Résumé
Le récit et l’analyse de cette situation ont été produits par un groupe de 3 professeur.e.s-stagiaires (MEEF1) en 2018-2019. Ils/elles ont été accompagné.e.s par un formateur durant 3 séances de 2h durant lesquelles ils ont pu bénéficier de ses remarques, questionnements et conseils. La production qui suit est une deuxième version c’est à dire que les stagiaires ont effectué quelques remaniements à partir de remarques formulées par le formateur sur la première version.
1. La situation
Le contexte
Le professeur des écoles (PE) enseigne en double niveau, dans une classe de CE2/CM1 composée de vingt-cinq élèves. Dix-sept élèves de CM1 sont assis face au tableau, par rangs de trois et quatre, et occupent la plus grande partie de la classe. Huit élèves de CE2 sont assis en îlots de quatre, perpendiculairement à la classe pour pouvoir suivre lorsque nous travaillons en commun, et suivre sur leur propre tableau au fond de la classe.
Lors de la semaine de rentrée, le PE a fait passer des évaluations diagnostiques à l’ensemble de la classe. Il en ressortit que le niveau général de la classe est assez faible. Après consultation des dossiers des élèves, ce constat fut confirmé.
La situation a lieu en tout début d’année. Lors d’une séance précédente, le PE constate que certains élèves de CE2 tiennent mal leur règle et ont de réelles difficultés à tracer des lignes droites, ne serait ce que pour souligner la date. Surpris par cette situation, il décide de démarrer la séance du jour en leur donnant à faire quelques exercices leur permettant de s’entraîner.
L’explication des consignes est rapide et supposée bien comprise. Pour le PE, ils peuvent donc travailler en autonomie pendant cinq minutes. Pendant ce temps, le PE propose aux CM1 un exercice de révisions, prévu par le manuel, en guise d’introduction sur les mesures.
Il s’agit de trouver les mesures de différents segments tracés le long de «morceaux» de règle graduée. Les segments mesurent tous plus de 4 cm, et moins de 8 cm, et ne commencent pas nécessairement à zéro. Certains sont disposés à l’envers, la lecture s’effectuant de droite à gauche.
Les consignes semblant d’une apparente évidence, le PE ne fait pas reformuler par les élèves.
Les élèves travaillent en autonomie environ quinze minutes pendant que l’enseignant entame la leçon prévue avec les CE2.
Il convient de préciser que le PE avait bien préparé son emploi du temps, mais n’avait pas fait de fiche de préparation : il suivait le guide de l’enseignant. L’exercice de révision des CM1 était prévu par le manuel et permettait de vérifier les acquis. Acquis supposés, par ailleurs, par l’enseignant lui-même.
La problématique
Cinq minutes plus tard, et alors que son travail avec les CE2 a à peine commencé, le PE fait un rapide passage dans les rangs des CM1 pour contrôler leur travail. Certains ont presque terminé, et tous ont multiplié les erreurs, parfois importantes (25cm voire 67cm) alors que les segmentsmesurent tous moins de 8 cm.
Posant quelques questions, l’enseignant réalise alors qu’ils n’ont pas compris l’exercice : la plupart lisent les graduations directement.
Après une courte reprise des consignes, les élèves ne comprennent toujours pas, et sont totalement perdus dès lors que la règle n’est pas positionnée à l’horizontale, de gauche à droite, le segment ne démarre pas à zéro. Si l’enseignant reconnaît alors la relative difficulté de cet exercice, il reste surpris par les réponses des élèves.
Le PE entreprend de leur expliquer la démarche, sans penser à proposer une activité aux CE2 qui n’ont alors plus rien à faire.
Très rapidement, l’enseignant ne maîtrise plus le temps et passe près de trente minutes avec les CM1 pendant que les CE2, « livrés à eux-mêmes », dessinaient, décoraient la page de garde de leurs différents cahiers (on est alors en tout début d’année) ou lisaient. Ils n’étaient pas bruyants, mais il reste qu’ils n’avaient rien à faire, car rien n’avait été prévu pour les occuper.
