Controverse autour de l’exclusion d’un élève lors d’un conseil de discipline

CONDITIONS DE PRODUCTION

Le récit de cette situation a été produit par un chef d’établissement qui a présidé un conseil de discipline concernant un élève qu’il ne connaît pas, qu’il n’a pas suivi « personnellement » depuis son entrée au collège.

Le cas ici présenté a été personnellement vécu par un membre du groupe et relaté aux autres. Des éléments sont fournis au groupe afin de pouvoir favoriser l’analyse de la situation :

– PPRE passerelle à l’entrée en 6ème

– Compte rendu d’une équipe éducative du 23 septembre 2019

– 3 bulletins de 6ème et bilan de fin de cycle 3

– Bilan de fin de cycle 3

– Récapitulatif punitions, sanctions, incidents de l’année 2019-2020

– Récapitulatif absences et retards de l’année 2019-2020

– PPRE du 2 novembre 2020 au 12 février 2021

– Récapitulatif punitions, sanctions, incidents de l’année 2020-2021

– Récapitulatif absences et retards de l’année 2020-2021

– Bulletin du 1er trimestre de 5ème

– Procès-verbal du conseil de discipline qui s’est tenu le 19 janvier

Le récit de la situation a donc été fait à partir des éléments fournis et reprend les mots tels qu’ils ont été écrits dans les documents à l’appui.

Le chef d’établissement partage son vécu de cette situation en essayant de la revivre et de retrouver les émotions vécues à cet instant T.

1. La situation : Le dossier et le profil de l’élève traduit en conseil de discipline

Mourad est un élève qui était scolarisé en élémentaire dans une des 12 écoles que compte la commune. Ce n’est cependant pas une école du REP+ auquel appartient le collège. En effet, le réseau comprend un collège et 4 écoles élémentaires mais le recrutement se fait sur 8 écoles du secteur. La carte scolaire actuelle de la commune ne permet pas d’avoir une véritable liaison école-collège. Mourad n’a donc pas eu l’occasion de participer à des projets école-collège ou de visiter son futur collège.

A la fin de l’année de CM2, une réunion est organisée où les professeurs des écoles viennent exposer des situations d’élèves avant leur entrée au collège.

Extrait du PPRE passerelle (tableau récapitulatif en PJ) : Mourad est signalé comme un enfant qui n’a pas un comportement d’élève, qui est toujours en retard, qui n’a pas son matériel, qui ne travaille pas à la maison et qui ne fait que ce qu’il aime. Il est livré à lui-même. Ses parents le menacent de le renvoyer au pays mais ne sont pas présents et ne se déplacent pas à l’école. En élémentaire, le Programme de Réussite Educative (PRE) a été sollicité. L’orientation en SEGPA a été proposée, les évaluations ont été réalisées mais les parents ont refusé d’envisager cette solution.

Le Programme Personnalisé de Réussite Educative est une modalité de prise en charge de la difficulté scolaire.  Il  concerne  les  élèves  qui  risquent  de  ne  pas  maîtriser  certaines  connaissances  et compétences attendues à la fin d’un cycle d’enseignement. Le diagnostic repose sur des éléments à partir de la fiche de liaison du cycle 3 (CM2-Collège). Un dispositif, dit PPRE passerelle peut être proposé pour faciliter l’adaptation en sixième d’un élève fragile.

Pour Mourad, il n’est pas certain qu’un PPRE ait été rédigé en mettant en évidence les compétences du socle commun non maîtrisées et leur degré d’acquisition, les origines et explications des difficultés (comportement, capacité et travail, problèmes sociaux, psychologiques et/ou de santé), les points d’appui pertinents, les choix des compétences à travailler prioritairement.

Pour Mourad, le chef d’établissement et la communauté éducative auraient pu mettre en place des organisations pédagogiques particulières conduisant à une personnalisation de l’enseignement : mise en pratique dans la classe d’une différenciation pédagogique, mise en pratique d’une aide éducative en dehors de la classe en mobilisant les dispositifs réglementaires.

Pour Mourad, l’établissement aurait pu mieux l’accompagner à son entrée en sixième au regard de ses problèmes de comportement et de ses difficultés scolaires sans attendre qu’une équipe éducative se réunisse avec, dès l’inscription, la matérialisation des engagements pris entre l’élève, sa famille et l’équipe éducative. Le PPRE aurait pu être mis en place dès son inscription au regard des informations partagées, si un rendez-vous avait été fixé avec la famille pour affirmer une continuité entre l’école et le collège.

Le compte rendu d’équipe éducative

Dès le 23 septembre 2019, une équipe éducative est réunie en présence du principal adjoint qui suit le niveau, d’une prof d’appui, d’une assistante pédagogique et de trois enseignants (HG, Sciences, français) dont deux qui assument des missions de professeurs principaux. Il est noté (compte rendu en PJ) que Mourad rencontre des difficultés dans la plupart des disciplines, notamment en ce qui concerne le passage à l’écrit. La graphie pose problème car elle n’est pas assurée. La formation de la moindre lettre lui prend un temps démesuré et lui demande un effort de concentration, sachant que Mourad peine à demeurer concentré. Il se fait remarquer par un comportement désinvolte. Il se laisse distraire et distrait ses  camarades  de  classe.  Ses  difficultés  réelles  et  profondes  peuvent  en  partie  expliquer  son comportement. En effet, même lorsqu’il fournit des efforts en étant sérieux et appliqué, ses lacunes limitent immédiatement sa bonne volonté. Mourad se montre insolent à l’égard de l’équipe pédagogique : haussement de sourcils, mauvaise foi, jeu du chat et de la souris, réponses à l’adulte. Lors de cette réunion d’équipe, et face aux réactions imprévisibles de la famille, il est demandé aux enseignants de laisser le professeur principal appeler le papa et de ne pas multiplier les appels.

