L’accueil d’un stagiaire par un tuteur

Résumé

Une enseignante-stagiaire en lycée se heurte à l’absence de collaboration entre les collègues de la filière ST2S et se trouve en décalage entre ce qu’elle vit sur le terrain et ce à quoi elle est formée à l’ESPE (ex-INSPÉ)

1. La situation

La situation décrite s’inscrit dans l’année de stagiairisation en lycée professionnel d’une enseignante stagiaire de STMS (Sciences et Techniques Médico-Sociales).

Détour sur le contexte professionnel en lien avec la situation choisie

Arrivée au lycée cette année, la professeure stagiaire se sent inexpérimentée. Professionnelle de santé, elle exerce le métier d’infirmière depuis plus de 20 ans. Comme ce métier la motive vivement, elle a décidé de transmettre ses savoirs et savoir-faires à travers l’enseignement en Lycée professionnel. Dans sa carrière, elle n’avait jamais été confrontée à une classe d’adolescents.

À la rentrée, elle devait mener des actions dont elle avait peu de pratique, voire aucun savoir-faire : rédiger des cours, organiser des séquences, trouver des activités pédagogiques afin de faire passer des connaissances auprès de son public d’adolescents. Elle prépare ses cours comme elle l’imagine devoir le faire, à partir de ses représentations des besoins des élèves et du métier d’enseignante, ainsi que du référentiel et des instructions officielles.

Affectée dans un lycée professionnel, elle a en charge deux classes (une de Première, une de Terminale) en lien avec deux équipes pédagogiques distinctes. Son intégration se passe bien. Elle n’est présente sur le lycée que les lundis et les vendredis. Elle ne bénéficie cependant pas de retours de ses collègues, que ce soit sur la manière de monter et donner un cours. Sa tutrice a assisté une fois à ses cours.

Sa tutrice est la professeure de Pôle 1 (Biologie – Microbiologie appliquées/ Ergonomie et soins) de l’équipe de Terminale mais elle a peu de temps à lui consacrer. Elle a du mal à fixer des rendez-vous avec la stagiaire, quand elle ne les annule pas. Elle préfère échanger par mail mais ne répond pas non plus toujours aux messages mails. D’ailleurs, cette tutrice lui a exprimé clairement en début d’année qu’elle n’avait pas choisi ce tutorat.

Dans l’établissement de la nouvelle enseignante, il s’avère que le proviseur est très investi auprès des professeurs stagiaires, notamment en organisant des réunions avec l’ensemble des stagiaires. A cette occasion, il propose par exemple des cas concrets et le groupe réfléchit aux réactions et aux droits et devoirs des enseignants. C’est un moment appréciable pour les stagiaires, mais cela n’apparaît pas suffisant pour dépasser la situation de blocage décrite ici.

Peu à peu, la professeure stagiaire découvre grâce à l’ESPE des processus, des méthodes, du vocabulaire et des approches théoriques qu’elle ne connaissait pas précisément : construire des progressions, avoir des contextes détaillés et utiles pour les cours, travailler en équipe, rédiger des fiches synoptiques. La professeure a cependant le sentiment d’un écart entre la pratique de terrain et les apports de l’ESPE. Alors qu’il est demandé en Sciences et techniques médico-sociales que les équipes travaillent ensemble autour de trois pôles et échangent entre elles, ce qu’elle vit sur le terrain est différent. En effet, la professeure stagiaire fait différents constats qui ne collent pas à l’idéal de fonctionnement et de pratique exposés à l’ESPE : les deux équipes de matières professionnelles (celle de la classe de terminale et celle de la classe de première) ne fonctionnent pas de la même manière, et dans les deux cas, les contextes professionnels sont succincts et les progressions sont embryonnaires. À l’ESPE, il est aussi demandé de travailler par compétences. Or là encore, elle réalise que ce n’est pas ce qu’elle vit

sur le terrain : le travail sur les connaissances se fait dans son Lycée sous forme de chapitres, plutôt que par séquences et séances visant à atteindre des compétences.