2. Les problèmes que cela pose
La première réflexion qui nous vient est celle de la préparation de la séance. Le cahier journal semblait, à l’époque, assez détaillé. Nous savons aujourd’hui avec quel degré de précision et d’exigence le PE aurait dû préparer sa séance. Si cela suppose de prévoir le temps de chaque activité, aujourd’hui encore, son temps d’intervention avec l’un ou l’autre des groupes peut différer de celui qui était prévu. La différence majeure réside dans sa gestion de cette différence. À l’époque, il n’avait pas prévu d’activités en autonomie pour gérer les fins de travaux échelonnées. Néanmoins, le PE rappelait régulièrement le principe d’un double niveau, ce que l’on peut faire ou ne pas faire quand il travaillait avec l’autre niveau, la nécessité de préserver le calme, et de travailler dans un relatif silence. Les chuchotements étaient autorisés, notamment lorsqu’il s’agissait de s’entraider. Mais aucune activité en autonomie n’était proposée.
Au-delà de l’organisation de la classe, il paraît important de revenir rapidement sur la composition de la classe. Nous ne sommes pas seulement en présence d’un double niveau, sur deux cycles différents, ce qui revêt déjà une difficulté non négligeable pour un enseignant débutant, mais aussi face à des élèves de CE2 assez faibles et très peu autonomes, et de quelques élèves de CM1 pour lesquels un maintien en CE2 avait été proposé (refusé par les parents). Si une première lecture de la situation pourrait évoquer un problème de gestion de classe, c’est pourtant à la question de la différenciation, et en particulier en double niveau, que nous avons choisi de nous intéresser. En effet, il nous a semblé pertinent de nous attarder sur ce qui aura été à l’origine de ce problème de gestion : l’absence de différenciation et la difficile prise en compte du double niveau.
Le point majeur de cette situation réside dans le fait que l’inexpérience du PE l’a conduit à négliger les différences des élèves. Le découpage nécessaire du temps, la répartition physique et temporelle entre les deux niveaux induisent une préparation particulière limitant au possible les écarts. Si l’enseignant avait suffisamment anticipé les différences des élèves, leur niveau réel, et non supposé, il aurait sans doute pu y faire face, et aurait certainement évité de laisser des élèves sans travail, sans activité pendant plus de trente minutes.
Une fois ces points exposés, quelques questions s’imposent à nous :
- Comment anticiper le niveau des élèves, et adapter son enseignement aux difficultés constatées ?
- Comment préparer les séances, organiser son temps et sa classe en prenant en compte les différences des élèves, dans un contexte de double niveau ?
3. Dimension réglementaire
Les grands principes du système éducatif1https://www.education.gouv.fr/cid162/les-grands-principes.html : Depuis la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, l’instruction est obligatoire. Cette obligation s’applique à partir de 6 ans, pour tous les enfants français ou étrangers résidant en France. À l’origine, la scolarisation était obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans, puis 14 ans à partir de la loi du 9 août 1936. Depuis l’ordonnance n°59-45 du 6 janvier 1959, elle a été prolongée jusqu’à l’âge de 16 ans révolus.
Au vu de cette loi, et en y ajoutant le décret rendant l’instruction des enfants obligatoire dès l’âge de 3 ans pour la rentrée 2019, il est nécessaire de la part du gouvernement d’assurer l’accueil et l’instruction de tous les élèves. Pour permettre cela, les articles du code de l’éducation relatifs aux écoles maternelles et élémentaires encadrent cet accueil.
