Les clés du langage entre lycéens et professeurs

CONDITIONS DE PRODUCTION

Le récit et l’analyse de cette situation ont été produits par un groupe de 3 professeur.e.s-stagiaires en 2015-2016. Ils/elles ont été accompagné.e.s par un formateur durant 4 séances de 3h durant lesquelles ils ont pu bénéficier de ses remarques, questionnements et conseils. La production qui suit est une deuxième version c’est à dire que les stagiaires ont effectué quelques remaniements à partir de remarques formulées par la formatrice sur la première version.

0. Introduction

Depuis le début d’année, nous avons tous les trois été affectés dans des Lycées professionnels ou technologiques bien différents : des zones plus ou moins privilégiées, des publics hétérogènes dans lesquels les diversités d’origines sociales, ethniques, culturelles ne sont pas les mêmes, et des apprenants qui n’ont pas le même rapport à l’école et au savoir. Toutefois, bien qu’enseignant dans des cadres différents, nous avons tous les trois échangé sur une même difficulté : la question du langage et de la communication entre l’enseignant et l’élève.

Notre mission est de pouvoir transmettre un message, de communiquer avec un langage qu’ils connaissent, mais aussi de leur apprendre les mots inhérents à leur future profession.

L’éclectisme des origines fait que l’apprentissage prend toute sa dimension lors de la passation de mots nouveaux. La difficulté est qu’ils ne maîtrisent pas le vocabulaire technique, spécifique (propre à nos différentes disciplines), mais parfois aussi un vocabulaire plus général, de ce fait la compréhension des mots courants. Pour certains élèves, un mot utilisé de façon courante dans leur vie privée, n’a pas forcément le même sens dans la classe. Quand ils les connaissent, ils déforment parfois l’usage des mots, se les approprient, donnant parfois des résultats surprenants. C’est ce constat qui nous a d’abord paru intéressant à analyser sur la question du langage. Nous nous sommes alors penchés sur nos expériences de communication avec les élèves non-francophones, pour qui la difficulté semblait à nos yeux encore plus insurmontable. Dans certaines académies sont organisés des tests de connaissances pour accompagner ces élèves, comme les modules « FLER ». Suite à ces tests, des modules adaptés sont mis en place. Ils vont constituer une aide précieuse à l’évolution de l’élève. Certains modules concernent les mathématiques, la logique et la maitrise de la langue française, d’autres portent sur l’utilisation des TICE. Ces outils nous permettent de voir évoluer nos élèves. Mais leur pratique du français reste, pour certains, limitée.

Le langage : une réflexion à mener pour tous les enseignants

Toutefois nous nous sommes rendu compte que la difficulté ne concernait pas uniquement les élèves non-francophones. Nous nous sommes aperçus aussi que la question du langage ne devait pas être soulevée uniquement pour les élèves francophones issus de familles défavorisées. Même si elle ne doit évidemment pas être traitée de la même manière, la question concerne en effet les élèves de toutes origines sociales, et les enseignants de toutes les filières et disciplines : la question du langage est plus profonde, et prend sa source dans les différences de représentations qui existent, d’une manière générale, entre un enseignant et ses élèves, dans la différence de génération et de rapport au savoir.

Comment moduler le langage pour trouver les moyens de se comprendre ? Comment, à travers les différents langages, comprendre leurs représentations, et qu’ils comprennent les nôtres, pour un apprentissage efficace, et une relation sereine et bienveillante ?

1. Choix des situations

Situation 1

En classe de 1ère année de CAP Coiffure, les mots ont un sens très important. Le souci est de leur faire intégrer de nouvelles connaissances professionnelles avec leurs mots. Mais lorsque qu’on leur parle de séparations et de divisions, la difficulté grandit. En effet, pour réaliser une séparation, il faut créer des raies, il faut maitriser d’une part la dextérité et d’autre part la compréhension des termes. La démonstration est incontournable, les différentes tâches réflexives sont difficiles à mettre en place car l’élève ne comprend pas ces mots.

Pour un élève néophyte, une raie donne un sens à la coiffure, mais ne sert pas à séparer une chevelure. Pour la réalisation de celle-ci, on va parler de raies médianes, transversales, horizontales, verticales, obliques, diagonales avant, etc. Pour le mot médiane, une élève a commenté le mot en disant que c’était un prénom. Pour le mot horizontal, un élève a eu une idée brillante en se rappelant que la position horizontale était celle que nous avions quand nous dormons. Les mots vertical et transversal ont pour eux des connotations sexuelles.

Pour des élèves non francophones, il est plus facile de démontrer car ne comprenant pas l’ensemble des mots, ils vont mettre en place une stratégie de compréhension visuelle. La représentation d’une action se fait par mimétisme. Et l’élève non francophone, lui, apprendra le nouveau terme technique par cœur. N’ayant pas de base interactive, les mots gardent leur sens et sont intégrés dans l’action de la démarche.

Pour les élèves francophones, une représentation théâtrale et très imagée est nécessaire. Ils se rappelleront plus des mots qu’ils ne connaissent pas car ils ne l’auront pas détourné de son sens initial. Un exemple : un terme que personne ne connait, une paire de ciseaux est constituée de plusieurs parties, simples à retenir (anneaux, branches, lames…) mais lorsqu’on leur parle « d’entablure » les élèves sont surpris. En expliquant et en démontrant que c’est un axe qui regroupe l’ensemble du matériel, ils gardent une image concrète.

