et se moquent parfois méchamment. Je ressens un manque de respect mutuel et une sorte de compétition. D’ailleurs, lors de leur conseil de classe du premier semestre, nous avions remarqué que certains élèves se plaignaient de cette ambiance désagréable, qui les empêchait d’arriver à se concentrer. De ce fait, j’en ai déduit que certains élèves doivent gagner en maturité, tandis que d’autres manquent d’attention ou de concentration, en lien avec les bavardages. Par conséquent, afin de faciliter la gestion de classe, j’ai tenté de mettre en place un plan de classe. Cependant, au vu des mésententes entre certains élèves, cette action n’a pas abouti au résultat escompté jusqu’à aujourd’hui. Je les ai finalement placés en fonction de leur affinité, en me permettant, en cas de souci, de les déplacer.
Par la suite, malgré la prise en charge des élèves perturbateurs et des problématiques de violences par le professeur principal, le CPE et le proviseur du lycée, les difficultés se sont malgré tout accentuées. En effet, le 19 octobre 2018, lors de la dernière semaine de cours avant les vacances de la Toussaint, vers 14h, j’ai constaté que mon élève M., arrivé en avance, n’avait pas un comportement habituel. Semblant tendu et énervé, il est entré d’un pas pressé et s’est installé au fond de la salle de classe. Après l’arrivée de tous les élèves, j’ai entendu, lors des conversations échangées, des moqueries et des ricanements à l’encontre de cet élève. Au début, je n’y ai pas prêté attention, pensant que c’était un comportement habituel entre adolescents et que la situation ne méritait pas mon intervention. Cependant, les rires et les bavardages autour de M. ont commencé à prendre de l’ampleur et, à ce moment-là, je leur ai demandé de se calmer afin de se concentrer sur ma présentation au tableau. La séance du jour a démarré ensuite sur la thématique du pictogramme.
La consigne était de réaliser six étapes de stylisation d’une image à l’aide d’une table lumineuse. Après 40 minutes de séance, pendant que je donnais des conseils à un élève situé près de la porte, M. se lève brutalement et traverse la classe en insultant son camarade H., puis le frappe au visage. Prise de court, ne sachant pas comment réagir, je suis restée figée sur place. Les autres élèves ont pris rapidement l’initiative de les séparer. M. prend ses affaires et s’enfuit. J’envoie rapidement un délégué à sa poursuite et remplis rapidement une fiche de signalement d’incident. Essayant de trouver une solution et de comprendre ce qui venait de se passer, je demande aux élèves à quoi est due cette réaction inattendue de M.. H. m’évoque qu’il n’a pas compris l’acharnement violent que M. a eu à son égard, car il ne l’avait pas provoqué. Cependant, d’après les autres élèves, cet incident a eu lieu à cause d’un partage de photographies de M., sans son consentement, par tous les élèves de la classe sur le réseau social Snapchat. Étant habituellement un élève discret, M. a choqué l’ensemble de la classe par son comportement brutal et inhabituel. Ce qu’il dégageait dans son attitude ressemblait à de l’exaspération. En effet, cet élève est souvent isolé, je trouve qu’il ne s’intègre pas au reste du groupe, à part parfois (et plutôt très rarement) avec ses camarades N. et K.. Il arrive toujours seul et en avance, avec un visage colérique et triste. Je n’ai pas connaissance de sa situation familiale, mais je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir seule avec lui. J’aurais voulu identifier la source de cette crise et des raisons qui ont engendré sa réaction violente, mais il quitte toujours mes cours précipitamment.
De plus, lors de la situation, le délégué envoyé pour le ramener en classe n’a pas réussi à le convaincre de revenir. Ce qui me pousse à réfléchir aux questions suivantes : est-ce que M. a subi une accumulation de pression de la part de ses camarades de classe pendant plusieurs semaines, mois, années ? S’est-il passé auparavant quelque chose de grave qui justifie son passage à l’acte ? A-t-il déjà été violent et insulté ses camarades et peut-être déjà H. ? Devrais-je être informée de sa situation familiale ou appeler ses proches ? Après avoir abordé la problématique avec l’équipe pédagogique, avec la conseillère principale d’éducation et le professeur principal, le soupçon du cyberharcèlement a été soulevé.