Extraits du Code de l’éducation : « Art. L212-1 :
La création et l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public sont régies par les dispositions de l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales, ci après reproduites : Art. L. 2121-30.-Le conseil municipal décide de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public après avis du représentant de l’État dans le département. Art. L212-2 :
Toute commune doit être pourvue au moins d’une école élémentaire publique. Il en est de même de tout hameau séparé du chef-lieu ou de toute autre agglomération par une distance de trois kilomètres et réunissant au moins quinze enfants d’âge scolaire. Toutefois deux ou plusieurs communes peuvent se réunir pour l’établissement et l’entretien d’une école. Cette réunion est obligatoire lorsque, deux ou plusieurs localités étant distantes de moins de trois kilomètres, la population scolaire de l’une d’elles est inférieure régulièrement à quinze unités. Un ou plusieurs hameaux dépendant d’une commune peuvent être rattachés à l’école d’une commune voisine. Cette mesure est prise par délibération des conseils municipaux des communes intéressées. Article L212-3 alinéa 2 :
Le nombre d’enseignants du premier degré affectés à chaque département par le recteur d’académie est déterminé en prenant en compte les effectifs scolaires liés à la population des saisonniers. »
Au vu de ces textes, les écoles font face à des difficultés quant à la constitution des classes et se voient, surtout en milieu rural, mais aussi de plus en plus en milieu urbain, devoir recourir aux classes multiniveau. Quand on regarde l’histoire de la France, la massification de la scolarisation des enfants a produit des écoles à classe unique dans les campagnes. C’était d’ailleurs la norme, notamment parce que le ramassage scolaire n’existait pas et depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, il était très fréquent de trouver des classes où l’instituteur accueillait tous les enfants du village dans une seule grande classe, sans distinction d’âge et de niveau. Cette pratique existe toujours de nos jours, surtout dans les régions montagneuses où les regroupements d’écoles sont rendus difficiles.
LOI D’ORIENTATION SUR L’ÉDUCATION (N° 89-486 DU 10 JUILLET 1989) « Art. 1. — L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances. Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. L’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique. L’intégration scolaire des jeunes handicapés est favorisée. Les établissements et services de soins et de santé y participent. Art. 2. — Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande. L’accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne. »
À cela s’ajoute la mission que se donne l’État, énoncée ici par la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, qui rappelle le rôle du « service public de l’éducation » en matière d’instruction et d’éducation des futurs citoyens. Le premier article évoque l’intégration d’enfants en situation de handicap, et l’article 2 pose une obligation d’accueil de tout enfant sans condition, s’il y a une demande d’inscription. « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande. »
Le socle commun de connaissance de compétences et de culture, en vigueur depuis la rentrée 2016, et qui se fonde principalement sur le socle commun de connaissance et de compétences de 2006, avec la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, viennent asseoir une autre mission fondamentale de l’École Publique qui est de garantir l’égalité des chances face à la réussite scolaire et le droit d’accès à une instruction de qualité.
Socle de connaissances de compétences et de culture en vigueur à la rentrée de 2016 : « Le projet de socle de connaissances, de compétences et de culture, proposé par le Conseil Supérieur des Programmes, soumis maintenant à consultation, n’est pas un simple toilettage du socle de 2006. Il se veut un projet global de formation pour tous les élèves dans le cadre de la scolarité obligatoire. Il constitue donc un cadre général qui donne forme, sens et cohérence à l’ensemble des programmes. Il constitue une matrice qui devrait permettre d’écrire et d’enseigner des programmes plus soucieux des élèves réels, plus en prise sur la réalité de la classe et l’expérience enseignante, mais aussi plus mobilisateurs, plus formateurs, et plus enrichissants pour tous. Il s’agit donc bien de définir une culture commune capable de concerner et d’inclure tous les élèves, fondée sur la connaissance et l’action, soucieuse de la recherche critique des vérités démontrées et faisant accéder chaque élève à la liberté