Afin de faciliter le travail de Mourad et de l’aider à gérer son comportement, les aménagements suivants sont mis en place : cours à trous, aménagement des évaluations, participation au dispositif Oscar (dispositif d’accrochage par le jeu – 2h/semaine le jeudi après-midi), orientation SEGPA à revoir avec l’accord du papa, mise en place d’une fiche de suivi (engagements pris : ne pas bavarder, ne manquer de respect à personne), bilan orthophonique.

Les bilans périodiques de 6ème (bulletins trimestriels en PJ)

Les résultats de Mourad sont inquiétants (toutes les notes sont en-dessous de la moyenne). Même s’il est capable de fournir des efforts, il a du mal à se concentrer, à s’appliquer et à s’impliquer. Il empêche souvent le bon fonctionnement des cours.

La période de confinement

Le 13 mars 2020, les établissements scolaires ont fermé leurs portes et la continuité pédagogique a dû être assurée à distance. Mourad n’a rendu que très peu de travail pendant cette période de confinement.

Au regard du tableau de repérage des élèves à risque selon quatre critères (pédagogique et éducatif, numérique, familial, socio-économique), le chef d’établissement s’aperçoit que Mourad n’a donné signe de vie qu’au professeur d’Education Physique et Sportive. Il n’a rendu aucun travail, il ne s’est pas connecté aux classes virtuelles proposées mais il n’avait pas d’ordinateur, et il n’a pas bénéficié d’un prêt de tablette par l’établissement, ni d’un prêt de matériel ou d’un don de matériel par la commune car les parents n’étaient pas joignables ou n’ont pas répondu aux sollicitations. Jusqu’où aller ? Envoyer un médiateur de la ville à domicile ?

Le bilan de fin de cycle 3 (bilan en PJ)

Les compétences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture sont peu validées. Le niveau de maîtrise est insuffisant voire fragile.

Les punitions, sanctions, incidents (récapitulatif en PJ)

Année scolaire 2019/2020

Mourad a été mis en retenue 17 fois pour sanctionner ses nombreux retards ou son comportement (perturbation de cours, atteinte à l’intégrité physique d’un camarade, dissipation, chahut, non-respect des règles, refus de travailler, insolence, remise en cause de l’autorité, absence de matériel, bavardages gênants). Il a été exclu 3 fois de cours pour insolence. Il a fait l’objet de 8 rapports d’incident pour remise en cause de l’autorité, menaces sur élève, insultes, moqueries, bagarre, perturbation de cours.

Année scolaire 2020/2021

Mourad a été retenu 12 fois pour sanctionner ses retards, ses absences injustifiées, un travail non fait ou des oublis de carnet. Il a été exclu 8 fois de cours pour refus de travail, indiscipline caractérisée, comportement dangereux en classe. Il a fait l’objet de 23 rapports d’incident entre le 1er septembre 2020 et le 19 janvier 2021 pour jeu dangereux, violence physique entre élèves, non-respect des consignes de sécurité, manque de respect à un adulte.

Le récapitulatif des absences et retards (document en PJ)

Année scolaire 2019/2020

Mourad comptabilise 50 heures d’absences qui ne sont pas justifiées par la famille et 51 retards.

L’élève n’a pas fait l’objet d’un signalement sur l’application MIMOSA (circulaire explicative en PJ).

Année scolaire 2020/2021

Mourad comptabilise 79 heures d’absences qui ne sont pas justifiées par la famille et 27 retards pour la seule période du 1er septembre 2020 au 19 janvier 2021.

L’élève n’a pas fait l’objet d’un signalement sur l’application MIMOSA. Pourquoi ? Le seuil de tolérance est-il trop élevé au regard de l’appartenance de l’établissement à un réseau d’éducation prioritaire ou devrait-on saisir plus de signalement ? Est-ce que cela aurait eu un impact sur les parents et sur l’obligation de scolarité de leur enfant ?

Le Programme Personnalisé de Réussite Éducative (PPRE) est mis en place à la rentrée des vacances de la Toussaint (document en PJ). Tous les professeurs sont unanimes pour dire que lorsque Mourad est intéressé par l’activité proposée, il est capable du meilleur. Il fait aussi preuve de perspicacité à l’oral. Mourad a des problèmes récurrents de concentration, de compréhension, de graphie. Il n’a très souvent pas son matériel. L’objectif de ce PPRE est de redonner l’envie à Mourad d’être en classe et d’apprendre. Des aménagements pédagogiques sont décidés en fonction des disciplines et pour les évaluations. Une fiche de suivi est mise en place. Le travail personnel sera réalisé dans le cadre du dispositif “devoirs
faits”.

Pourquoi avoir attendu autant de temps pour mettre en place un PPRE ? L’élève a été signalé avant son entrée en 6ème et le PPRE n’est écrit qu’au début de la deuxième période de fonctionnement de sa scolarité en cinquième. Que de temps perdu !?

Le bilan périodique du 1er trimestre de 5ème (bulletin trimestriel en PJ)

Malgré la mise en place du PPRE, les résultats sont très alarmants dans certaines disciplines.