Lors de l’évaluation, le schéma de la paire de ciseaux était évalué et le seul terme qu’ils ont retenu était entablure. Les termes lames, branches, pointes ont été oubliés.

Situation 2

Analysons à présent une situation observée dans une classe d’élèves de 1ère en section technologique Arts-Appliqués (STD2A). Dans cette séance, il était question d’expérimentations autour de différents principes de pli. Dans un exercice, je faisais avec les élèves une liste de synonymes du mot « pli ». Lorsque je prononce le mot « sillon », un élève lève la main pour demander la signification de ce mot. Je tente quelques synonymes : rigole, tranchée, puis je précise comme j’en ai l’habitude avec une définition du dictionnaire :

« Empreinte de longueur et de profondeur variable creusée en forme de ligne, de rayure ». Je vois que l’élève n’est pas complètement satisfait de ma réponse, alors je tente de dessiner au tableau l’image que je me représentais d’un sillon, sous l’angle du concept « ligne en creux ». Il se contente de cette illustration par l’image, mais j’ai bien senti que ce qui l’a davantage éclairé pour saisir le sens du mot sillon, c’est l’intervention d’un autre élève qui s’est mis à lui dire : « c’est quand tu traces une ligne avec un bâton dans le sable sur la plage ». Je me suis dit qu’il y avait dans cette explication-là, non seulement une image, mais surtout un geste, une implication du corps, un contexte, un univers de références partagées et une narration à se représenter.

Situation 3

Les mathématiques enseignées en filière professionnelle sont des mathématiques appliquées. Elles restent abstraites et difficilement accessibles à notre public. En effet les concepts mathématiques que nous transmettons nécessitent une gymnastique intellectuelle que nos élèves ne sont pas habitués à exercer. Les observations et les expériences ne portent pas sur des objets physiques contrairement aux autres sciences mais sont complètement intellectuelles. C’est pourquoi nous devons intégrer les mathématiques dans un cadre concret lié à leur spécialité professionnelle, au sport ou à un objet (téléphone), évènement de leur vie quotidienne. Le langage va permettre de mettre en perspective la notion de mathématiques étudiée, à travers des situations concrètes. Les trois cas que je vais présenter ci-dessous concernent une classe de 1ère ELEEC (Electrotechnique, équipements, énergie et communicants).

Tout d’abord le premier cas porte sur le domaine de la géométrie et l’objectif de la séance était de définir et de caractériser un vecteur. Un élève ne comprenait pas ce nouveau mot (vecteur) que j’ai introduit vers le milieu de l’heure après l’avoir défini comme étant un segment de droite orienté. Il me demande de lui réexpliquer ce qu’est un vecteur. Je lui redonne la même définition pensant qu’il n’avait pas entendu correctement. Il me répond :

« Monsieur ce n’est pas en me répétant la même chose que je comprendrai mieux… ». J’essaie de lui apporter une autre définition mais je vois qu’il n’est pas très convaincu par celle-ci. Je demande alors à son voisin qui a compris la notion de lui expliquer avec ses mots à lui. Il a modélisé le vecteur par le déplacement de Ronaldo (footballeur du Real Madrid) sur un terrain de football. Cette définition a été très efficace. Il est important d’utiliser un vocabulaire et des exemples qui leur parlent. Demander à un camarade d’expliquer la chose non comprise présente différents intérêts. Tout d’abord, vérifier qu’il a lui-même bien compris la notion de mathématiques introduite, ensuite valoriser cet élève et enfin faire comprendre la notion à l’élève qui écoute avec des mots, des gestes et des dessins différents.

Ensuite le deuxième cas porte sur le domaine de l’analyse en mathématiques et l’objectif de la séance était de représenter la courbe d’une fonction polynôme du second degré (du type y=ax2+bx+c). Cette courbe peut-être soit en forme de “u “soit en forme de “n”. La forme dépend du signe du coefficient a de la fonction y=ax2+bx+c. Les élèves ne retenaient pas la connaissance suivante : lorsque le coefficient a est positif, la courbe a une forme en “u” et lorsque le coefficient est négatif, la courbe a une forme en “n”. Afin qu’ils puissent s’en souvenir, j’ai fini par imager une situation. J’ai assimilé la courbe (courbe en forme de “u”) à une jarre qu’on peut remplir : on peut boire de l’eau donc on reste en vie et c’est positif. A l’inverse lorsque l’on ne peut pas remplir la jarre (forme en “n”), on ne peut pas boire d’eau et on peut en mourir, donc c’est négatif. Souvent en mathématiques on demande aux élèves d’apprendre des connaissances (apprentissage théorique) qu’ils ont du mal à s’approprier car trop abstraites.

Enfin, le troisième et dernier cas porte également sur le domaine de l’analyse en mathématiques. Je faisais travailler un élève de seconde, pour lequel je suis le professeur référent, sur les notions de fonctions. Je lui demande d’exprimer une surface en fonction de x. L’élève prend sa calculatrice et commence à réfléchir en tapotant des valeurs. Je lui demande alors ce que signifie exprimer pour lui et il me répond qu’il n’en sait rien. Je lui précise que la calculatrice doit être utilisée lorsqu’on lui demande de calculer et je lui donne la définition mathématique du verbe exprimer.