de penser et d’agir pour participer à la vie de la Cité. Ce socle peut sans doute être encore amélioré grâce à l’apport de chacun. C’est le but de cette consultation. Il sera suivi de projets de programmes qui doivent le rendre opérationnel et qui seront également soumis à consultation en 2015 pour une application progressive à la rentrée 2016. Il présente quelques grands principes pour son évaluation mais le dispositif devra être précisé dans le courant de cette année. Il s’agit donc d’une première étape essentielle vers une approche nouvelle de ce qui doit être enseigné et qui devrait constituer le cœur des réformes scolaires : renforcer l’adhésion à un projet de formation, réconcilier les idéaux démocratiques et la réalité des performances scolaires, lutter contre les découragements et les exclusions, en finir avec une école qui contribue parfois à renforcer la domination et la distinction des plus favorisés contre ceux qui n’ont pas appris chez eux les codes d’une heureuse scolarité. »2http://cache.media.education.gouv.fr/file/Le_systeme_educatif/92/5/presentation_du_projet_de_socle_commun_de_connaissances,_de_competences_et_de_culture_350925.pdf Extrait de Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République : « (…)Organiser un tronc commun de formation pour tous au cours du premier cycle grâce à une différenciation des approches pédagogiques et à des actions de soutien pour les élèves qui éprouvent des difficultés. (…)La différenciation des approches pédagogiques au sein du collège unique doit être complétée par un effort particulier pour assurer une meilleure liaison avec les autres niveaux d’enseignement. Outre la continuité pédagogique avec l’école primaire, qui sera facilitée par la mise en place d’un nouveau cycle concernant le CM2 et la sixième, une attention particulière est attendue en matière d’information et d’orientation pour permettre à tous les élèves de réussir la suite de leur parcours scolaire au moment de l’articulation entre la troisième et la seconde. »
C’est d’ailleurs dans ces textes que sera clairement énoncée la notion de « différenciation » et de « pédagogie différenciée », pratique absolument fondamentale afin de garantir l’acquisition des connaissances et compétences par chaque élève.
Il est en revanche intéressant de noter que les textes réglementaires n’évoquent que très rarement la question des classes à double niveau. Les deux seules occurrences spécifiées figurent dans le bulletin officiel du 26 novembre 2015, qui donne des pistes de pratiques pédagogiques possibles en classe entière, en différant notamment sur les niveaux de lecture d’un même objet littéraire, artistique, ou autre…
Extraits du B.O. spécial n°11 du 26 Novembre 2015 : « Dans les classes à double niveau, les mêmes textes et oeuvres peuvent être donnés à lire aux élèves de CM1 et de CM2. On veillera à ce que les élèves de CM1 puissent faire état de leur réception des textes afin de repérer les obstacles éventuels à leur compréhension et de leur permettre de formuler des hypothèses d’interprétation en fonction de leur niveau de lecture. On tirera profit également des échanges avec les élèves plus avancés pour enrichir la lecture de tous.(p.110) […] En CM1 et CM2, on veille à varier les genres, les formes et les modes d’expression (texte seul, texte et image pour les albums et la bande dessinée, image animée pour les films) sur les deux années et à prévoir une progression dans la difficulté et la quantité des lectures. Dans le cas des classes à double niveau, les mêmes œuvres peuvent être proposées à tous les élèves en ménageant des parcours de lecture différents pour les élèves de CM1 et en adaptant les questionnements à la maturité des élèves. Les entrées sont abordées dans l’ordre choisi par le professeur. Une même œuvre ou un ensemble de textes peuvent relever de deux entrées différentes. Cette œuvre et ces textes sont alors travaillés de deux manières différentes, en fonction des questionnements propres à chaque entrée. » (p. 121)
4. Ce qu’en disent des collègues
Après avoir consulté différents collègues sur la situation présente, les avis se retrouvent généralement par les constats qu’ils apportent, similaires pour la grande majorité.
« L’objectif est flou : on ne sait pas vraiment si le but de l’exercice est de savoir mesurer avec sa règle ou bien de pouvoir calculer la longueur du segment à l’aide des données chiffrées (par exemple : si un segment est indiqué comme partant de 2 centimètres et terminant à 9, effectuer 9 – 2 pour trouver 7).