La tenue du conseil de discipline pour insulte d’une enseignante

Les faits

Le 4 janvier 2021, une enseignante exclut de cours Mourad pour bavardages gênants et insolence. Il se représente à l’heure suivante pour la deuxième heure de cours de la journée. Au moment où la professeure accueille le reste de la classe, elle entend clairement Mourad dire “elle m’a exclu cette pute”. Elle lui demande de confirmer son propos. Il nie farouchement et elle ne l’accepte pas en cours car il l’a insultée. Il descend en vie scolaire et revient en disant qu’une assistante d’éducation (AED) lui a dit de s’excuser. L’enseignante ne l’accepte toujours pas en cours.

Le dossier n’a pas été instruit par le chef d’établissement mais il préside le conseil de discipline. A la lecture des faits, il a le sentiment qu’il s’est fait berner et qu’il n’aurait pas dû se laisser convaincre de convoquer cette instance. A ses yeux, le motif invoqué “insulte d’un enseignant” n’est pas opposable à Mourad. Mourad n’a pas dit à son professeur “vous êtes une pute”. Le professeur a entendu en sortant dans le couloir, Mourad dire à un camarade “elle m’a exclu, cette pute”. De plus, le chef d’établissement apprend que ce dit professeur a exclu l’élève de la première heure de cours, ce qui est déjà en soi une punition scolaire. Mourad est remonté en cours, conseillé par la vie scolaire. Il dit qu’une assistante d’éducation lui a demandé de s’excuser mais il est à nouveau puni et se voit refuser l’accès à la deuxième heure de cours.

Le procès verbal du conseil de discipline (PV en PJ)

Le conseil de discipline se réunit le 19 janvier soit 15 jours après les faits.

Il est d’usage que le conseil de discipline débute par un court moment de concertation entre les membres qui le composent. Cette installation permet de vérifier la liste des membres présents et de s’assurer que le quorum est bien atteint. Dans le cas contraire, le conseil de discipline ne peut se tenir et doit être convoqué en vue d’une nouvelle réunion dans un délai minimum de huit jours et maximum 15 jours ; il délibère alors valablement, quel que soit le nombre de représentants présents.

Le président installe le conseil en vérifiant si le quorum est atteint (le nombre des membres présents doit être égal à la majorité des membres composant le conseil), elle fait circuler la liste d’émargement et désigne un secrétaire de séance. Le conseil est composé des membres suivants : le chef d’établissement, l’adjoint, un CPE, le gestionnaire, cinq représentants des personnels (quatre représentants des personnels d’enseignement et d’éducation et un représentant des personnels administratifs, sociaux et de santé, techniques, ouvriers et de service), trois représentants des parents d’élèves dans les collèges et deux dans les lycées, deux représentants des élèves dans les collèges et trois dans les lycées.

Il n’est pas rare que le chef d’établissement exploite également ce moment pour donner quelques instructions aux membres du conseil relativement à leurs interventions à venir.

Il rappelle la nécessité de vigilance et de prudence dans les propos et les réactions des membres du conseil, ainsi que de l’obligation de réserve et de discrétion sur tous les propos qui seront tenus, en vertu de la loi 83-634 du 13 juillet 1983. Il souhaite qu’il puisse y avoir une portée éducative de la sanction qui sera éventuellement prononcée, et rappelle aux membres du conseil qu’il s’agit d’une épreuve difficile pour le jeune et sa famille.

11 personnes participent au vote. Le vote se fera à bulletin secret.

Le président fait entrer les représentants légaux de l’élève et l’élève et les invite à prendre place en face d’elle. La salle est disposée en U. Il leur demande de signer la feuille d’émargement. Il présente les membres du conseil de discipline et explique le déroulement : l’élève est présent et est accompagné de sa mère et de sa cousine.

L’élève et ses représentants auraient pu être accompagnés d’un défenseur.

Le président fait lecture du profil de l’élève et du rapport ayant motivé la proposition de sanction.

Le rapport n’est pas connu des comparants car, dans ce cas, les représentants légaux ne sont pas venus consulter le dossier disciplinaire.

Le chef d’établissement regrette que le rapport soit trop souvent la lecture d’un rapport d’incident saisi sur le logiciel Pronote alors qu’il devrait non seulement rappeler les motifs de poursuite, décrire de manière détaillée les faits (circonstances, date, heure, lieu, étapes de la procédure d’enquête, qualification  de  la  faute  reprochée au regard du règlement intérieur) et se terminer par une proposition de sanction sur laquelle le conseil devra se prononcer à l’issue des débats.

A l’issue de cette lecture, le président introduit les personnes à entendre : le demandeur de saisine du conseil de discipline, les délégués de classe, le professeur principal, le CPE.

L’enseignante témoigne. Elle est très calme, a une voix très posée. Elle dit avoir exclu à la première heure Mourad. Elle dit qu’il est revenu à la fin de l’heure et qu’elle l’a entendu dire à un camarade : “elle m’a exclu cette pute”. Elle s’est adressée à Mourad qui a nié dans un premier temps. Elle ne l’a pas laissé entrer en classe pour la deuxième heure. Mourad est descendu en vie scolaire et conseillé par Fanny, une assistante d’éducation, il est revenu en lui disant que cette dernière lui avait dit de s’excuser.

L’enseignante lui demande ce que veut dire le mot “pute” et il répond que c’est une “prostituée”. Ne trouvant pas ses excuses sincères, elle ne l’a pas accepté.