Elle décrit cette situation comme « une réalité bancale ». Elle signifie par-là un décalage, auquel s’ajoute une gestion de classe où elle doit faire face à beaucoup de bavardages. Quand elle en parle à ses collègues, ils lui proposent de mettre en place des punitions. Or, elle s’interroge sur l’intérêt de ces punitions et souhaiterait asseoir son autorité d’une autre manière. De plus, une de ses collègues de l’équipe de la classe de Première lui rapporte ponctuellement ce que disent les élèves sur elle. Elle lui donne aussi des informations sur sa pratique professionnelle telles que : « Tu as du mal à gérer ta classe », « Tu as commencé ce chapitre alors que tu n’as pas fini l’autre ». Cela génère du stress pour la stagiaire nouvelle recrue qui aimerait des conseils plus opérationnels et bienveillants.

La situation choisie pour l’analyse

Au retour des vacances de Toussaint, dans ce contexte de démarrage difficile, l’organisation et la construction des cours semblent plus claires pour la stagiaire. Elle aimerait maintenant mettre plus de cohérence dans ses cours par rapport à ceux des autres collègues et pour cela, elle souhaite voir ses collègues pour qu’ils lui donnent des renseignements sur leurs avancées dans leurs cours.

En particulier, elle demande à la professeure de Pôle 2 (Sciences Médico-Sociales / Animation) de lui transmettre sa progression. Cette enseignante s’agace vivement, disant qu’elle a déjà envoyé des mails avec la liste ordonnée de ses cours. La stagiaire comprend que sa collègue ne fait a priori pas de différence entre cette liste et une progression par contexte. Comme elle a besoin de ces documents pour justifier ses choix pédagogiques auprès de l’ESPE, elle est embarrassée et ne sait pas comment obtenir ce qu’elle veut. Elle se remet en cause, et a l’impression de ne rien maîtriser. Le stress et la fatigue s’accumulent.

La stagiaire décide alors de demander la progression à la professeure de Pôle 3 (Nutrition – alimentation / Services à l’usager), sachant qu’en théorie les progressions doivent s’articuler les unes aux autres, dans un contexte professionnel partagé collectivement et identique pour les trois progressions1Dans le cadre du baccalauréat ASSP, le référentiel des matières professionnelles se décline autour des trois pôles de matières professionnelles. Afin de travailler les différentes compétences et savoirs associés, ces matières s’articulent autour de contextes, situations professionnelles qui doivent être élaborées en équipe et sur les 3 années. C’est pour cette raison qu’une progression est élaborée pour que chacun puisse travailler en cohérence. Et chaque membre de l’équipe est sensé connaître cette progression. Ainsi les élèves peuvent avoir une vision plus globale et transversale des notions apportées, cela donne plus de sens aux apprentissages.. L’enseignante de Pôle 3 lui dit qu’elle a une progression pour son propre pôle qu’elle lui fera suivre. Cependant, la stagiaire découvre que le contexte choisi en Pôle 3 ne fonctionne pas avec ses séances de Pôle 1, ni avec les séances de Pôle 2. La raison clairement exprimée par la professeure de Pôle 3 est qu’elle éprouve des difficultés de travail en collaboration avec la collègue de Pôle 2.

Pourquoi le choix de cette situation

Cette situation, quoique complexe, nous convient à nous trois enseignants-stagiaires car elle peut faire écho à chacun de nous dans notre quotidien et un de nous a déjà vécu des difficultés de cet ordre en tant que contractuel.

2. Les questions que pose la situation 

La situation semble témoigner d’un manque de coordination et de coopération au sein de l’équipe et amène le groupe à envisager la problématique principale suivante : comment répondre aux exigences pédagogiques de l’inspection académique quand il y a un dysfonctionnement d’équipe ?

Comment instaurer les bonnes conditions d’un travail en équipe ? Celui-ci doit s’appuyer sur une relation de confiance, le partage des idées et une empathie dans les difficultés. Si les conditions pour cela ne sont pas réunies, comment y pallier ?

Le fait qu’une collègue émette des remarques non constructives sur la pratique de la stagiaire, et qu’elle rapporte les propos des élèves, est un indicateur selon nous d’une absence de cohésion dans les équipes du lycée concerné. Les problèmes d’autorité vécus par la stagiaire ne sont-ils pas liés non seulement au manque d’expérience individuelle, mais aussi au manque de cohésion ? En d’autres termes, la gouvernance des équipes a-t-elle un effet sur le comportement des élèves ainsi que sur le sentiment d’absence de compétences des enseignants ?

Construire une progression et des cours sans travail collectif en équipe atteste d’un manque de collaboration et de confiance entre collègues. La situation énoncée montre les ajustements pédagogiques individuels réalisés à cause de dysfonctionnements du collectif, au risque de perdre du temps et de la cohérence dans les enseignements de chacun. La situation soulève donc la question de la gestion individuelle de ses cours quand il manque une coordination et une coopération au sein d’une équipe.