2. Les problèmes que pose la situation 

Les différentes situations évoquées nous interrogent sur la question du langage comme outil de communication et compréhension dans la relation enseignant-élève et dans l’apprentissage. La question du langage et de la compréhension des mots de l’enseignant nous apparaît centrale, puisque dans une certaine mesure, elle détermine tout le reste, qu’il s’agisse de situation d’apprentissage théorique ou pratique, d’acquisition de savoir ou de savoir-faire.

Concernant l’OBJET : connaître un mot sans le comprendre

En ce qui concerne l’apprentissage théorique, l’élève a de toute évidence besoin de comprendre le vocabulaire du domaine de connaissances en question, c’est-à-dire non pas seulement de connaître et retenir un mot, mais de s’en saisir, d’apprendre à le réutiliser : pour les mots techniques et spécifiques à une discipline, souvent monosémiques, il s’agirait pour l’élève de comprendre à quel geste et quelle pratique il se réfère, et pourquoi c’est ce mot-là qui est utilisé. Pour les mots polysémiques du vocabulaire général, il s’agirait de pouvoir les associer à d’autres, et les conceptualiser pour pouvoir les placer dans un plus large réseau de sens et de représentations pour se les approprier. C’est ainsi que des connaissances acquises peuvent devenir un savoir, au sens d’un système d’informations que l’on transforme en matière à travailler, malaxer, modeler, pour réfléchir.

En ce qui concerne l’apprentissage pratique, le langage et la compréhension sont tout aussi déterminants. Certes l’élève peut comprendre en faisant, et apprendre des gestes que le corps appréhende, mais il a besoin, on l’a vu dans les situations évoquées, de comprendre les mots de la consigne, de communiquer avec l’enseignant.

D’une manière plus générale, les mots sont là aussi pour faire comprendre le sens de l’enseignement, l’enjeu, le bénéfice de chaque séance. Ainsi donc le langage a plusieurs rôles interdépendants, entre la compréhension de l’objet d’étude et de son intérêt, et la communication avec l’enseignant. Or, que se passe-t-il avec les mots ? Pourquoi ces outils de communication et de compréhension se présentent-ils parfois comme des bornes sur lesquelles enseignant et élève se cognent et s’acharnent sans se comprendre ?

Comprendre un mot, c’est saisir intellectuellement le rapport entre le signifiant (le mot) et le signifié, ce qu’il représente. C’est y avoir associé un faisceau d’évocations, d’images, de particules cognitives pour lui donner du sens.

Le problème, c’est que nous n’avons pas toujours le moyen de savoir si tout le monde a « compris », et de la même manière, tous les mots que nous utilisons dans la classe. Même si nous prenons soin, lors de l’introduction d’un nouveau mot (spécifique notamment), de le poser et de trouver différents moyens de l’expliquer, est-il évident qu’ils connaissent et comprennent déjà les mots utilisés pour l’expliquer ? Les définitions lexicales et les mots de “l’explication”, écrits ou prononcés, suffisent-ils pour métaboliser de nouveaux mots, au regard des différentes grilles de lecture et représentations de chacun des acteurs d’une classe ?

Concernant LE CADRE ET LE PROCESSUS : la gestion de l’hétérogénéité

La communication dans la relation enseignant-élève dépend du langage de l’enseignant et de la compréhension de l’élève. Un message qui passe mal, nous le voyons très vite en tant qu’enseignant. Parfois cette incompréhension se manifeste par le silence complet et les yeux grand ouverts lorsque l’ensemble des élèves sont touchés. La remédiation peut être faite avec des outils pédagogiques globaux (une vidéo, une présentation animée, un temps de débat…). Mais quand ça concerne un, deux ou trois élèves, ces solutions ne sont plus pertinentes. Comment rétablir la communication avec ces élèves sans en perdre d’autres ?

Etymologiquement, hétérogénéité vient du grec ancien et signifie « autre clan ». Il est défini comme « ensemble d’éléments disparates » dans le dictionnaire. Une classe hétérogène est un atout pour les élèves dont le niveau individuel est inférieur à celui de leur classe. En effet les élèves progressent plus s’ils sont dans une classe de bon niveau. Nous devons prendre en compte cette disparité d’élèves et engager des actions pour amener chaque élève à la réussite scolaire ou au moins à éviter le décrochage. Dans le bulletin officiel de 1999 il s’agit de « maîtriser l’hétérogénéité en tenant compte des besoins de chaque élève, de ses rythmes, de ses centres d’intérêt, de ses lacunes et de ses points forts ». Que peut-on mettre en place afin de s’adapter aux différences de nos élèves ? de répondre à un besoin personnalisé ? Comment le mettre en place ? avec quels élèves ?

Concernant LA POSTURE : comprendre sa didactique pour comprendre pourquoi « ils ne comprennent pas »

Lorsque les élèves ne comprennent pas les mots de l’enseignant, ils peuvent décrocher, et perdre confiance. La relation pédagogique repose pourtant sur une confiance minimale, qui fonde la sociabilité. Enseignant et élèves s’accordent mutuellement crédit, respect, souvent mêlé de crainte pour accepter tacitement le cadre de travail. Dans la relation pédagogique, la médiation de l’enseignant, au lieu d’être de nature intellectuelle comme dans l’ancien courant humaniste, est d’ordre affectif.