02. Les questions qui en découlent
A. Les problématiques de la situation
La situation pose plusieurs problèmes qui nous semblent intéressants à analyser.
Premièrement, l’enseignante s’est retrouvée en difficulté, car c’est la première fois qu’elle est confrontée à une altercation physique entre des élèves. Déstabilisée, elle ne s’attendait pas à ce type de réaction surtout de la part de M., un élève généralement discret. De plus, lors de cet incident, elle a été troublée, car elle a dû gérer plusieurs choses à la fois : la gestion de l’altercation, la fuite et la poursuite de l’élève, la gestion d’une classe en chahut. Perturbée, elle n’a pas su agir rapidement par rapport au comportement inattendu de M.. Étant stagiaire, sans aucune expérience antérieure en tant qu’enseignante, elle n’avait pas le recul nécessaire pour faire le lien avec le règlement intérieur en matière de sanction disciplinaire. Aurait-il été nécessaire qu’elle soit briefée en amont sur ce type de situation ? Devait-elle intervenir pour séparer ces élèves, sachant que sa sécurité aurait pu être mise en jeu ? Devait-elle être informée par l’équipe de la situation familiale de M. ?
Deuxièmement, les raisons de cette altercation, évoquées par les élèves, n’ont pas abouti à un diagnostic précis lui permettant de comprendre et d’anticiper cette montée de violence inattendue. Elle en a déduit qu’il s’agissait de cyberharcèlement, puis en a parlé à son entourage pour voir ce qu’il en pensait. Selon, l’enseignante, le proviseur de l’établissement évoque ce propos comme délicat s’il n’y a pas de preuves précises. Cependant, il ne faut pas prendre cette notion à la légère, car les conséquences peuvent être graves. Pour l’enseignante, l’ambiance de travail était déjà compliquée à gérer avant cet événement. Mais après cet incident, plusieurs questionnements peuvent intervenir : Comment a-t-elle retrouvé ses élèves au retour des vacances ? Y a-t-il eu un suivi concernant M. et H. par rapport à leur altercation ? Y a-t-il eu des changements de comportements au niveau des élèves, mais aussi de l’enseignante ? Y a-t-il eu une enquête sur le cyberharcèlement possible au sein de cette classe concernant M. ? Y a-t-il d’autres cas similaires dans cette classe ou dans l’établissement ? Et enfin, y a-t-il eu des moyens de prévention mis en place contre le cyberharcèlement auprès des élèves ?
B. Les conséquences de la situation
Nous imaginons que l’enseignante a été surprise de découvrir un élève habituellement très calme devenir, en un instant, un élève violent au regard rempli de haine. Des questions ont émergé de cette constatation. Comment l’enseignante pouvait-elle aider cet élève ? Que pouvait-elle mettre en place pour permettre un climat serein dans cette classe ? Que faire pour éviter à nouveau une montée de violence pour M., mais aussi pour d’autres élèves ?
Premièrement, lors de cette situation, l’enseignante s’est retrouvée en difficulté parce qu’elle ne connaissait pas la marche à suivre. Comme nous l’avons évoqué plus haut, étant stagiaire, sans aucune expérience, elle n’avait pas le recul nécessaire pour faire le lien avec le règlement intérieur en matière de sanction disciplinaire. En effet, il est stipulé qu’en cas de harcèlement, les harceleurs encourent une exclusion définitive. Il ne faut pas prendre la situation à la légère. Il y a peu de chances qu’elle se règle d’elle-même ou que les harceleurs capitulent. Il faut agir vite auprès du chef d’établissement avec l’ensemble de l’équipe pédagogique et également avec les parents. Il faut être précis au niveau des faits, des dates, des circonstances, des témoins en présence, de l’impact du harcèlement sur l’élève à tous les niveaux (santé, concentration, résultats scolaires, etc.). Mais la question qui se pose dans cette situation est la suivante : Comment l’enseignante pouvait-elle gérer seule ce cyberharcèlement dans sa classe ? Quels sont les moyens qui peuvent être mis en place pour pouvoir le détecter ou l’éviter ?