« Les élèves ont été perdus car l’exercice apporte d’emblée une difficulté majeure qui peut les prendre de court : il aurait été préférable que tous les segments démarrent à 0. Cela leur aurait permis de restituer un usage correct de la règle, or démarrer un segment par un nombre autre que 0 les a déstabilisés. »
« Il aurait fallu soit préciser dès le début la méthode à employer, soit expliciter qu’il y en a plusieurs et leur laisser le choix de faire ce qui leur parait le plus simple. »
« J’aurais fait reformuler la consigne et fait un exemple au tableau avec un élève acteur en prenant le premier segment de l’exercice comme modèle. »
« Peut-être les mettre en situation de tutorat où les élèves ayant compris peuvent passer aider les autres élèves pendant que vous vous occupez des CE2. »
Ces avis convergent vers un point commun et majeur : la consigne n’est pas claire. L’importance d’une consigne explicite et bien comprise est bien sûr primordiale, et bien que nous en étions conscients même à nos débuts, il nous était parfois très difficile à travers nos yeux de débutant de déterminer ce qu’est une consigne claire ou floue. Notre regard d’adulte rend évident pour nous ce qui ne l’est pas pour des élèves de neuf à dix ans.
Quant aux avis concernant les CE2 « livrés à eux-mêmes », plusieurs pistes et débuts de solutions nous ont été apportées :
« Vous auriez pu leur donner des exercices supplémentaires sur le même sujet ou au contraire un travail complètement différent. »
« Dans ma classe, j’ai établi un système pyramidal que j’appelle « Ce que je peux faire quand j’ai fini mon travail. » Plus on monte dans la pyramide, moins le travail est prioritaire, et cette pyramide est affichée en classe et les élèves la connaissent. On part de « Je me relis et corrige mes fautes » à « Je termine les fiches d’autonomie que j’ai déjà commencées auparavant », « Je relie mes leçons que l’on travaille actuellement », « Je range ma case », « Je continue mon illustration en poésie ou chant », « Je prends un livre à la bibliothèque ».
Ces propositions nous ont beaucoup éclairés quant à l’importance de l’anticipation de l’enseignant quand il prépare des exercices à faire en classe, et nous en concluons que le type d’activité proposée aux élèves après un travail terminé n’a pas vraiment d’importance.
La clé se situe autour du fait qu’ils doivent constamment avoir quelque chose à faire, aussi banale l’activité soit elle.
5. Des ressources universitaires
Compte tenu de notre cas, celui d’une classe à double niveau, il nous a paru intéressant de nous attarder particulièrement sur la littérature universitaire traitant de cet aspect.
La question du double-niveau, classe décloisonnée, ou encore classe à cours double est depuis longtemps au centre du débat entre les différents acteurs de l’école, à savoir, les enseignants, les collectivités territoriales et les parents d’élèves. Cette pratique est autant plébiscitée par l’administration que crainte par les parents. Un travail de recherche empirique d’envergure a été effectué par Bruno Suchaut et Christine Leroy-Audouin autour de la CP-CE1, entre 2005 et 2007, afin de porter un constat objectif sur l’efficacité ou non d’un dispositif en double-niveau. Dans son article paru en 2010, dans La Revue Française de Pédagogie, Suchaut nous présente les résultats de sa recherche, avec une importante re-contextualisation afin d’éviter les biais d’interprétation.
L’auteur rappelle dans un premier temps que l’existence des classes à cours double est loin d’être une norme et rarement choisi délibérément par les enseignants. Elle découle des changements démographiques (mais aussi des choix institutionnels comme évoqués supra) qui provoquent, surtout à la campagne, mais aussi de plus en plus en ville, des fermetures de classes ou même d’écoles. Ainsi, pour la gestion des effectifs de classe, mais aussi pour des questions économiques, les écoles sont amenées à devoir constituer des classes à double niveau.
Le deuxième point de contextualisation concerne la position de l’enseignant en charge de ces classes. En effet, les classes en double niveau demandant un travail bien plus conséquent qu’une classe simple, les enseignants qui ont le plus d’ancienneté et qui, par accord tacite, choisissent en priorité leur classe, ont tendance à délaisser les classes doubles aux derniers arrivés dans l’école, peu ou pas expérimentés.