Quand bien même l’élève ose exprimer son désarroi lorsqu’il ne comprend pas le cours, il peut y avoir des situations où l’élève ne comprend toujours pas après plusieurs explications diversifiées du professeur. Il s’en dégage beaucoup de frustration des deux côtés : pour les élèves, mais aussi pour l’enseignant qui peut se sentir impuissant à ne pas comprendre lui- même ce que l’élève ne comprend pas. Deux sentiments peuvent naître chez l’élève : soit une dévalorisation de lui-même « je suis nul car je ne comprends pas », soit un ressentiment à l’égard du professeur qui fait des demandes « trop compliquées ». En tout cas c’est ce que nous avons sans doute tendance à projeter lorsque nous nous sentons impuissants face à un élève qui n’a pas compris, nous nous remettons en question ainsi que nos compétences didactiques.

Les élèves, qui sont là par obligation scolaire, attendent de l’enseignant qu’il assume les rôles inhérents à son statut. Il faut avoir la volonté de communiquer et donc de transformer nos représentations. Communiquer, c’est établir le contact direct pour que passe le courant et aussi mettre en jeu son moi social et affectif. Une bonne communication est souvent comprise comme une bonne entente entre le professeur et les élèves et entre les élèves eux-mêmes, lorsqu’il y a échange serein possible. Mais c’est aussi la mise en place par l’enseignant de dispositifs didactiques adaptés à son public pour ne pas les perdre, pour garder une confiance mutuelle, une confiance qui passe par la perception (pour les élèves) d’un enseignant qui est là pour les aider et non les mettre en difficulté, en échec. Les compétences didactiques du professeur et le soin apporté au langage et à la compréhension sont donc aussi en jeu dans la dimension relationnelle du métier d’enseignant et l’assise de son statut, son autorité. Le problème de l’incompréhension met en jeu l’image que l’élève a de lui-même, l’image que l’enseignant a de lui-même et leurs rôles dans la relation.

L’acte d’enseigner est un acte de haute communication, c’est un moment où la personne de l’enseignant se trouve, proprement, en représentation. Il n’y a pas de communication sans prise de rôle. Tout individu se comporte comme un acteur qui donne une image de lui dès l’entrée en scène et doit réussir à maintenir cette image, à ne pas perdre la face tout au long de l’interaction. Lorsque l’élève ne comprend pas un mot, et que l’enseignant peine à lui expliquer, échoue à l’aider dans cette opération de compréhension, la frustration est grande et la confiance en ses compétences peut être mise à mal. C’est à ce moment que l’enseignant peut avoir l’impression de « perdre la face », au moment où l’on attend que ce soit lui seul qui puisse expliquer quelque chose, et qu’il n’y parvient pas.

3. La dimension réglementaire

Nous devons, en tant qu’enseignant, maîtriser la langue française et permettre à nos élèves de la comprendre et de la maîtriser. « Quelle que soit la discipline qu’il enseigne, il a une responsabilité dans l’acquisition de la maîtrise orale et écrite de la langue française et dans le développement des capacités d’expression et de communication des élèves. »1Circulaire n° 97-123 du 23 mai 1997 : Mission du professeur exerçant en collège, en lycée d’enseignement général et technologique ou en lycée professionnel

Nous devons nous efforcer de comprendre leur langage et leurs codes afin de pouvoir adapter les nôtres et ainsi leur permettre de comprendre la notion qu’on leur présente. « Il sait, en un langage clair et précis, présenter aux élèves l’objectif et les contenus d’une séquence (…) Il sait utiliser l’espace et le geste et placer sa voix. Il sait choisir le registre de langue approprié ; ses modalités d’intervention et de communication sont ajustées en fonction des activités proposées et de la réceptivité des élèves. » 2Ibid.

4. Ce qu’en disent les collègues

Après plusieurs échanges avec des collègues de différentes disciplines, il semble que chacun ait sa technique. Le regard est une des pistes qui ressort le plus souvent. Celui-ci permet de donner un rythme, une idée de compréhension du cours. Il soumet à lui seul l’intérêt de la classe, par la présence et le charisme du professeur. Pour beaucoup, l’enseignement est une pièce de théâtre. Le fait de se mettre en scène facilite l’intérêt aux apprentissages, et peut-être aussi la mémorisation des mots qui seront associés à un moment du cours où l’enseignant par son jeu aura su captiver les élèves. Les élèves interagissent plus facilement, car ils se sentent à l’aise dans un contexte qui leur parait plus léger. Le côté ludique est plus facilement installé, la communication par le jeu, la reconnaissance de leurs propres connaissances est plus présente. Les élèves gardent en mémoire les faits et gestes du professeur. C’est un élément auquel nous n’avions pas pensé et qui pourtant a été évoqué par plusieurs collègues : la performance scénique du professeur qui capte l’attention et suscite la curiosité, le désir de savoir. Serait-ce alors une question de charisme et de personnalité ?