Ces questions ont selon nous des répercussions à d’autres niveaux :

  • Comment un tuteur peut-il jouer son rôle dans un contexte dysfonctionnel et/ou s’il est lui- même impliqué (directement ou indirectement) ?
  • Quel est le positionnement de la direction ? Se rend elle compte des enjeux en cours ? Comme on le voit dans la situation, le travail d’intégration des stagiaires mené par le directeur est-il là pour pallier aux dysfonctionnements ? En d’autres termes, ce travail serait-il mis en place s’il y avait un bon fonctionnement d’équipe ?
  • Cette situation interroge enfin l’intégration d’un professeur stagiaire fonctionnaire dans un nouveau contexte professionnel et au sein d’une administration. La situation pose donc une question importante : comment assurer sa mission quand le cadre et la gouvernance ne fonctionnent pas ? Comment répondre aux directives quand le contexte collectif est bloquant ?

3. Dimension réglementaire

La situation décrite ici fait référence au cadre réglementaire des compétences des professeurs (arrêté du 1-7-2013 – J.O. du 18-7-2013 – « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation »). Dans l’annexe de cet arrêté, la compétence 10 indique « Coopérer au sein d’une équipe » avec les éléments suivants:

  • « Inscrire son intervention dans un cadre collectif, au service de la complémentarité et de la continuité des enseignements comme des actions éducatives.
  • Collaborer à la définition des objectifs et à leur évaluation.
  • Participer à la conception et à la mise en œuvre de projets collectifs, notamment, en coopération avec les psychologues scolaires ou les conseillers d’orientation psychologues, le parcours d’information et d’orientation proposé à tous les élèves. »

La situation renvoie sans doute aussi pour partie aux textes sur les instances de médiation au service des enseignants (stagiaires – mais pas seulement). Ainsi, quels sont les cadres préservés où le jeune professeur stagiaire peut parler à un référent sans être pénalisé pour son avenir professionnel ? C’est certainement l’un des rôles de l’ESPE et de cette année de formation. Nous n’avons pas trouvé de textes allant dans ce sens. La situation fait aussi référence au tutorat, imposé dans les textes. Une lettre ministérielle (Lettre ministérielle n°14-0340 du 21 octobre2014 -34) rappelle l’intérêt et la nécessité d’un tutorat bien mené et souligne que les modalités sont encore en cours de test et des améliorations sont apportées régulièrement. Dans les établissements scolaires du second degré, le tutorat est une forme d’accompagnement destiné à des professeurs débutants ou à des professeurs qui ressentent le besoin, à un moment de leur carrière, de recourir à ce dispositif. La situation décrite ici soulève la difficulté d’un tutorat dans un contexte de management d’équipe plutôt dysfonctionnel. Un tuteur non motivé ou trop impliqué dans des conflits internes ne peut jouer pleinement son rôle (on renvoie les lecteurs au rapport n°2015-044 de l’IGAENR, Tutorat des futurs enseignants et conseillers principaux d’éducation2Disponible à ce lien : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/154000749.pdf.)

Dans les textes, ce qui caractérise aussi les lycées professionnels, c’est le travail en projet. Ce mode de fonctionnement nécessite un travail d’équipe entre les différents membres de l’équipe pédagogique. Ainsi peut-on voir dans la refondation de l’éducation prioritaire (circulaire du 04.06.14. BO du 5 juin 2005) que des dispositifs sont mis en place afin de libérer du temps pour que les professeurs puissent se consacrer à des missions plus larges comme la collaboration entre collègues pour travailler, se former ensemble, mieux suivre les élèves.

Le ministre rappelle la nécessité de développer le tutorat dans la formation des enseignants comme le montre cet article de presse du Journal La Croix:

« Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer ont dévoilé jeudi 2 août 2018, les principaux axes de la réforme de l’Éducation nationale, initiée dans le cadre d’une réforme globale de la sphère publique. Ces mesures s’inscrivent dans la réforme de la fonction publique initiée par le Premier ministre, qui ambitionne de réaliser 30 milliards d’euros d’économie d’ici 2022. Le premier axe de cette réforme porte sur la formation initiale des professeurs, qui, à l’heure actuelle, « ne nous donne pas satisfaction », a expliqué le ministre. Il s’agit de développer le tutorat des futurs enseignants et de leur permettre d’échanger avec « des enseignants qui sont eux-mêmes au contact des élèves », a-t-il précisé. »