Le dernier rappel concerne la constitution des classes. Il est contraint, dans une grande mesure, par des contextes démographiques, il est donc parfois difficile d’optimiser la constitution des classes et des niveaux à associer. Suchaut présuppose donc que les classes à double niveau devraient réunir des élèves dont le niveau aurait été réfléchi en amont à des fins de cohérence.
Prenant en compte ces trois dimensions, Suchaut nous présente des résultats démontrant une inefficacité significative des classes à cours double. Il démontre que les élèves qui présentent des facilités d’apprentissage ne tirent aucun bénéfice d’une année en classe décloisonnée et les élèves en difficultés ont tendance à voir leurs lacunes s’accentuer. Les classes à double niveau auraient-elles une logique propre indépendamment des enseignants qui en ont la charge ? Cela ne dépendrait-il pas tout de même des outils pédagogiques et didactiques déployés par l’enseignant ?
Le deuxième constat est que les élèves subissant des classes à cours double plusieurs années de suite montrent des signes de stagnation, voire parfois de régression, face à leurs apprentissages.
Deux causes principales sont évoquées ici par l’auteur.
La première étant liée à l’organisation pédagogique des apprentissages. En effet, surtout quand il s’agit d’un groupe avec des niveaux consécutifs, on prend le risque de lisser les savoirs dispensés sur le groupe entier, négligeant ainsi l’approfondissement des apprentissages pour le niveau supérieur, ou au contraire, négliger l’accompagnement des élèves du niveau inférieur.
La deuxième est la difficulté de l’enseignant à fractionner le temps d’enseignement pour passer d’un groupe à l’autre. Cela demande une grande organisation et une préparation en amont très importante pour que l’enseignant puisse s’assurer du travail en autonomie des élèves d’un groupe pendant que ce dernier se charge de l’autre partie de la classe. Or, comme nous l’avons vu plus haut, le plus souvent, les enseignants en charge des classes en double niveau sont peu ou pas expérimentées.
Plusieurs recommandations sont proposées par l’auteur pour atténuer les biais liés à une telle configuration et garantir la meilleure réussite possible à tous les élèves :
– « éviter dans la mesure du possible de faire suivre deux années consécutives un cours double CP-CE1 aux élèves »
Si ici l’auteur nous précise le cas d’une classe double CP-CE1, c’est vrai pour la plupart des cas. Nous venons d’en développer la raison.
– « être attentif à la sélection des élèves destinés au cours double, ce qui signifie d’éviter de choisir des élèves faibles sur le plan des apprentissages et peu autonomes »
L’affirmation ici est très claire et presque évidente. Si on a deux niveaux différents dans une même classe, il est évident que le temps d’enseignement est partagé, et que pendant une phase magistrale avec un groupe, l’autre doit être en mesure de travailler en autonomie complète. Cela n’est possible que si individuellement, les élèves ont tous une certaine aisance avec le travail en autonomie.
– « planifier et organiser les activités pédagogiques avec rigueur pour chacune des deux sections en présence »
On l’a vu plus haut, il s’agit de faire une distinction nette d’enseignement entre les deux niveaux afin de ne pas tomber dans le biais lié à la « négligence pédagogique ».
– « ne pas attribuer une classe à cours double à un enseignant peu expérimenté. »
Ce dernier point semble être une évidence, pour autant, ce n’est malheureusement pas la norme, comme l’a rappelé l’auteur au début de l’article.
6. Pistes de résolution de la situation
Les pistes de remédiation de cette situation sont nombreuses mais se traduisent notamment par des mesures préventives plutôt que “réparatrices”. La question à se poser en premier lieu n’est pas « Que dois-je faire lorsque cette situation se déclenche ? » mais plutôt « Que faire pour prévenir cette situation et éviter qu’elle ne se déclenche »?