D’autre part, cette situation a entaché à jamais la pratique de l’enseignante et la manière dont elle allait aborder ses séances suivantes. À la suite de ces événements, la professeure nous a évoqué qu’elle avait remarqué une ambiance pesante dans sa classe et que la tension des élèves était palpable. De plus, elle a adopté un comportement différent avec ses élèves et particulièrement avec M.. Elle a été beaucoup plus à l’écoute et bienveillante avec lui. Elle a été également beaucoup plus attentive à son plan de classe pour s’assurer que M. ne soit pas assis à côté des élèves qui s’étaient moqués de lui. De plus, nous pensons que dans les années de pratiques professionnelles à venir, l’enseignante sera toujours attentive aux éléments évocateurs de harcèlement ou de cyberharcèlement. D’ailleurs, une solution de changement de groupe a été mise en place par certains enseignants pour M., afin de lui permettre de ne pas revivre cette situation.
Une autre conséquence majeure a été identifiée par l’enseignante concernant M.. L’équipe pédagogique avait eu connaissance de cette situation l’année antérieure, mais ne l’avait pas prise en compte, ayant certainement sous-estimé la gravité de la situation et manqué à identifier la problématique de M. sous l’étiquette « harcèlement ». L’élève n’a probablement pas souhaité en parler de peur des représailles. Les autres élèves étant souvent complices ou ayant eux-mêmes peur d’être pris pour cible n’osent pas intervenir ou porter secours à l’élève harcelé. La durée dans le temps a certainement généré une grande détresse chez M. et l’accumulation de frustration, ayant pu justifier ce geste de violence de sa part. L’attitude de M. l’année précédente et l’année en cours aurait dû alerter l’équipe pédagogique. En effet, un élève isolé, avec une expression récurrente de colère, est probablement un élève en souffrance, et ces signes étaient à prendre en compte afin de réagir rapidement.
03. La dimension réglementaire
La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République n° 2013-595 du 8 juillet 2013 (loi Peillon) propose plusieurs objectifs dont celui d’améliorer le climat scolaire « pour refonder une école sereine et citoyenne ». Dans le Bulletin officiel de l’éducation nationale, il est évoqué qu’un « bon » climat permet une amélioration des résultats scolaires, du bien-être des élèves et des professeurs, une diminution des violences en milieu scolaire, des problèmes de discipline, d’absentéisme, de décrochage scolaire, et une plus grande stabilité des équipes. L’amélioration de ce climat se base sur la prévention et le traitement des problèmes de violence et d’insécurité en stimulant une meilleure vie en milieu scolaire dans tous ses aspects pédagogiques ainsi qu’éducatifs.
A. Les compétences de l’enseignante
Cette situation souligne toute la partie réglementaire citée dans le Référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation du 1er juillet 2013. Par exemple, la compétence n° 6 évoque que l’enseignant doit agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques. Il doit contribuer à assurer le bien-être, la sécurité et la sûreté des élèves, à prévenir et gérer les violences scolaires, à identifier toute forme d’exclusion ou de discrimination ainsi que tout signe pouvant traduire des situations de grande difficulté sociale ou de maltraitance.
Si nous reprenons la situation, M. était déjà connu pour être isolé et ne pas avoir d’amis dans la classe. Pourquoi une prise en charge de cet élève n’a-t-elle pas été mise en place afin de mettre à jour la problématique ? On doit également recourir à des stratégies adéquates pour prévenir l’émergence de ces comportements inappropriés de la part des professeurs afin qu’ils puissent intervenir efficacement s’ils se manifestent. Cependant, cette compétence semble compliquée à mettre en place lorsque l’enseignant n’a jamais été préparé à ce type de situation. Quelle est la marche à suivre pour gérer des comportements inappropriés et comment faire pour les reconnaître lorsqu’ils ne sont pas si évidents à déceler ?
Nous pensons que les enseignants doivent socialiser avec les adolescents, les amener à intégrer et respecter les règles pour vivre en communauté, à adopter un comportement correct et adapté envers leurs camarades de classe. De plus, ils doivent favoriser l’écoute et la communication des élèves afin de permettre « le vivre ensemble ». À ce propos, la compétence n° 10 du Bulletin officiel, qui se base sur la coopération au sein d’une équipe, met en avant l’importance du partage d’informations dans l’ensemble de l’équipe pédagogique. En effet, le fait de mettre en commun des faits, des propos, des avis ou encore des doutes ou des éléments suspects par rapport à des situations comme celle-ci qui met en cause du cyberharcèlement nous permettrait de faire avancer les enquêtes plus rapidement. Cela pourrait améliorer le climat scolaire tout en favorisant le bien-être de tous les élèves et aurait certainement pu permettre à la professeure d’anticiper la situation, ou de mettre en pratique des solutions, par exemple une orientation vers l’infirmière ou la psychologue dans un premier temps.