À ce moment, le chef d’établissement ne comprend pas pourquoi les excuses n’ont pas été acceptées. Au regard des difficultés rencontrées par Mourad, l’enseignante ne se rend visiblement pas compte de l’effort qu’il produit en remontant seul pour présenter ses excuses. En quoi le “je m’excuse” aurait-il été plus sincère que “Fanny m’a dit de m’excuser” ? N’est-ce pas plutôt l’explication donnée sur le fait que la pute est une prostituée qui fait que l’enseignante n’accepte pas qu’il participe au cours ?

Le délégué de classe dit qu’il faut forcer Mourad à travailler, qu’il n’est pas trop respectueux et qu’il est parfois insolent.

Le chef d’établissement se dit que c’est un témoignage à charge.

La professeure principale n’est pas présente mais elle a fourni un bilan.

Le Conseiller Principal d’Education a en charge le suivi de Mourad. Siégeant au conseil de discipline, son rapport écrit figurant au dossier disciplinaire est lu.

Les  personnes  entendues  sortent  de  la  salle  pour  laisser  place  à  l’audition  de  l’élève,  de  ses représentants légaux et aux questions éventuelles.

En application du principe du contradictoire, la parole est alors donnée aux comparants (l’élève, ses représentants légaux, son défenseur le cas échéant) qui peuvent à leur tour faire part de leurs observations et donner leur version des faits. Cette intervention achevée, elle donne lieu à un premier échange avec les membres du conseil.

La maman présente est silencieuse et ne prend à aucun moment la parole. Mourad reconnaît avoir dit “elle m’a exclu cette pute” et dit que c’est le premier mot qui lui est venu. Sa cousine dit qu’il est gentil mais qu’il s’exprime parfois mal. Elle dit qu’il a toujours eu des difficultés avec les professeurs ne sachant pas mettre de barrières.

Le chef d’établissement pense que c’est encore une famille qui ne va pas prendre la parole et que Mourad ne parlera pas et au mieux qu’il répondra succinctement aux questions qui lui seront posées.

Le procès-verbal relate les échanges entre les membres du conseil et Mourad qui ont duré vingt minutes. Mourad dit qu’il a été exclu pour bavardage. Il vient au collège pour apprendre mais n’aime pas trop car il est en difficulté en cours. Il a un bon souvenir de la maternelle et du CP mais les choses se sont dégradées en CM1. Il n’est pas en conflit avec l’enseignante, c’est la première fois qu’il y a un incident avec elle. Il dit accepter d’être aidé mais qu’il abandonne quand il n’y arrive pas. Il n’aime pas les dispositifs où il est sorti de la classe car il souhaite rester avec sa classe.

Le chef d’établissement propose à l’élève et à ses accompagnateurs de prendre la parole avant les délibérations, sans limitation de temps et sans être interrompus. C’est en général à cet instant que l’intéressé peut présenter ses excuses, solliciter la clémence du conseil, prendre des engagements de bonne conduite, demander l’application de mesures alternatives ou d’accompagnement à l’exclusion : mesures de réparation notamment, application du sursis.

Mourad, comme ses représentants, ne s’est pas exprimé. Le chef d’établissement sait que ce n’est pas productif et se demande pourquoi il n’a pas été accompagné dans la préparation de ce conseil par le Conseiller Principal d’Education (CPE). Très souvent, à ce moment, l’élève lit ce qu’il a préparé à l’attention des membres du conseil. Mais là, rien.

Après s’être assuré que Mourad et ses représentants n’avaient pas d’autres observations à formuler, le président invite l’élève, sa famille et son défenseur à sortir pendant les délibérations du conseil et les informe qu’ils seront à nouveau introduits dans la salle pour entendre le prononcé de la décision.

Puis les personnes n’ayant pas voix délibérative quittent la salle pour qu’aient lieu les délibérations du conseil et le vote (les votes interviennent à bulletins secrets, à la majorité des suffrages exprimés).

Devant les membres du conseil de discipline, le président rappelle l’obligation du secret des délibérations. Les membres du conseil de discipline sont soumis à cette obligation en ce qui concerne tous les faits et documents dont ils ont eu connaissance et il n’est pas fait état dans le procès-verbal du contenu des débats.

Dans le cas de Mourad, les débats et la délibération auront duré dix-sept minutes. Le chef d’établissement soumet au vote l’exclusion définitive en étant convaincu que ce n’est pas cette sanction qui sera adoptée dans le cas présent. Dans l’établissement, le chef d’établissement propose toujours dans un premier temps la sanction la plus forte en l’occurrence l’exclusion définitive, puis l’exclusion définitive avec sursis, etc. C’est entendu avec les membres du conseil de discipline qui, dans le cas contraire, penseraient que la décision de la sanction serait déjà prise par le chef d’établissement. Mais à sa grande surprise le résultat des votes est six voies pour l’exclusion et cinq votes contre. Le chef d’établissement comprend qu’à ce moment-là les cinq enseignants ont certainement voté pour et qu’un  autre  membre  également.  Un  sentiment  d’échec  et  d’incompréhension  envahit  le  chef d’établissement, voire un sentiment de colère intérieure. Le chef d’établissement pense que les enseignants avaient déjà pris leur décision en amont de la tenue du conseil de discipline c’est-à-dire dans la salle des professeurs, en soutien à leur collègue et ont été sourds à la situation de l’élève. Le chef d’établissement regrette qu’il n’y ait pas eu un parent supplémentaire et un délégué élève élu qui
auraient entendre les arguments en faveur de la situation personnelle de Mourad.