C’est une dimension intéressante de l’apprentissage et de la mémorisation qui passe par la motivation, suscitée par un enseignant qui incarne véritablement le savoir par la théâtralisation du cours. Cependant si l’on peut jouer sur la curiosité et l’intérêt de l’élève par ce biais, il s’agit de répondre ici à un objectif de mémorisation, peut-être plus qu’à un objectif de compréhension, et susciter un désir de connaître (voire une consommation de connaissances sous l’angle du divertissement) plus qu’un désir d’apprendre. Ainsi, incarner le savoir est important, mais peut-être pas suffisant pour une bonne compréhension et mobilisation du savoir par l’élève. De même, on peut mesurer l’attitude attentive et curieuse des élèves lors d’un cours magistral vibrant, mais pas mesurer ce qu’ils en ont compris si l’on ne les fait pas, eux aussi, entrer en scène.

Ce que l’on peut retenir cependant de l’intérêt de la théâtralisation du savoir et de son incarnation, c’est le jeu de rôle. Une collègue m’a raconté à ce sujet un exercice qu’elle a fait faire à des élèves de première STD2A sur les critères d’évaluation : nous avions remarqué que les élèves ne les lisaient pas quand nous les donnions comme clé pour comprendre un devoir. Nous avions beau invoqué ces critères comme cadre et références à prendre en compte, ils n’y faisaient pas attention sans doute car c’étaient nos mots à nous d’enseignant, qui nous concernaient nous, et qui n’entraient pas d’une certaine manière dans la réalité de leur travail mais dans celle de notre travail uniquement. Elle a donc décidé d’entreprendre avec eux un exercice où ils devaient eux-mêmes constituer des critères d’évaluation et chercher à comprendre quels capacités et résultats concrets se cachaient derrière les mots « cohérence de… », « lisibilité », « qualité de traduction des volumes » ou encore « qualité de la trace ». Des mots qui nous semblaient aussi évidents pour eux que pour nous et qu’ils n’avaient pourtant pas mis en lien avec leur travail. Elle me racontait qu’au-delà de l’intérêt de cet exercice pour redonner du sens à ces mots et comprendre les attentes, les élèves, qui trouvaient vraiment rébarbative l’idée de travailler sur les critères d’évaluation, avaient finalement pris un certain plaisir à transformer cela en jeu de rôle où ils prenaient, d’une certaine manière, la place du professeur. On peut faire l’hypothèse ici que la dimension théâtrale et le jeu de rôle suscitent de la motivation mais favorisent aussi la compréhension des mots qu’ils n’ont pas l’habitude d’utiliser : avec le jeu de rôle, ils se déplacent dans plusieurs sens du terme. Ils changent de place, et déplacent sans doute aussi leurs représentations en adoptant une nouvelle grille de lecture.

5. Des ressources universitaires

Comprendre un mot : les conditions pour l’évoquer dans la gestion mentale

L’activité d’association entre un signe nouveau (le mot) et sa représentation par des éléments construits dans l’expérience par des phénomènes sensoriels et perceptifs (images, sons, mouvements), c’est ce qu’Antoine de La Garanderie appelle l’activité d’évocation lorsqu’il analyse les différents fonctionnements de la gestion mentale3Antoine De la Garanderie, 1991, Colloque d’Angers : La gestion mentale, voie vers l’autonomie. . L’évocation est présentée comme l’étape mentale intermédiaire que fait l’élève entre la présentation d’une information et l’utilisation de cette information, une étape donc nécessaire à l’acquisition de connaissances et l’apprentissage. Pour A. de La Garanderie, l’évocation est à la base des gestes mentaux de l’apprentissage comme l’attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion ou encore l’imagination.

Son travail sur l’évocation nous permet d’appréhender les différents itinéraires mentaux en jeu dans la compréhension d’un mot par l’élève, car elle y est décrite comme le moyen dont dispose le cerveau pour opérer le glissement du perceptif au cognitif. Réaction mentale d’appropriation, l’évocation est donc nécessaire au codage d’une situation perçue pour s’en saisir. Nous parlons ici d’une activité qui transforme la connaissance en savoir, à rapprocher de l’intelligence dont parle Piaget : « la perception est la connaissance que nous prenons des objets ou de leur mouvement par contact direct et actuel, tandis que l’intelligence est une connaissance subsistant lorsqu’augmentent les distances spatiales et temporelles entre le sujet et les objets ».

Lorsque nous voulons instruire aux élèves de nouvelles connaissances, même sans connaître les étapes de la gestion mentale, nous nous employons, en préparant le cours, à rechercher la présentation la plus claire. Nous pressentons déjà souvent instinctivement la nécessité de diversifier les modes de présentation de l’information, en choisissant ceux qui seront le plus accessibles aux élèves afin qu’ils soient ensuite capables de la réutiliser. Nous pensons pour cela à l’usage possible du tableau, à une illustration éventuelle par des images, schémas, exemples, etc. Nous espérons que, sur la base d’une présentation pertinente d’une notion, l’élève saura dire ou faire ce qui se rapportera ensuite à celle-ci. Nous pressentons déjà instinctivement l’idée que l’élève peut retenir une information de différentes manières. On parle effectivement dans la gestion mentale de différentes attitudes évocatives, distinguant d’abord ceux qui ont tendance à évoquer par des images mentales visuelles ou par des images mentales auditives, pour distinguer ensuite différents niveaux d’appréhension de l’information.

Concernant ce dernier point, La Garanderie parle de quatre niveaux de processus en jeu dans l’évocation, quatre paramètres :

Le premier est l’évocation du quotidien, des choses, des êtres, des scènes, des gestes. Par exemple, si l’on entend le mot « guitare », en fonction de notre dominante visuelle ou auditive, nous allons voir une image de l’objet ou entendre le son de la guitare.