B. La compétence de l’équipe pédagogique
« L’obligation de surveillance des élèves, pendant le temps où ils sont confiés à l’institution scolaire, s’impose aux personnels de l’établissement public local d’enseignement (E.P.L.E.), sous l’autorité du chef d’établissement. Il s’agit d’une obligation légale qui se déduit de l’article 1384 du Code civil énonçant le principe de la responsabilité des membres de l’enseignement public à raison des dommages causés par les élèves qui leur sont confiés, du fait de fautes, d’imprudences ou de négligences ». L’obligation de surveillance suppose que les élèves soient toujours sous la surveillance d’un adulte responsable. Elle consiste à s’assurer de la sécurité des élèves en empêchant ces derniers de commettre des actes dangereux pour eux, pour les autres élèves ainsi que le matériel.
Concernant l’acte de violence de M., une sanction prévue dans le règlement intérieur de l’établissement aurait pu être mise en place par le chef d’établissement. Cette sanction a pour objectif de punir l’atteinte à la personne, ici par violence physique exercée à l’encontre d’un autre élève. Il existe une échelle de grade des sanctions, allant d’un avertissement en premier, un blâme avec rappel à l’ordre écrit et solennel, jusqu’à l’exclusion temporaire ou définitive, en passant par une mesure de responsabilisation (activités éducatives culturelles, de solidarité, de formation). La professeure a donc bien exercé son obligation de surveillance dans cette situation. Cette dernière a poussé l’enseignante à s’interroger sur le caractère répétitif des remarques que subissait l’élève de la part de ses camarades. Rapidement, la question du harcèlement scolaire a été soulevée. Il y a harcèlement scolaire quand un élève fait subir à un autre, de manière répétée, des propos ou des comportements agressifs. Selon l’équipe pédagogique, ce n’était pas la première fois que l’élève était pris en photo par ses camarades et affiché sur les réseaux sociaux. Cette attitude de leur part peut donc être considérée comme du harcèlement, au vu de la description précédente. De plus, la loi Peillon prévoit que la lutte contre toutes les formes de harcèlement constitue une priorité pour chaque établissement d’enseignement scolaire. De ce fait, la prévention et la lutte contre le harcèlement sont un devoir qui s’impose à tous les membres de la communauté éducative et, de ce fait, aux enseignants qui ont constaté la problématique.
L’équipe pédagogique se doit donc d’accompagner l’élève harcelé et sa famille dans le but d’une prise en charge optimale. En effet, elle doit l’informer des différentes démarches existantes pour l’aider. Le protocole de traitement des situations de harcèlement dans les écoles et les établissements publics locaux d’enseignement de juillet 2013 précise que l’équipe pédagogique, si elle a connaissance de faits de harcèlement, doit alerter le chef d’établissement afin qu’une procédure soit mise en place pour traiter la situation. Le chef d’établissement accueille l’élève dans le but de recueillir son témoignage et celui des témoins ainsi que le ou les auteurs des faits. Une rencontre avec les parents est également mise en place. D’un autre côté, un lien avec l’infirmière et la psychologue est essentiel afin de mettre toute l’équipe dans la boucle pour assurer la meilleure prise en charge possible.