En dernier lieu, le président fait entrer la famille et l’élève pour notifier la décision du conseil de discipline. Mourad est exclu définitivement de l’établissement.

Le président du conseil de discipline invite l’élève, ses parents et le défenseur à entrer dans la salle pour leur donner lecture de la décision prise par le conseil de discipline. Ces quelques instants qui marquent la fin de la séance ont une importance particulière. Le chef d’établissement déteste ce moment même s’il a un caractère très solennel : caractère immédiatement exécutoire de toute sanction, précision des voies et délais de recours.

Le président annonce l’envoi en recommandé postal de la notification. Il précise que le DASEN (Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale) se chargera de réaffecter l’élève dans un autre établissement.

Le président informe la famille que conformément aux dispositions de l’article R 511-49 du Code de l’éducation, cette décision peut faire l’objet d‘un appel auprès de Monsieur le Recteur/Madame la

Rectrice de l’Académie dans un délai de huit jours à compter de la réception de la notification (démarche préalable au recours contentieux).

Le président lève la séance. Le conseil aura duré 58 minutes. Le chef d’établissement a rejoint rapidement son bureau et a immédiatement quitté l’établissement. Il n’avait aucunement envie de discuter sur ce qui s’était joué et notamment ne voulait pas manifester sa colère face à cette décision
qui à ses yeux était profondément injuste. En fait, le chef d’établissement ne voulait pas, à chaud, faire entendre à son adjoint et au CPE en charge de Mourad des manquements constatés. Il préfère attendre la réunion “cas élèves”, le cas échéant, pour en reparler. Mourad n’a pas été représenté, Mourad n’a pas été défendu et n’était pas armé pour le faire. Le chef d’établissement ne connaissait pas cet élève et a le sentiment que l’accompagnement n’a pas été à la hauteur. Comment a-t-il pu être exclu au regard des éléments du dossier, des réponses apportées lors du questionnement ? Aurait-il fallu ne pas proposer l’exclusion définitive ?

Mourad a été scolarisé dans un autre collège de la commune à la demande de la cheffe d’établissement qui a précisé qu’il ne fallait pas qu’il soit loin de son domicile. Sa sortie administrative a été enregistrée à la date du 22 février 2021.

2. Les questions que pose la situation 

A- Autour de la portée éducative du conseil de discipline

Les questions autour de la tenue des conseils de discipline sont nombreuses quant à la décision même de la saisine de l’instance, du délai de rescolarisation après une notification d’exclusion définitive, des différentes prises de parole des familles, des principes convoqués (neutralité, légalité, contradictoire, proportionnalité, individualisation) mais nous nous sommes interrogés sur la mise en parenthèse de la valeur éducative, car même si on “juge” un fait, personne ne devrait démissionner de sa mission éducative.

B- Autour de la relation avec la famille de l’élève

La place de la famille au sein du conseil de discipline est également questionnée. En effet, certains parents éprouvent des difficultés à s’exprimer devant un « mini tribunal ». D’autres ont le sentiment qu’on les juge sur leur façon d’éduquer leur enfant. Quand on passe devant un tribunal, on a le droit à un avocat même commis d’office, cela devrait être le cas pour les élèves qui passent en conseil de discipline. Une convention avec une association extérieure pourrait être envisagée pour que ce droit à la défense soit systématique, ou tout au moins proposée, ou une prise en charge par le référent de parcours du PRE. Quid de l’asymétrie entre la famille et le nombre des membres du conseil (quatorze) ?

C- Autour des dispositifs d’accompagnement

Les élèves traduits devant un, voire plusieurs conseils de discipline, sont souvent des élèves qui ont des difficultés scolaires et/ou comportementales.

Parfois, une orientation en SEGPA leur a été proposée mais a été refusée. Comment expliquer la mauvaise image de la SEGPA aux yeux de nombreuses familles et/ou enfants. Comment y remédier ?

Le problème du manque de structures ou de professionnels (ITEP, orthophonistes, psychologues) pour prendre en charge des enfants à profils spécifiques peut être aussi interrogé.

La question de la prise en charge et de la temporalité de l’accompagnement est aussi ici évoquée. Quel fil aurait pu être tiré pour éviter cette situation ? En effet, l’accompagnement prend souvent beaucoup de temps afin d’observer des améliorations, alors que les acteurs opèrent dans l’urgence et doivent prendre en compte tous les autres paramètres, notamment les autres élèves et les personnels.

3. Dimension réglementaire

Les ressources règlementaires ont été consultées par les membres du groupe, et notamment pour que les personnes hors éducation Nationale vérifient ce que disent les textes sur la tenue du conseil de discipline, les sanctions et punitions.

Elles seront utiles aux futurs enseignants et aux futurs chefs d’établissement pour justifier de la politique éducative au sein d’un établissement en fonction de son contexte, du public accueilli.