Le deuxième paramètre est l’évocation des mots, des chiffres, des symboles qui sont sus par cœur, de manière automatique. Toujours avec l’exemple de la guitare, nous aurons tendance alors à voir le mot « guitare » ou entendre l’épellation g-u-i-t-a-r-e.

Le troisième paramètre regroupe des opérations complexes dans lesquelles le sujet transforme un contenu, notamment à des fins de compréhension et de conceptualisation. C’est l’évocation des principes et des relations : loi, causes à effets, principes à conséquences, etc. C’est le paramètre de la logique et de la réflexion, de l’esprit de synthèse et de ce qui est structuré. On pourra alors voir le mécanisme de la guitare, ou entendre un commentaire sur la façon d’apprendre à jouer de la guitare.

Le quatrième paramètre regroupe également des opérations complexes et un traitement de l’information mais sous l’angle de l’imagination, un traitement qui complète, prolonge, innove sur le sujet évoqué. On pourra voir alors une guitare multifonction, aménagée en vaisseau spatial, ou entendre un récit imaginaire sur un grand joueur de guitare fictif.

Nous avons donné à travers le mot « guitare » des exemples d’évocations d’un objet connu. Mais que se passe-t-il pour un mot nouveau ? Complètement inconnu ? Nous ne pouvons pas l’associer à des expériences sensorielles du quotidien (paramètre 1), encore moins faire un travail d’évocation en traitant l’information par la conceptualisation (paramètre 3) pour pouvoir en comprendre le sens. On pourra toujours essayer de spéculer sur le sens de ce mot par l’imagination (paramètre 4) en évoquant des images visuelles ou auditives par analogie à d’autres mots (gui ? tard ?). Mais on ne trouve pas le sens d’un mot dans la forme de ces lettres ou dans les sonorités du mot, car en termes de linguistique, le mot est un symbole codé. En effet chaque langue est un code constitué en un système de règles acquises, que l’on apprend depuis le plus jeune âge. L’ensemble de règles grammaticales et orthographiques qui constituent la langue française est un ensemble de règles péremptoires, presque immuables. La langue française comme la plupart des langues humaines dispose d’une articulation et d’une logique propre dans lesquelles les signifiants sont faits de sons et de signes graphiques correspondants. Dans un mot donné chaque composant sonore (phonème) ou graphique (lettre) ne renvoie pas à un composant de sens : dans le signifiant « ciel » par exemple, aucun des phonèmes ou des formes des lettres ne renvoie à un élément de sens dont la composition permettrait de produire le sens du mot « ciel » et ne se rapporterait à l’objet référent. Le rapport du signe à son objet a été établi par pure convention. Comme pour la plupart des mots, rien ne prédisposait le ciel à recevoir le nom « ciel ».

L’hypothèse que l’on peut faire ici est que lorsqu’un mot nouveau est donné en classe, s’il est présenté avec une explication brève sans que l’élève ait eu un temps d’attention et d’évocation nécessaire pour l’associer à des principes ou des phénomènes perceptifs (paramètre 1 et 3), alors l’élève le notera machinalement dans son cahier et pourra apprendre son orthographe mécaniquement (paramètre 2) mais ne pourra pas s’en saisir.

Le deuxième paramètre, celui de l’évocation des mots et de ce qui est su par cœur, est certes très pratique mais peut être à la base de l’incompréhension dont il est question ici : lorsque l’élève retient un mot, une liste de mots ou une équation, il peut se satisfaire de l’idée qu’il a apprise, et l’enseignant aura peut-être même aussi cette impression. On peut retenir « mais-ou-et-donc-or-ni-car » ou « Marignan 1515 » sans savoir de quoi il s’agit, tout en ayant la sensation d’apprendre et en se félicitant de sa capacité de mémorisation.

On comprend bien ainsi qu’on puisse se retrouver dans la situation où l’on donne une consigne claire, avec des mots simples et connus de tous, et arriver pour autant à des phénomènes d’incompréhension. Dans l’exemple « faire une ligne verticale », même si l’on prend soin de demander si tout le monde connaît le mot « vertical », on s’apercevra en effet que les élèves connaissent le mot, depuis des années. Néanmoins, soit il leur faut un certain temps pour évoquer le mot et s’en saisir (comme ceux qui ont toujours besoin d’un exercice intellectuel supplémentaire pour coordonner leurs gestes avec les mots « droite » ou « gauche », sans quoi ils peuvent toujours les confondre), soit ils l’interprètent différemment car ils ne l’ont jamais vraiment bien saisi.

6. Quelles pistes de résolution de la situation ?

La pédagogie différenciée

Chaque discipline a son propre vocabulaire technique. En mathématiques par exemple les élèves doivent apprendre et connaître un vocabulaire précis pour pouvoir suivre une séance. Ce vocabulaire ne peut être ni deviné ni intuitif, mais appris par cœur. Le troisième cas de la troisième situation citée précédemment en est un exemple. L’élève doit apprendre la définition de calculer et savoir qu’il doit utiliser la calculatrice pour répondre. Il doit apprendre la définition d’exprimer et savoir qu’il doit proposer une équation à une inconnue dépendant de x pour répondre à la question. Pour cet élève j’ai réalisé un lexique reprenant le vocabulaire technique de base en mathématiques qu’il doit connaître pour savoir ce qu’on lui demande lors des certifications intermédiaires et finales. Ce lexique peut être proposé comme solution globale, à toute la classe en début d’année. Mais lorsque quelques élèves de la classe ne comprennent pas une notion particulière, que faire ?