Ensuite, la victime ainsi que sa famille peuvent saisir la Direction académique des services de l’éducation nationale (DASEN), notamment pour demander un changement d’établissement. Des services téléphoniques existent également pour accompagner la victime, tels que « Non au harcèlement » (3020) ou « Net écoute » (0800 200 000). Selon l’article 222-33-2-2 du Code pénal, le harcèlement est un acte délictueux. La victime peut porter plainte contre son harceleur jusqu’à 6 ans après les faits. Les auteurs de harcèlement âgés de plus de 13 ans risquent des peines de prison allant de 6 mois sans circonstance aggravante, un an avec une circonstance aggravante et de 18 mois avec deux circonstances aggravantes ou plus. Pour les trois types de peines, une amende de 7500 euros est à payer. Les circonstances aggravantes sont :
- si la victime a moins de 15 ans,
- si le harcèlement a été commis sur une victime dont la vulnérabilité (maladie, handicap physique ou mental…) est apparente ou connue de l’auteur,
- si le harcèlement a entraîné une incapacité totale de travail (jours d’école manqués) de plus de 8 jours.
04. Ce qu’en disent des collègues
Dans un premier temps, un collègue de mathématiques nous a éclairés sur plusieurs pistes qui auraient pu être mises en place. Celui-ci a déjà été confronté à des situations de harcèlement et a mis en place des ateliers autour de cette thématique. Il a proposé aux élèves d’analyser des textes sur le harcèlement, afin de leur permettre d’avoir un esprit critique face à différentes situations. Il a également proposé la diffusion du film « Le jour où j’ai brûlé mon coeur », produit par Ango productions et inspiré de l’histoire vraie de Jonathan Destin, afin de les sensibiliser à l’impact du harcèlement sur une personne. Il justifie le choix de ce film par le fait qu’il permet de donner vie à une situation réelle de harcèlement, pour toucher les élèves et leur permettre d’avoir un autre regard sur ce sujet. Il explique qu’il est nécessaire d’anticiper la situation en lien avec le fait que l’équipe avait un doute, et qu’il aurait lui-même certainement réuni une équipe éducative afin de parler de la situation de M., mais qu’en aucun cas ce n’est une problématique à gérer seul(e). L’équipe éducative est une instance qui permet d’aborder la situation d’un élève en concertation avec toutes les personnes concernées. À la suite de celle-ci, des initiatives et des décisions seront proposées et mises en place. Les parents peuvent être conviés. Lors de cette réunion, des pistes de solutions auraient pu être mises en place, dont celle de la sensibilisation des élèves au sujet du harcèlement. Selon lui, le type de violence physique dont a fait preuve M. aurait pu être certainement évité, si cela avait été pris en charge rapidement. Il nous rejoint sur l’intérêt d’une prise en charge psychologique de l’élève par la psychologue pour lui éviter une souffrance.
Deuxièmement, nous avons demandé l’avis d’une infirmière scolaire d’un autre établissement que celui de M. Elle nous a expliqué qu’elle fait intervenir différents types d’intervenants tout au long de l’année scolaire. Dans un premier temps, elle est la première interlocutrice, et anime différents ateliers de préventions du harcèlement dans les classes. Donc selon elle, il serait intéressant de faire une intervention auprès de ces élèves. Elle fait souvent appel à l’association « Le théâtre sur mesure » qui propose des interactions pour répondre à des problématiques de harcèlement et de violences physiques. Elle nous explique que ce type d’interventions permet une sensibilisation des élèves. En effet, les comédiens montrent par le théâtre les situations de harcèlement et interpellent à leur sujet. Beaucoup d’élèves ne réalisent pas que certaines situations relèvent du harcèlement et le justifient par une évolution des codes sociaux. Ce qui, selon l’infirmière, a un impact important sur le taux de harcèlement et de violence connu dans un établissement. Elle explique qu’il est important pour les élèves d’identifier les personnes-ressources afin de verbaliser une situation de harcèlement. Très souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner et pensent que ceux qui vont voir une psychologue, « c’est qu’ils sont fous », et ceux qui vont voir l’infirmière, « c’est qu’ils sont malades ».
Un autre collègue explique que lui et d’autres professeurs avaient des doutes concernant un harcèlement, mais que parfois la décision d’intervenir peut envenimer les choses plutôt que de les régler. En effet, il a déjà eu une expérience le conduisant à intervenir en accompagnant l’élève chez la psychologue. Cependant, le bureau de la psychologue est visible depuis la cour de récréation, de sorte qu’aucune intimité et confidentialité ne sont possibles lors d’un entretien. Cet élève a par suite été stigmatisé par d’autres camarades comme étant « cinglé psy », et c’est plutôt à ce moment-là qu’a commencé le harcèlement alors qu’auparavant le harcèlement n’était pas la raison de son isolement. Ils ont découvert plus tard qu’il vivait des sévices sexuels de la part de son père. Autant dire que peu d’élèves se rendent chez la psychologue. Donc pour lui la démarche de signaler la situation et d’accompagner l’élève est absolument nécessaire, mais à mener de manière judicieuse et discrète. L’équipe doit être mise dans la boucle afin que chacun puisse à son niveau être attentif et réactif.