La fiche du fil annuel du conseil de discipline

https://www.ih2ef.gouv.fr/conseil-de-discipline

La fiche ressource EDUSCOL sur le conseil de discipline

https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Sanctions_disciplinaires/86/4/12-le-conseil-de-discipline_197864.pdf

Les sanctions et punitions

https://eduscol.education.fr/2279/les-procedures-disciplinaires

Le plan de lutte contre les violences scolaires

NOR : MENE1925181C

Circulaire n° 2019-122 du 3-9-2019

MENJ – DGESCO C2-3 – DGESCO MPVMS – DGESCO B2-3

https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo32/MENE1925181C.htm

L’orientation en SEGPA

Bulletin Ofciel de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports NOR : MENE1525057C

Circulaire n° 2015-176 du 28-10-2015 MENESR – DGESCO A1-3

https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo40/MENE1525057C.htm

Les élèves à besoins spécifiques

Les parcours d’aide : PPRE, PPRE passerelle, PAI, PPS, PAP…

http://www.circ-ien-illfurth.ac-strasbourg.fr/besoins-des-eleves/ppre-pai-pas-pps/

Le programme personnalisé de réussite éducative

https://www.ih2ef.gouv.fr/ppre-programme-personnalise-de-reussite-educative

L’accompagnement des collégiens

https://www.education.gouv.fr/l-accompagnement-des-collegiens-8732

La fiche du film annuel des dispositifs pédagogiques concernant les collégiens

https://www.ih2ef.gouv.fr/dispositifs-pedagogiques-concernant-les-collegiens

4. Ce qu’en disent les étudiants du DU « COOTOPIA » au regard de leur fonction

Regard d’une professeure de français au collège, également membre du conseil de discipline

J’ai participé à plusieurs conseils de discipline, souvent en tant que membre élue représentant les professeurs, et parfois en tant que professeure principale.

Je ne saurais dire quelle est la position la plus inconfortable :

–     en tant que membre élue, arrive inévitablement le moment tant redouté du vote. Dans un vote à la majorité dans un groupe d’une dizaine de personnes, on a pleinement conscience de l’importance de sa propre voix. Dans les conseils auxquels j’ai participé, les décisions ont parfois été prises à une ou deux voix près. Devoir statuer sur l’exclusion définitive d’un collégien, et donc prononcer une décision ayant un impact si fort sur son futur, est une épreuve à laquelle nous sommes tous et toutes (membres du conseil) mal préparés.

–     en tant que professeure principale, prédominent à la fois le sentiment d’avoir failli à sa mission, et le sentiment d’impuissance face à la décision finale (puisque le professeur principal n’est pas présent au moment des échanges et du vote). Pendant que le conseil délibère et vote, le professeur principal se retrouve souvent à accompagner l’élève et sa famille pendant qu’ils attendent. C’est un moment de tension extrême, au cours duquel il est difficile de trouver des paroles rassurantes.

Quasiment à chaque fois, j’ai vécu le conseil de discipline comme un miroir grossissant de tous nos échecs collectifs et individuels : échec de la société tout d’abord, échec de l’institution scolaire ensuite, puis échec individuel de chaque personne : élève, parents, éducateurs, professeurs, CPE, direction… Qu’avons-nous raté ? Qu’est-ce qu’on aurait pu faire de plus ? Sont les questions qui tournent en boucle dans toutes les têtes alors qu’on se demande si toutes les solutions ont été épuisées, et si l’exclusion apparaît alors comme la seule issue possible.

En tant que membre élue, j’ai également souvent eu l’impression de participer à une sorte de mise en scène factice, dans laquelle chacun essaie de jouer son rôle aussi bien que possible, sans réel impact : au centre, l’élève est bombardé de questions par les membres du conseil, souvent posées avec les meilleures intentions car l’objectif est de l’aider à s’exprimer, à s’expliquer pour “défendre” sa place au collège: est-ce que tu regrettes ton geste ? Pourquoi devrait-on te garder ? Qu’est ce que tu pourrais faire à l’avenir pour améliorer les choses ? Les réponses attendues sont souvent les mêmes : reconnaître sa faute, s’excuser, regretter, promettre des changements radicaux… Ensuite, deux cas de figures :

–     soit l’élève a compris la mise en scène, dispose des capacités nécessaires de confiance et d’aisance dans l’expression, et peut ainsi apporter au conseil de discipline ce qu’il a besoin d’entendre,

–     soit au contraire l’élève reste prostré, intimidé, souvent engoncé dans son manteau, incapable de se “défendre”, face aux 12 adultes qui le dévisagent.

Si le conseil de discipline est effectivement un “mini tribunal”, on est alors en droit de se demander où est passé le principe d’une même justice pour tous.

L’attitude de la famille de l’élève est plus ou moins similaire : au cours de ce “mini tribunal”, comment éviter de faire planer l’impression que c’est l’éducation elle-même de l’élève qui est mise en cause ? Ne serait-ce que dans la configuration de l’espace : l’élève et sa famille se retrouvent généralement d’un côté de la table, sur le “banc des accusés”. Le paradoxe ultime consiste en ce que le conseil de discipline, par son côté officiel et effrayant, est parfois la première fois que nous arrivons à faire venir certaines familles dans l’établissement. Malheureusement, c’est rarement au cours de cette instance que peuvent se mettre en place de véritables échanges constructifs. Il est souvent “trop tard”.

Je reste persuadée que l’exclusion définitive, si violente, peut difficilement être considérée comme une sanction éducative. Cependant, je me dois également de reprendre ma casquette “d’enseignante” pour observer la situation. Au cours d’un conseil de discipline se jouent également certaines des tensions majeures de notre métier : parmi tous nos élèves, comment “répartir” l’énergie et l’attention accordées à chacun  d’entre  eux ? Comment  s’assurer  que  tous  les  élèves  sont  en  sécurité,  physique  et psychologique, quand ils sont au collège ?