4. Ce qu’en disent des collègue

Au cours d’une douzaine d’entretiens informels avec des collègues titulaires et des contractuels, tous sans exception condamnent ce comportement où on évite le travail en équipe ; ils reconnaissent toutefois le côté parfois solitaire de notre métier. Certains ont des propos mesurés vis-à-vis des anciens collègues ; pour eux, ces collègues expérimentés peuvent parfois se passer de progression. D’autres parmi les collègues interrogés trouvent au contraire indispensable la construction d’une progression surtout dans une situation de dysfonctionnement. Cela a fait écho avec un entretien que nous avons eu à la rentrée avec un proviseur adjoint qui nous a dit qu’il fallait au minimum cinq ans pour devenir professionnel et pouvoir se passer d’une progression.

Une collègue de pôle professionnel pense néanmoins que cela arrange bon nombre de professeurs de travailler seul, « pour s’organiser à leur guise, et rester le moins longtemps possible au lycée ». Ces professeurs tendent à repousser les demandes de leurs collègues pour faire une progression commune, des projets pédagogiques en commun, etc. Mais, nous dit cette collègue « par rapport aux exigences du rectorat, ils risquent d’avoir des problèmes le jour de l’inspection ».

Une formatrice de l’ESPE ainsi qu’une collègue expérimentée ont aussi exprimé leur surprise sur le fait que la professeure stagiaire se voit confier une classe de Terminale alors qu’elle n’a pas l’expérience nécessaire pour organiser des CCF (Contrôles en Cours de Formation). Le fait d’avoir deux classes différentes sur « un demi-pôle » n’est pas non plus une situation normale pour organiser ses cours efficacement et de manière logique. En effet, en STMS, pour des raisons de cohérence de prise en charge d’un usager, la majorité des professeurs de matière professionnelle interviennent sur un pôle entier (ex. le pôle 1 englobant la Biologie-Microbiologie appliquées mais aussi les techniques professionnelles de soins et ergonomie).

Lors des entretiens, il apparaît que la relation tuteur-stagiaire est un peu paradoxale étant donné que le tuteur est à la fois un collègue de travail et aussi une personne susceptible d’influer sur notre titularisation. Certains tuteurs sont bien conscients de la double casquette qui est parfois difficile à porter et se veulent donc plus vigilants avec les collègues stagiaires. Un problème apparaît quand ces collègues ne veulent pas être tuteurs pour diverses raisons et que l’administration leur impose. Concernant le manque d’encadrement par un tuteur un enseignant syndiqué explique. : « le tuteur est payé en supplément pour accompagner le stagiaire, il doit le faire avec le maximum de moyens dont il dispose. Si le tuteur ne peut pas ou ne veut pas s’engager, il faut qu’il l’exprime dès le départ au rectorat ». Pour ce collègue, l’enseignant stagiaire peut aussi signaler le problème du manque d’encadrement à son inspecteur.

Concernant les propos rapportés des élèves, cette situation est loin d’être isolée et beaucoup de collègues sont concernés. Cela arrive notamment lors de l’approche des conseils des classes où certains collègues ayant la fonction de professeur principal demandent l’avis des élèves sur les autres disciplines. Toutes les personnes interrogées condamnent cette démarche en tenant parfois les propos suivants : « il ne faut jamais écouter ce que les élèves racontent », « au contraire, il faut avoir la démarche inverse et demander ce que les collègues pensent sur la classe ». Une collègue a même soulevé son cas : elle a vécu une intégration infernale lors de sa première année dans un lycée professionnel. Cette année-là, la professeure principale a jugé bon d’écouter les élèves, juste parce qu’elle ne connaissait pas la nouvelle recrue. Celle-ci a alors passé une année horrible où son autorité a été réduite à néant, allant jusqu’à être insultée par les élèves.

La relation interprofessionnelle apparaît complexe, avec des approches variées parmi les personnes enquêtées, certains souhaitant travailler seuls, d’autres réclamant le travail collaboratif. Le partenariat entre enseignants semble être dépendant de règles internes à l’établissement, mais aussi de l’existence de certains clans, certaines jalousies, certaines prises de pouvoir. La liberté pédagogique a longtemps été mise en avant, mais aujourd’hui le travail collaboratif est au cœur de la discussion pédagogique et des injonctions institutionnelles. Les enseignants même expérimentés peuvent être dépassés par les changements de paradigmes (ex. l’arrivée du paradigme de l’accompagnement qui remplace l’approche directive qui a longtemps prévalu). Ils peuvent être aussi réfractaires à toute évolution. Le travail collaboratif semble pourtant dans l’intérêt de tous, enseignants, stagiaires et élèves.