La tutrice terrain a expliqué qu’en tant que stagiaires, nous devions déjà commencer à être attentifs aux différents signes évocateurs de harcèlement, mais qu’en aucun cas un sentiment de culpabilité ne doit exister quant au fait de ne pas les avoir vus. Cela demande un travail d’équipe qui nécessite de mettre en place plusieurs méthodes afin d’arriver à gérer les situations de violence et de harcèlement.
05. Ressources universitaires
Dans l’ouvrage Harcèlement en milieu scolaire : Victimes, auteurs : que faire ?, Hélène ROMANO explique qu’il est important de se rendre disponible afin de comprendre ce que vit l’enfant, de ne pas minimiser sa situation et de faire le nécessaire pour y mettre un terme. Elle insiste sur l’importance de s’inscrire dans une équipe pédagogique et ne surtout pas rester seul(e). Cela rejoint les différents avis proposés par les collègues. Elle insiste également sur l’importance de créer une relation de confiance avec l’élève harcelé. Elle indique des expressions excluantes à éviter de dire afin de ne pas mettre l’élève dans une situation insécurisante. Elle donne quelques exemples tels que « la fausse réassurance », la banalisation ou le cautionnement de ce qui est décrit comme du harcèlement. Ce qui revient à dire que l’équipe doit être absolument attentive à son vocabulaire lorsqu’elle s’adresse à l’élève afin de lui permettre de se sentir sécurisé par la parole de l’adulte et de lui permettre d’être en confiance pour qu’il puisse s’exprimer. Selon Nicole CATHELINE, pédopsychiatre, praticien hospitalier, qui s’est investie dans une démarche de lutte contre le harcèlement à l’école et qui propose plusieurs ouvrages sur lesquels on peut s’appuyer, « prendre en considération le harcèlement et les difficultés qu’il induit met en lumière les impensés de notre système scolaire ». Elle insiste sur le fait qu’une banale situation d’intégration dans un groupe peut se transformer en harcèlement à cause de trois éléments : « l’incompréhension de la victime face au phénomène, l’isolement de la victime et la cécité des adultes ». Ce qui vient encore confirmer la cécité des adultes et prouver que l’équipe pédagogique a sa part de responsabilité dans la situation de M.. En effet, celle-ci n’aurait peut-être pas dégénéré si l’équipe avait réagi plus tôt. Cependant, les adultes ne pensent pas toujours que les situations qu’ils côtoient soient forcément du harcèlement. Nicole CATHELINE l’explique bien lorsqu’elle dit : « Le harcèlement n’est pas reconnu par les adultes parce qu’ils pensent parfois qu’il est normal entre enfants de se mesurer, de se bagarrer parfois, de se faire des farces ». En effet, comme l’évoque Alexandre CASTANHEIRA, formateur à l’Université de Paix dans une conférence au Salon de l’éducation à Charleroi : « Le harcèlement scolaire est peu visible car c’est la loi du silence qui prime.
On en parle peu aux adultes, par peur de représailles, d’isolement, voire par honte ». Finalement, il n’est pas toujours facile de reconnaître une situation de harcèlement.
Nicole CATHELINE s’intéresse également aux victimes harcelées qui peuvent devenir harceleurs. En effet, selon elle, « une victime peut se rebeller et s’en prendre aux autres par dépit ou colère. C’est un mécanisme simple ». Dans le cas de M., il est tout à fait probable qu’il ait subi ce harcèlement depuis un moment et qu’il ait décidé d’agir par la violence physique. Elle ajoute également que le rôle des adultes est important dans la prévention du harcèlement, mais que pour cela, ils doivent être formés afin d’y répondre au mieux. Pour elle, « la formation des enseignants est à cet égard largement insuffisante, mais c’est surtout leur accompagnement tout au long de leur carrière qui fait défaut ». Il serait donc nécessaire que l’équipe pédagogique soit formée à la prévention du harcèlement, car il n’est pas inné de savoir quand une situation en relève ou non. Mais également à la gestion du groupe. Nicole CATHELINE précise que « les phénomènes de harcèlement ont moins de chance de survenir quand les adultes sont formés à la gestion du groupe, qu’ils peuvent faire appel à d’autres adultes, et évoquer leurs difficultés à faire travailler telle ou telle classe ».