Quand je lis le dossier de Mourad, je pense à certains élèves que j’ai connus comme enseignante : violence, insolence, difficultés à se concentrer… Dans une classe de 25 élèves, on se retrouve rapidement à consacrer 50% de notre temps à 2 ou 3 élèves. Et les autres ? Les 22 autres ont tout autant besoin de notre attention et de notre énergie, ils ont besoin de pouvoir étudier dans un environnement calme et serein, ils ont le droit de ne pas avoir peur de se faire frapper ou agresser au collège. On touche ici à la question de l’équité, de la justice.

C’est d’ailleurs aussi le cas pour l’ensemble des adultes de l’établissement. Je me suis moi-même retrouvée à être “soulagée” quand telle ou tel élève était absent(e), car cela me permettait d’être moins stressée, et ainsi d’être une meilleure professeure auprès de mes autres élèves.

Quelles solutions trouver face à ce constat ?

Tout d’abord, renforcer les moyens d’accompagnement des élèves, pour éviter d’en arriver à un point de non retour : recruter davantage d’assistants sociaux, d’assistants d’éducation, de psychologues scolaires, d’infirmiers ; consacrer du temps au sein d’un établissement pour se former ensemble à la gestion des conflits ; mettre en place des actions en faveur du climat scolaire (journées d’intégration, coopération entre élèves, tutorats, etc.).

Ensuite, développer le recours aux sanctions éducatives et de responsabilisation : type “travaux d’intérêt généraux”,  partenariats avec des structures associatives, etc.

Enfin, repenser le format du conseil de discipline : rééquilibrer les forces en présence, par exemple avec l’intervention systématique d’un médiateur “avocat” de l’élève et sa famille, qui pourrait préparer le conseil avec eux. Proposer une formation à tous les membres élus du conseil (professeurs, parents, élèves) pour leur permettre de mesurer le poids de leur décision. En cas d’exclusion, accélérer la procédure pour permettre à l’élève de retrouver un établissement plus rapidement.

Regard d’une référente “famille” du PRE

La situation du jeune Mourad pose question quand on sait qu’au début de sa scolarité déjà, il présentait des signes de fragilité. Le bilan de fin de cycle 3 de Mourad relève plusieurs problèmes et difficultés. Qu’est-ce qui a été mis en place ? Ou, qu’est-ce qui aurait dû être mis en place pour aider Mourad à devenir un élève et éviter qu’il comparaisse devant un conseil de discipline pour se faire exclure définitivement ?

Quel est le rapport de la famille de Mourad à l’école ? Quel regard porte-t-elle sur l’école ? La famille a-t-elle compris sa place dans l’accompagnement de son enfant vers la réussite de sa scolarité ? La famille a-t-elle adhéré aux actions proposées pour l’accompagnement de Mourad ? Quel rapport Mourad entretient-il avec sa famille ? Mourad a-t-il passé un test de QI (WPPSI-IV ou WISC-V) ou un bilan orthophonique ? Et quelles en ont été les conclusions ?

Le test de QI est une phase très importante dans le suivi des enfants qui ont le même profil que Mourad.

Dans le lien qui suit, le Centre pluridisciplinaire de détection et d’accompagnement des troubles des apprentissages permet de connaître ce qu’est un test de QI, pourquoi le passer et qui peut le passer : https://www.dys-moi.be/l-evaluation-quantitative-test-qi-wppsi-wisc-wais

Chez l’enfant et l’adolescent, le test de QI reste souvent le seul critère indiscutable pour faire accepter certains éléments dans le milieu scolaire. Il peut donc être bien utile afin d’ouvrir le dialogue avec les enseignants et envisager des aménagements divers pour le bien-être de l’enfant. Dans un cadre plus général, faire passer un test de QI à un enfant permet d’être certain que le problème est bien là, permet de lui redonner confiance en lui et de prévenir un problème. Le test de QI est donc une étape indispensable afin d’aborder la situation de difficulté ou d’échec scolaire d’un enfant suspecté de DYS (dyslexie, dysphasie, …). Les tests de QI permettent de rechercher et d’analyser une hétérogénéité dans les résultats. Les conclusions devront être mises en relation avec les symptômes scolaires et les bilans des autres professionnels (logopède, ergothérapeute, psychomotricien, …). Les tests de QI peuvent être passés à tout âge. Les échelles d’intelligence de Wechsler sont les tests de QI les plus utilisés en Belgique. Ils sont, par ailleurs, validés sur le plan international et utilisés dans le monde entier :

WPPSI-IV (nouvelle version depuis mai 2014) pour les enfants de 2 ans 6 mois à 7 ans 3 mois,

WISC-V (nouvelle version depuis octobre 2016) pour les enfants de 6 ans à 16 ans 11 mois

La situation de Mourad nécessite un bilan neuropsychologique ou un bilan orthophonique, et cela relève des missions de la psychologue scolaire. Un bilan aurait permis de connaître les troubles  de Mourad,  leur  origine  et  de  mettre  en  place  un  PAP (projet  d’accompagnement personnalisé) par matière, afin de répondre plus efficacement aux besoins de Mourad et lui donner goût à l’ apprentissage. Et c’est la première action de l’accompagnement pour Mourad. Un dossier MDPH aurait pu  être  constitué, ce  qui  aurait  permis  à  Mourad  de  profiter de l’accompagnement d’un AESH.

Toutefois, il est important de souligner qu’au-delà de la nécessité de collaboration des acteurs travaillant autour d’un enfant en situation de fragilité scolaire, l’adhésion des parents aux actions proposées est primordiale, ce qui implique que rien ne peut être mis en place pour Mourad sans l’accord de ses parents.