La pédagogie différenciée peut être une solution. Elle désigne toute démarche pédagogique visant à s’ajuster aux besoins de chaque élève. L’expression a été proposée en 1971 par Louis LEGRAND qui en donne la définition suivante : « un effort de diversification méthodologique susceptible de répondre à la diversité des élèves ». Philippe MEIRIEU souligne qu’il n’est « ni possible ni souhaitable d’individualiser complètement le fonctionnement d’une classe ». La pédagogie différenciée peut s’exercer au quotidien grâce à quelques principes ou méthodes simples. Philippe PERRENOUD précise que différencier au quotidien consiste à repérer dans la palette pédagogique disponible des ressources particulièrement adaptées, de les combiner et les diversifier pour choisir la bonne configuration au bon moment.

Pour différencier au quotidien il existe certains leviers pédagogiques :

  • la configuration et l’organisation de la classe,
  • des situations d’apprentissage différentes (démarche d’investigation, activité formatrice, formative, tâche complexe),
  • des situations cognitives différentes (méthode inductive, déductive, expérimentale),
  • une flexibilité des postures du professeur en fonction des besoins,
  • l’anticipation pour aider les élèves en difficultés avant de démarrer le cours,
  • la quantité de travail demandé,
  • l’entraide entre les élèves (« tutorat »),
  • des aides matérielles différenciées (tous les élèves ne disposent pas des mêmes informations pour traiter les mêmes problèmes).

Enfin pour les élèves en grandes difficultés, un professeur référent peut être instauré et travailler une heure par semaine individuellement avec cet élève. C’est ce qui se fait dans mon lycée actuellement, et cela demande à ce que davantage d’enseignants soient motivés dans cet engagement.

La diversification des supports

Nous avons vu que le mot était un signe que l’on ne peut décoder soi-même, que l’on ne peut comprendre sans connaître. En ceci, le mot est un signe linguistique qui se rapproche du symbole. En sémiologie, on distingue plusieurs types de signes artificiels, et parmi eux, on distingue le symbole de l’icône. Le symbole est un signe visuel qui évoque quelque chose dans une culture donnée, il est une représentation fondée sur une convention qu’il faut connaître pour comprendre. C’est le cas de la colombe pour la paix, par exemple. En revanche, l’icône est un signe qui a pour propriété d’imiter perceptuellement ce à quoi il réfère, d’être relié empiriquement à ce à quoi il renvoie. C’est le cas par exemple du pictogramme, lorsqu’il schématise un message par l’utilisation d’éléments figuratifs plutôt que textuels. Par cette relation d’analogie, de ressemblance visuelle entre signifiant et signifié, l’accès au sens est plus direct, plus intuitif.

Ainsi nous pouvons dire que l’utilisation d’icônes, la construction d’images figuratives et schématiques, peut constituer un outil complémentaire au mot dans la compréhension de ce qui est vu en classe, à utiliser sans modération afin de superposer les langages et d’enrichir les évocations. Un élève qui aura associé un mot à une icône aura en effet plus de chances de retrouver a posteriori le sens du mot qu’il a retenu, il aura en tout cas engrangé plus de matière pour métaboliser ce mot et le mobiliser ensuite.

Mais plus qu’un signe figuratif, nous pouvons élargir la notion d’image à celle de la métaphore et du récit, notamment pour les élèves qui auraient tendance à utiliser davantage d’évocations auditives dans les gestes mentaux.

Dans les enseignements d’Arts-appliqués, la relation à l’image et aux différents signes est plus évidente encore que dans d’autres disciplines, l’image et les codes graphiques et plastiques étant l’objet et les outils des enseignements. La difficulté est même parfois plutôt de mettre des mots sur des images et des phénomènes visuels. Cet exercice de mettre des mots sur ce que l’on voit est tout aussi intéressant que d’associer des signes visuels aux mots : je fais l’hypothèse ici que ce sont ces allers-retours constants qui structurent et alimentent la pensée.

L’utilisation de différents supports et langages pour traduire des informations (textes, illustrations, schémas, graphiques, cartographies, fichiers audio-visuels…) est un atout didactique évident pour permettre aux élèves de comprendre l’objet du cours. Plus l’enseignant collecte ou produit différents supports, plus il peut permettre aux élèves de mieux comprendre. Mais on peut envisager aussi que cette diversification des supports ne soit pas uniquement produite par le professeur qui donne directement toutes ces ressources aux élèves : dans ce cas-là, l’effort intellectuel, le travail de flexibilité cognitive, dans la traduction et l’aller-retour entre différents langages est déjà fait. Il serait sans doute plus intéressant de proposer aux élèves de produire eux-mêmes les traductions de langage pour construire leur savoir. On pourrait imaginer, dans le cadre des temps d’apports théoriques, une prise de note par le dessin, la cartographie de pensée, quand cela est possible, ou des exercices d’illustration du cours par des recherches de différents types d’image. Cela permettrait à la classe de récolter un plus grand nombre d’entrées pour comprendre le cours. L’enseignant récolterait quant à lui les représentations des élèves dans différents langages.