Il en va de même dans le rapport aux élèves, avec d’un côté les enquêtés qui les « croient », de l’autre ceux qui « se positionnent contre ». Des collègues sont plus nuancés : « les choses ne sont jamais si simples, blanches ou noires ». Il semblerait important de travailler sur une communication apaisée et bienveillante, où la parole de chacun peut être accueillie, entendue.

Au final, ce qui ressort de ces entretiens est :

  • le défaut de communication et de coopération. Comment celles-ci pourraient être mise en place de manière efficiente ?
  • le conflit de représentations sur le métier d’enseignant entre collègues ;
  • la difficulté d’articuler approche collective et besoins individuels dans les équipes ;
  • la complexité du management d’une équipe enseignante et de la gouvernance d’un lycée (avec de forts écarts entre lycées).

5. Les ressources universitaires

« Les meilleures conditions d’apprentissage possibles sont plutôt rencontrées lorsque les enseignants travaillent ensemble et s’entraident » analyse Pasi Sahlberg, un expert finlandais, professeur à Harvard, dans un magazine québécois3http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/05/06052016Article635981140450601730.aspx.

En France, lorsque nous regardons les études, le travail collaboratif n’est pas au centre des préoccupations. Par exemple, les résultats de Talis, une enquête de 2014 de l’OCDE pointe la faiblesse du travail d’équipe dans le système éducatif français : « Plus que les autres, le professeur français ne s’engage jamais dans des conférences d’équipe. Plus que les autres, il ne collabore pas avec d’autres enseignants. Il observe beaucoup moins souvent que les autres un collègue travailler en classe. Il fait beaucoup plus rarement cours avec un autre enseignant. »4https://read.oecd-ilibrary.org/education/guide-talis-2013-a-l-intention-des-enseignants_9789264216143-fr#page14

À travers ce document, il est mis en évidence que les enseignants en France ont peu la culture du travail d’équipe. En effet, chaque enseignement est divisé et lorsque le professeur pénètre dans sa classe, il se retrouve seul face aux élèves. Il est rare que quelqu’un vienne observer le cours d’un collègue sauf à l’occasion des inspections où l’enseignant est observé. Les chiffres sont sans appel. Environ 79% des enseignants du premier cycle du secondaire déclarent « ne jamais observer le travail d’autres enseignants en classe et ne jamais le commenter ». Sur un classement de 32 pays, la France se classe à la 29e place des pays où les enseignants sont peu coopératifs. Il n’y a que l’Islande et l’Espagne qui font pire que la France avec des taux qui sont respectivement de 81% et de 87%. On retrouve en tête de ce classement, des pays comme la Corée, le Japon ou encore l’Angleterre.

François Jarraud5http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/05/06052016Article635981140450601730.aspx s’interroge : « Au lycée, les TPE ont été une première tentative d’introduire du travail d’équipe de façon très limitée. Au collège, la réforme avec les EPI cherche aussi à l’introduire et va dans le sens de P Sahlberg. Mais cette méthode qui impose le travail d’équipe sans lui donner les moyens de fonctionner est-elle la meilleure ? A voir »

M. Gather Thurler et P. Perrenoud6Gather Thurler, M & Perrenoud, P. (2005). Coopération entre enseignants : la formation initiale doit-elle devancer les pratiques ? Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Université de Genève parlent également de coopération entre enseignants. Ils remarquent que cette coopération ne va pas de soi même si elle est beaucoup évoquée. Pourtant elle est essentielle pour faire face à l’hétérogénéité des élèves. Ils soulignent la difficulté pour les professeurs stagiaires de se positionner dans un environnement parfois individualiste, parfois électifs. Ils expliquent : « Il est donc important de développer chez les futurs enseignants les compétences indispensables pour qu’ils affrontent la coopération professionnelle en connaissance de cause, armés d’un certain nombre de concepts et d’outils pour faire évoluer la dynamique de groupe dans le bon sens, pour apprendre à gérer les émotions qui vont de pair avec chaque aventure collective. »7www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2005/2005_13.html