De plus, le comportement des adultes d’une équipe pédagogique aurait une influence sur le taux de situations de harcèlement. « La qualité de la relation que les élèves estiment avoir avec les professeurs influence le nombre d’atteintes dont ils sont victimes, leur perception du niveau de violence, leurs croyances et attitudes vis- à-vis de l’usage de la violence, leurs conduites asociales et le développement de comportements prosociaux »
06. Les pistes de résolution
Il est clair que la situation de M. pose beaucoup de questions auxquelles on a tenté de trouver des pistes de solutions.
Dans un premier temps, ce qui nous a fait défaut était le manque d’informations concernant la situation de l’élève, nous n’avions pas assez de recul concernant les années précédentes. Quels avaient été les situations ou les faits qui auraient pu faire penser à du harcèlement ? Qu’avait-il réellement vécu avant cette situation ? Dans tous les cas, nous savions qu’il y avait eu des premiers signes auparavant, aux dires de certains enseignants. Donc, nous pourrions dire que la première solution aurait été d’intervenir rapidement, dès la connaissance de ces faits par l’équipe pédagogique. Cependant, comme nous l’avons vu auparavant, les situations de harcèlement sont difficiles à repérer. Il aurait donc été nécessaire que l’équipe éducative ainsi que la famille soient formées à la prévention du harcèlement.
Des réunions pourraient être dédiées afin d’aborder les différentes situations de harcèlement ou de faits apparentés tels que les moqueries, la violence, le racket qui amène au harcèlement. Par exemple, une réunion par mois ou semestre qui réunirait toute l’équipe éducative afin de verbaliser et de faire remonter les problématiques. L’équipe devrait être formée également à la gestion du groupe afin de créer les conditions favorables au respect, à l’acceptation de l’autre et de la différence. Il serait essentiel que des séances de sensibilisation au harcèlement soient obligatoires dans le programme comme les séances d’éducation à la sexualité réalisées par l’infirmière scolaire. Le travail en collaboration avec des partenaires serait intéressant à mettre en place afin d’amener les jeunes à réfléchir sur le sujet et favoriser un bon climat scolaire.
D’autre part, recueillir des témoignages plus précis auprès des élèves quant au vécu de M., cette année et les années précédentes permettrait peut-être de comprendre pourquoi il a été violent physiquement. De plus, se renseigner sur les circonstances de la diffusion des photos de M. aurait été nécessaire. Est-ce que ce sont des photographies personnelles, prises au lycée, usurpées ou transmises volontairement par M. à une personne qui les aurait partagées ?
Un travail de sensibilisation au harcèlement pourrait être mis en place auprès de la classe avec l’intervention de différents partenaires afin d’améliorer le climat scolaire dans cette classe et dans l‘établissement. Il serait intéressant de refaire un point sur le règlement intérieur du lycée, mais également sur les risques encourus au cas où la victime porte plainte. Cela permettrait de faire prendre conscience aux élèves des peines encourues.
La piste de changement de groupe pourrait être également étudiée pour M., afin qu’il ne soit plus confronté aux élèves responsables du harcèlement. Cependant, cette solution peut être à double tranchant, car il pourrait être encore plus stigmatisé par les élèves. Cela devrait être étudié en équipe afin de juger du bienfait ou non de ce changement.
07. Prendre parti
Cette situation étant délicate, nous sommes encore très incertains des actions à mettre en place pour répondre à la problématique et de la posture à adopter ; et les questions sont encore nombreuses. Cependant, l’ensemble du travail « Gérer professionnellement les situations » nous a permis de prendre conscience du processus du harcèlement et de mieux nous préparer à gérer ce type de situation à l’avenir.