Les apports du groupe, du travail collectif

Nous l’avons vu dans plusieurs situations évoquées : lorsqu’un élève ne comprend pas un mot, ce sont parfois les autres élèves qui sont à même de trouver une explication adaptée et qui apportent des exemples plus parlants que celui de l’enseignant. Je fais l’hypothèse que l’enseignant peut se servir davantage du groupe pour faciliter la compréhension des mots par tous, dans un enrichissement mutuel par les apports de chacun et la confrontation des différentes représentations. Le travail en groupe est bénéfique pour la réflexion de chacun et la complémentarité linguistique du groupe.

Outre les dispositifs pédagogiques de travail en équipe, l’utilisation du groupe peut également s’envisager lors de séances magistrales, dans les temps d’apports théoriques par le professeur : des temps de verbalisation sont à envisager avant et après les apports théoriques. Avant un cours, on peut poser une question à la classe (sur l’objet du cours) pour que les mots et les premières représentations émergent, que l’enseignant peut alors mesurer. Après le cours, il peut y avoir un autre temps de verbalisation où l’on recueille la parole de l’élève pour comprendre ce qu’il a compris, avec ses mots. Le travail de reformulation est primordial : demander aux élèves de reformuler le cours de différentes façons et reformuler à notre tour la parole de l’élève pour trouver, à l’oral, un terrain d’entente.

Il est indispensable dans cette démarche de donner aux élèves la possibilité d’exprimer librement et de façon ponctuelle leur ressenti avec leurs mots. Nous devons analyser les situations et corriger, sans juger, les mots qu’ils utilisent. Faire ce diagnostic en cours, avec le groupe, et non pas uniquement dans les devoirs d’évaluation individuelle, permet aux uns et autres de réagir, dans l’élaboration dynamique d’un lexique commun, que chacun contribue à enrichir avec des exemples et références diverses.

Par exemple, pendant un apport théorique, on peut aussi missionner certains de chercher dans un dictionnaire (papier ou en ligne) certaines définitions, et demander à d’autres de chercher des exemples, des images. Ses missions responsabilisent les élèves dans la construction du savoir. Ainsi, on contribue sans doute à ce que la place du professeur change, et qu’il ne soit plus le maître explicateur, seul devant sa classe, seul à pouvoir expliquer un mot : les élèves deviennent eux aussi acteurs pensants, capables de comprendre et d’expliquer les choses, et ayant un rôle dans le travail d’équipe.

7. « Prendre parti »

La question du langage et de la compréhension des mots soulève l’enjeu de la perception de la place de chaque acteur de la classe : le rôle de l’enseignant et le rôle des élèves dans la situation d’apprentissage. Nous nous efforçons de vouloir tout expliquer : nous nous voyons comme des maîtres tout puissants dans la transmission du savoir, qui sont capables de tout expliquer, tout disséquer, tout apporter aux élèves jusqu’au sens profond du mot le plus commun. À vouloir tout donner à l’élève et tout simplifier, nous oublions pourtant que rien n’est si simple, et que le savoir s’élabore autour des phénomènes et systèmes complexes du réel que l’on appréhende tous subjectivement. Chaque connaissance est un petit amas de mots, de récits et d’images, différents pour chacun. Si nous nous employons, non pas à transmettre, mais à construire le savoir avec nos élèves, nous pourrons davantage leur faire comprendre que ce savoir n’est pas une liste finie et limitée de bonnes réponses, mais un système dynamique que chacun peut enrichir en partageant ses mots, ses récits, ses images. Il importe que les élèves (comme l’enseignant lui-même) puissent considérer autrement le rôle de l’enseignant, qui n’est pas celui du parfait explicateur, qui « perdrait la face » dès qu’il ne sait pas, ou n’arrive pas à expliquer. L’enseignant guide et accompagne les élèves en générant des situations de recherche, mais ce n’est pas lui qui construit le savoir ; il ne donne pas : il récolte. Cela projette ainsi l’élève dans un rôle d’acteur pensant, qui est obligé de s’investir dans la recherche : non pas en répétant ce qu’il vient d’entendre ou en répondant à une sollicitation du professeur, mais parce qu’il devient lui-même créatif, parce que ce qu’il dit est le fruit de son travail, pour contribuer à un travail collectif où chacun trouve sa place.

L’enseignant doit donc proposer une variabilité des types de communication à utiliser en classe et au bon moment avec les bons élèves. Pour permettre l’application des meilleurs types de communication au meilleur moment le professeur doit acquérir une compétence essentielle, à savoir s’adapter au groupe et à la situation. Si nous devons toujours avoir en tête que c’est l’élève qui est acteur de son apprentissage, encore faut-il qu’il soit motivé a minima pour accepter de s’engager dans ce rôle, se mobiliser pour le groupe. Cette motivation permanente de chaque élève dans cet effort, c’est encore un autre défi pour l’enseignant.

  • 1
    Circulaire n° 97-123 du 23 mai 1997 : Mission du professeur exerçant en collège, en lycée d’enseignement général et technologique ou en lycée professionnel
  • 2
    Ibid.
  • 3
    Antoine De la Garanderie, 1991, Colloque d’Angers : La gestion mentale, voie vers l’autonomie.
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