Sylvie Moussay et Jacques Méard affirment que le tutorat en tant qu’outil peut aider à réformer la formation professionnelle des futurs enseignants et à impulser le changement dans une perspective d’amélioration de la qualité de l’expérience de l’enseignant stagiaire8S Moussay et J Méard, « A quoi sert le tutorat dans la formation des enseignants ? ” Le ” ou ” les ” tutorats ? » In Marc Cizeron et Nathalie Gal-Petitfaux. Analyse de pratiques : expérience et gestes professionnels, Presses Universitaires Blaise Pascal, pp.111-120, 2010. <hal-00835208>. Ces auteurs soulignent « la nécessité de revisiter le tutorat à la lumière de nouvelles approches théoriques (les théories socioculturelles) et de nouvelles problématiques de formation, notamment la conception de l’apprentissage des savoirs défendue par l’approche socio-culturelle ». Pour eux « un autre challenge de la formation professionnelle des enseignants est posé en ces termes : en quoi les relations tutorales peuvent être un élément fort de la formation des enseignants ? Quelles sont les activités au sein du tutorat qui facilitent le développement professionnel du stagiaire ? » L’analyse des travaux de recherche récents sur le tutorat permet donc avec ces auteurs d’envisager une approche de la formation professionnelle à partir d’expériences en classe analysées et de savoir-faire discutés, négociés et donc soumis à des accords ou désaccords entre le stagiaire et d’autres interlocuteurs comme ses collègues, le tuteur et les élèves.

6. Pistes de résolution de la situation

Au vu de ces documents, la question du tutorat semble sensible. En effet, face à la formation de nouveaux professeurs, coopérer entre pairs est essentielle. Pourtant les enseignants en France n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, de partager des temps pour construire des projets, des actions communes, ou simplement montrer comment ils enseignent, ne serait-ce que pour partager leur expertise. Or tout porte à croire que la coopération serait positive pour la prise en charge de l’hétérogénéité des élèves mais également pour avoir une formation de qualité des jeunes professeurs. Pour éviter que le tutorat ne cloisonne, il est important que le professeur stagiaire n’ait pas que pour seul interlocuteur son tuteur mais puisse trouver différentes ressources au sein d’une institution, par exemple l’ESPE, et auprès de ses différents collègues.

Il serait aussi possible de travailler au sein de l’établissement pour avoir un temps imparti, dédié à des réunions d’équipes. Enfin, pour favoriser la coopération, la mise en place d’ateliers d’Analyses Réflexives de Pratiques Professionnelles donnerait l’occasion au stagiaire de s’exprimer, d’échanger sur ses difficultés, sans risquer le jugement et de trouver des pistes de résolution auprès de ses pairs.

7. Prendre parti

Nous nous sommes intéressés à l’intégration des nouveaux stagiaires, et avons interrogé plus spécifiquement la place du tutorat. La situation que nous avons analysée est complexe car elle touche au management des équipes avec des enjeux à différentes échelles.

Sur un plan institutionnel, le tutorat est une question importante, en cours de développement et de test dans l’éducation nationale française. Il est évident que le stagiaire n’a pas la main pour agir à cette échelle, cela le dépasse. Notons cependant que pour un bon fonctionnement de la relation tuteur- stagiaire et de la formation, des savoir-être doivent être développés. Il semble que cela nécessite, en France, de faire évoluer la culture du travail collectif, très peu développée d’après non seulement les résultats de nos recherches, et aussi d’après les expériences vécues et analysées dans notre enquête qualitative. A minima, le stagiaire a comme responsabilité de s’informer et de se préparer pour faire face à des problèmes liés à un manque de coopération.

À l’échelle de l’ensemble des équipes, notre étude interroge le rôle du chef d’établissement. À travers nos recherches, nous avons pu voir des solutions dans des zones prioritaires : l’intégration passe par donner aux équipes du temps pour coopérer, réfléchir ensemble, progresser, se former. Si des dispositifs facilitants sont mis en place dans des zones REP, dans les autres lycées cela relève d’une volonté du chef d’établissement de permettre une meilleure coordination. Une des actions possibles pour le stagiaire est de solliciter l’aide du proviseur et d’être force de proposition de modalités d’interactions dans les équipes. Si cela est envisageable pour des stagiaires ayant de l’expérience, c’est bien plus difficile pour un débutant.