Pour ce faire, il nous parait important de clairement identifier les problèmes posés par cette situation, à savoir :
- le manque d’anticipation de la part de l’enseignant, que ce soit d’un point de vue didactique (sous-estimation du niveau des élèves de CM1) ou pratique (les CE2 laissés sans rien faire) ;
- le manque de préparation en amont qui aurait pu permettre de contourner le problème, sinon l’atténuer ;
- l’absence de différentiation et d’adaptation de la difficulté selon les élèves.
Au sortir de ce travail de recherche, nous avons ciblé plusieurs pistes qui nous semblent les plus judicieuses pour prévenir cette situation et éviter qu’elle se répète.
- La préparation d’une activité adéquate afin d’évaluer le niveau et les acquisitions initiales des élèves : une évaluation diagnostique. Cette activité peut prendre plusieurs formes : l’exercice sur ardoise avec une correction collective est par exemple un bon moyen de juger rapidement du niveau des élèves et immédiatement cibler ceux ayant des difficultés comme ceux ayant au contraire des facilités.
- Mettre en place des groupes de besoin préalablement conçus suite à l’évaluation diagnostique, avec plusieurs façons possibles de procéder : rassembler les élèves par niveau homogène, c’est à dire laisser les plus habiles en autonomie et être auprès des élèves plus fragiles en les guidant pas à pas. Nous pouvons également partir sur des groupes hétérogènes, où les élèves ayant des facilités peuvent servir de tuteurs aux autres.
- Bien reformuler la consigne et vérifier qu’elle a été comprise de tous, à travers l’active participation des élèves ou bien d’un exercice d’exemple au tableau en collectif.
Avec ces méthodes désormais en place au sein de nos classes, nous avons remarqué une réelle différence quant à l’accessibilité des élèves face à des exercices similaires, mais notre travail de recherche ne s’arrête pas là et ne fait que s’accroître à mesure que nous multiplions nos expériences jour après jour. De ces pistes ressortent principalement l’importance de bien connaître ses élèves pour cerner leur niveau et proposer des activités leur étant adaptées, ainsi qu’une préparation solide et anticipatrice sur chaque détail composant la séance.
7. Prendre parti
Quelques mois plus tard, notre regard de l’élève, il n’y a pas si longtemps teinté d’a priori, est aujourd’hui ouvert à toutes les surprises. Notre positionnement a évolué, notre expérience s’est enrichie d’essais, de tentatives parfois innovantes, d’autres éprouvées.
Nous évitons de démarrer une nouvelle notion en suivant le déroulé préconisé par le manuel, ou sans avoir au préalable prévu les écueils auxquels nous risquerions d’être confronté.e.s. Il se peut que cela arrive encore, la perfection n’étant pas de ce monde, mais nous y sommes maintenant préparé.e.s.
Dès lors, nous avons pu explorer quelques pistes :
- Penser nos progressions comme des briques liées les unes aux autres, pour fortifier l’édifice. Les inclure dans notre programmation en bâtissant une progressivité réfléchie.
- Préparer nos séances en gardant à l’esprit le possible écart qui mettra en péril le fragile équilibre que nous aurons tenté d’instaurer.
- Toujours prévoir un plan B, une porte de sortie. Accepter de remettre à plus tard, de reporter. Mais proposer dans ce cas une activité constructive, et toujours dans le cadre d’apprentissages précis.
- Mieux évaluer l’acquisition des prérequis.
Pour éviter que se reproduise une telle situation, nous avons apporté un regard particulier à notre cahier journal. Le découpage de la présence de l’enseignant.e avec tel ou tel groupe se faisant plus précis, dans un pas de cinq minutes environ. Les écarts et dérapages sont anticipés au maximum, et des activités palliatives ou complémentaires sont souvent prévues. Même si l’on ne peut que rarement se tenir à un emploi du temps quasi militaire, les glissements sont aujourd’hui mieux maîtrisés.