Il aurait été intéressant de pouvoir observer et repérer les différents éléments qui annonçaient cette situation. En effet, l’élève était énervé à son entrée en classe, mais s’il était agité avec des poings fermés par exemple, on aurait pu sortir avec lui pour parler quelques minutes en dehors de la classe. Cela aurait peut-être permis de désamorcer la situation. Cependant, plusieurs types de réactions peuvent être possibles dans le cas d’un élève harcelé, parfois certains n’osent pas en parler par peur de représailles, et d’autres sont tellement à bout que la seule solution est de pouvoir en parler à une tierce personne ou de passer à l’acte. Dans le cas de M., on constate qu’il n’a pas accepté de s’entretenir avec l’enseignante. Il aurait été judicieux de l’envoyer à l’infirmerie ou chez la psychologue afin d’avoir un lieu neutre qui lui permette de verbaliser sa problématique. Si l’enseignante avait pu en parler avec lui avant le déroulé de la situation, elle aurait pu avoir les différents éléments pour comprendre et agir avant sa montée de violence. Lorsque les élèves ont commencé à rire, elle aurait pu mettre à l’écart l’élève visé par ces moqueries afin qu’il n’ait plus à les subir et faire redescendre la pression face aux rires de ses camarades.
De plus, M. et les élèves moqueurs auraient dû être sanctionnés pour leur permettre de comprendre la gravité de leur acte dans ce type de situation. L’enseignante aurait pu organiser un entretien avec M. pour comprendre sa situation et ce qui l’a amené à réagir de la sorte. Ensuite, il aurait été nécessaire de mettre les parents dans la boucle et de les prévenir de la situation afin qu’ils soient attentifs au comportement de leur enfant.
Concernant M., il serait nécessaire de mettre en place un réseau d’aide afin de l’accompagner dans sa situation :
– mise en place d’un suivi auprès de la psychologue, de l’assistante sociale et de l’infirmière scolaire afin de l’orienter vers des structures de prise en charge telle que la Maison des adolescents ;
– mise en place d’un réseau de soutien des camarades qui parlent à M. (N. et K.) pour permettre une aide entre pairs, ce qui peut faciliter la verbalisation ;
– connaître le règlement intérieur de l’établissement pour ce type de situation de violence aurait été un atout majeur pour la professeure afin de faire face et agir en conséquence sans être prise au dépourvu ;
– suite à ces faits, la professeure en arts appliqués aurait pu diffuser un film comme par exemple « Le jour où j’ai brûlé mon cœur », réalisé par TF1 sur l’histoire vraie de Jonathan Destin, pour sensibiliser les élèves ;
– elle aurait pu également monter un projet en collaboration avec d’autres professeurs sur le thème du harcèlement afin de sensibiliser l’ensemble des élèves du lycée à travers des réalisations d’affiches, pour ensuite les exposer au sein du Foyer des lycéens ou au CDI.
Le statut de stagiaire de l’enseignant a représenté un frein à ses actions face à cette situation. Le recul et l’ensemble des éléments recueillis lors de ce travail lui ont permis de comprendre l’intérêt de prendre parti et de signaler la probabilité d’une situation de harcèlement de M..
Conclusion
La situation à laquelle a été confrontée l’enseignante pose plusieurs problèmes sociaux et juridiques. En effet, cette altercation a amené l’enseignante à se poser de nombreuses questions concernant la gestion de cette classe. Il est vrai que c’est une classe difficile, dans laquelle les élèves se sont vu réprimander au sujet de leur comportement à de nombreuses reprises depuis le début de l’année. La bagarre a été à l’initiative d’un des élèves les plus calmes de la classe, ce qui a poussé l’enseignante à creuser afin de connaître les raisons qui ont poussé l’élève à réagir aussi violemment. Cette quête a conduit l’enseignante à conclure à un cas de harcèlement scolaire, avec utilisation du réseau Snapchat, contre l’élève M.. La complexité de la situation trouve des premières pistes de solution dans différents textes propres à l’Éducation nationale, dans le Code pénal, dans des recherches universitaires, et également à travers des témoignages que nous avons réunis. Cette situation de violence à laquelle nous pouvons tous être confrontés en tant qu’enseignants nécessite un travail d’équipe auprès des élèves, des parents, afin de repérer et de prendre en charge les situations de harcèlement.