À l’échelle des relations interpersonnelles, le tuteur doit pouvoir être en mesure de partager, présenter sa propre pratique, être critique face au travail de son stagiaire mais également face à son propre travail. De son côté, le stagiaire qui a en responsabilité une classe, peut trouver sa position difficile. Parfois il sera considéré lui-même comme un étudiant voire un élève, parfois il se sentira légitime devant sa classe. Et en même temps, il lui manque de nombreuses clés afin d’être efficient. Le stagiaire peut s’appuyer sur des dynamiques intégratives de groupe où chacun peut apporter son expertise, sa vision du métier. Cela pourrait ouvrir différentes possibilités au futur professeur et lui montrer que sa liberté pédagogique existe et qu’elle peut se nourrir des richesses de ses différents collègues. La co- intervention semble aussi une piste intéressante pour ouvrir une dynamique pour un travail en équipe plus régulier. Cela peut donner davantage de sens dans les apprentissages des élèves, en montrant les liens entre les différentes disciplines. Et l’association des professeurs pour monter des séances peut également apporter des pistes, de nouvelles notions au professeur stagiaire. Cependant, ces pistes ne dépendent pas uniquement du stagiaire et l’on perçoit nettement que le management des équipes et les motivations de chacun sont des leviers majeurs de réussite.

Enfin, nous avons aussi vu l’importance des motivations individuelles, en particulier de celle d’un tuteur dont on a forcé un peu la main pour assurer l’accompagnement d’un collègue. Une solution alternative, mais insatisfaisante, à l’absence de volonté d’un tuteur serait l’accès à des banques de

données pour construire des cours ou faire face à des gestions de classe nouvelles. Il est possible d’aller sur Internet pour trouver des informations, mais le fait qu’elles soient validées dans un contexte institutionnel serait plus rassurant. Il existe déjà des sites des différentes académies mais leur nombre et leurs interfaces sont si variés que le stagiaire peut finir parfois par s’y perdre.

En perspective, il nous semble intéressant de pointer que ce travail a été pour nous riche et intéressant car, au-delà des résultats synthétisés ci-dessus, il nous a servi de miroir. Nous avons finalement expérimenté notre sujet « le travail en équipe » dans notre trinôme : comment nous mettre d’accord, partager les tâches, articuler les recherches de chacun pour donner un sens collectif, confronter les différentes « cartes du monde » de chacun.

Au final, nous pouvons retenir les points clefs suivants pour la réussite d’un travail en équipe au regard de notre vécu et de notre recherche :

  • un appui de l’encadrement qui fixe les finalités et les attendus pour l’équipe, et la possibilité de faire appel à lui pour des ajustements ou des arbitrages ;
  • la définition d’un objet commun de travail ;
  • l’écoute et l’expression d’empathie les uns envers les autres pour comprendre les besoins et attentes de chacun ;
  • le partage des tâches avec des temps seuls et des retours en collectifs pour faire le point ;
  • un processus itératif d’améliorations par chacun dans la production d’un résultat commun.

Ces quelques clefs restent à tester pour l’accueil d’un stagiaire par un tuteur.

  • 1
    Dans le cadre du baccalauréat ASSP, le référentiel des matières professionnelles se décline autour des trois pôles de matières professionnelles. Afin de travailler les différentes compétences et savoirs associés, ces matières s’articulent autour de contextes, situations professionnelles qui doivent être élaborées en équipe et sur les 3 années. C’est pour cette raison qu’une progression est élaborée pour que chacun puisse travailler en cohérence. Et chaque membre de l’équipe est sensé connaître cette progression. Ainsi les élèves peuvent avoir une vision plus globale et transversale des notions apportées, cela donne plus de sens aux apprentissages.
  • 2
  • 3
  • 4
    https://read.oecd-ilibrary.org/education/guide-talis-2013-a-l-intention-des-enseignants_9789264216143-fr#page14
  • 5
  • 6
    Gather Thurler, M & Perrenoud, P. (2005). Coopération entre enseignants : la formation initiale doit-elle devancer les pratiques ? Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Université de Genève
  • 7
    www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2005/2005_13.html
  • 8
    S Moussay et J Méard, « A quoi sert le tutorat dans la formation des enseignants ? ” Le ” ou ” les ” tutorats ? » In Marc Cizeron et Nathalie Gal-Petitfaux. Analyse de pratiques : expérience et gestes professionnels, Presses Universitaires Blaise Pascal, pp.111-120, 2010. <hal-00835208>
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