Les préconisations des manuels ne sont considérées qu’à titre purement informatif, car nous avons dû nous adapter à notre classe.
Quand le manuel prévoit une séquence de découverte d’une dizaine de minutes, si cela nous semble illusoire, nous adaptons nos prévisions en fonction.
C’est ainsi qu’il nous arrive fréquemment de prévoir trois séances au lieu de deux. Ou alors de concevoir notre propre situation de découverte. En clair, nous nous sommes détaché.e.s des manuels, ce que seule l’expérience permet. Trois semaines après la rentrée, cela aurait été presque impossible.
Ces quelques mois nous auront permis également de mieux connaître les élèves et leurs difficultés. Les évaluations de début d’année ne nous ont que peu servi. Trop imprécises, mal analysées, elles ne nous permettaient pas le regard détaillé que nous ont apporté six mois passés au contact de nos élèves. Il nous faudra donc envisager d’autres supports à la rentrée prochaine.
Avec le recul, nous pensons qu’évaluer les élèves en début d’année est une gageure. Deux mois de vacances ont un effet désastreux sur les apprentissages, et ces évaluations, groupées, traitant de tous les sujets, donnent une image biaisée du niveau réel de l’élève. Par ailleurs, l’on s’est également rendu compte à quel point les notions sont interconnectées, les unes réactivant parfois les autres.
Nous pensons donc que, plus qu’une série d’évaluations diagnostiques en début d’année, il nous faudrait envisager une méthode d’évaluation des prérequis au long cours. Donc un usage de l’évaluation formative et formatrice (qui suppose que l’élève puisse se saisir des retours bienveillants et constructifs de l’enseignant)
Nous connaissons donc mieux les élèves aujourd’hui. C’est ainsi qu’en préparant une séquence, nous avons à l’esprit celui qui ne maîtrisera pas les acquis des années précédentes, celui qu’il faudra accompagner en particulier. Nous avons à l’esprit le rapport à l’apprentissage des uns et des autres, et avons choisi d’utiliser ces différences pour optimiser notre différenciation.
Nous avons tenté plusieurs dispositions de classe, nous heurtant régulièrement à des problèmes de discipline, et peinant à trouver la disposition nous permettant un travail collectif et individuel efficaces.
Mais dans un dernier élan, c’est une disposition en îlots que nous avons privilégiée.
Ainsi, les activités mises en place pour différencier les modalités d’apprentissage, favoriser la mise en autonomie, auront été facilitées. Selon la notion travaillée, nous pouvons aisément moduler les groupes et choisir de faire travailler les élèves par niveau de difficulté ou dans des groupes hétérogènes pour favoriser un tutorat que nous avons progressivement mis en place avec les éléments moteurs de la classe. Il n’est pas rare que certains CE2 travaillent avec des CM1 par exemple.
Sans que cela paraisse une solution miracle, elle fonctionne dans notre classe, et elle permet une ambiance de travail apaisée et productrice de résultats. Il aura donc fallu accepter d’abattre les murs invisibles que nous imposait, au début de l’année, ce double niveau. Bien entendu, tout n’est pas partageable, mais les modalités de travail le sont totalement, les outils en grande partie. Les élèves, et leur professeur, ont compris qu’une classe en double niveau impose autonomie et rigueur, mais qu’elle permet également partage et coopération.
Bien entendu, d’autres solutions pourraient s’imposer à nous. Nous aurions pu mettre en place des séances de remédiation pour les plus fragiles. Nous avons tenté de le faire, avec plus ou moins de succès. Mais nous nous sommes rendus compte qu’en diversifiant les situations d’exercices, de façon plus ludique, en misant sur la coopération entre élèves au travers de jeux divers (défi dico, lotophones, mistigiri, trivial maths, etc.), nous semblions gagner en efficacité. Cette méthode est encore en observation, et ce qui fonctionne avec nos élèves ne fonctionnerait peut-être pas dans une autre classe. Mais n’est-ce pas ça, justement, différencier ?
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