Une fois le bilan fait et le diagnostic posé, le Programme de Réussite Educative (PRE), peut être sollicité avec des demandes bien précises de l’école et surtout de la famille.

https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/programme-de-reussite-educative-35

Le dispositif Programme de réussite éducative (PRE) a été mis en place en 2005. Il vise à remédier à un ensemble de difficultés rencontrées par des enfants et des jeunes, en leur proposant un suivi personnalisé à travers le parcours de réussite éducative.

Le premier enjeu consiste à recueillir la pleine adhésion des familles afin de faire bénéficier leur enfant de ce dispositif. Il importe, en effet, que la famille se mobilise pour accompagner son enfant dans ce projet.

Le deuxième enjeu est de s’appuyer sur le droit commun existant et de le mobiliser. La bonne marche de ce dispositif nécessite de travailler étroitement en réseau avec les acteurs présents sur le territoire : enseignants, directeurs d’école, assistantes sociales, médecin scolaire, etc.

Concernant Mourad, on se pose plusieurs questions : à quel moment le PRE a-t-il été sollicité ? Quelle était la demande de l’école au moment de la sollicitation du PRE ? Qu’est-ce qui a été fait par le PRE ?

Ce qui aurait pu être mis en place par le PRE pour aider Mourad

Dans la situation de Mourad, la famille est reçue pour un entretien exploratoire qui permettra à la référente  de  parcours  d’avoir  les  billes  nécessaires  pour  la  mise  en  place  d’un  parcours personnalisé. Le PRE accompagnera la famille, si nécessaire, vers les soins, c’est-à-dire la prise de rendez-vous chez les professionnels de santé tels que : l’orthophoniste, l’ophtalmologiste, ORL, … pour recevoir les soins adaptés.

Une orientation de la famille vers le CMPP (Centre Médico-Psycho-Pédagogique) pourrait être pertinente en fonction des besoins qui seront identifiés dans le parcours de Mourad. Le CMPP ferait un accompagnement plus complet, vu que son équipe est pluridisciplinaire. Mourad pourrait passer un bilan de psychomotricité et bénéficier d’un suivi du psychologue pour travailler la place de Mourad dans sa famille, son rapport à l’adulte. Il pourrait aussi s’exprimer sur la manière dont il vit ses difficultés scolaires.

Au niveau même du PRE, les ateliers Ludolang (dont l’objectif est de travailler l’expression orale des enfants à partir de la classe de CE2 jusqu’à la classe de CM2, à travers le jeu) et la Remédiation Cognitive (qui travaille le raisonnement logique des enfants, de la classe de CM1 à la 6ème, dans la résolution d’un exercice à travers le jeu), seront proposés à la famille de Mourad afin de l’aider avant son inscription en classe de 6ème.

La référente de parcours inscrira également Mourad à l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville (AFEV) qui est un dispositif qui se déplacera chez Mourad, 2 heures par semaine, pour lui apporter une attention particulière et travailler son rapport à l’école en lui montrant que le savoir peut être facilement accessible, également pour lui. La pratique d’une activité culturelle ou sportive en vue de travailler la confiance en soi, sera aussi proposée à la famille de Mourad.

La référente de parcours et la référente famille travailleront avec la famille le lien parents/enfants à travers des ateliers parents/enfants. Le service de la persévérance scolaire qui, dans ses missions, a la possibilité de se déplacer chez les familles, sera sollicité dans le parcours pour observer les conditions  de  vie  de Mourad  et  de  sa  famille,  récolter  plus  d’informations  sur  la  relation parents/enfants au sein de la famille de Mourad. Cela permettra à la référente famille de mettre en place un atelier parents/enfants adapté. La référente de parcours du PRE devra aussi travailler avec la famille de Mourad, le lien école/famille. Pour cela, il est important de connaître le rapport de la famille à l’école, savoir le regard que la famille porte sur l’école. Est-ce un regard selon sa culture d’origine ? Est-ce que la famille comprend ce que le système scolaire français leur demande en tant que parents ? Apporter des réponses à toutes ces interrogations permettrait de comprendre “l’absence” de la famille et de l’amener à être plus présente et à travailler l’acceptation de l’orientation de Mourad en SEGPA.  Aussi, inviter les parents de Mourad à participer aux cafés des parents pourrait favoriser leur entrée à l’école et leur permettre de partager les expériences d’autres parents d’élèves.

Le PRE aurait aussi pu accompagner Mourad et sa famille dans la préparation du conseil de discipline et être présent au conseil pour défendre Mourad. La référente de parcours aurait, après avoir entendu la version des faits de Mourad, aidé à préparer sa défense.

Le service de la persévérance scolaire avait pleinement sa place dans l’accompagnement de Mourad pour favoriser son implication dans sa scolarité. Et même après son exclusion, la persévérance scolaire aurait mis en place un accompagnement pour éviter qu’il se déconnecte de l’école.

Au vu de toutes les informations reçues dans le récit de la situation, il est clair qu’il y a eu un réel problème dans le suivi de Mourad. Les parents de Mourad et chaque structure et acteur qui ont été sollicités au cours du parcours scolaire de Mourad n’ont pas fait ce qu’il fallait. L’exclusion de Mourad est la preuve de l’échec des adultes qui auraient pu aider Mourad. Cet échec pourrait rendre les rapports de Mourad avec l’adulte plus difficiles. Les problèmes de Mourad depuis l’école élémentaire n’ont fait qu’empirer. La frustration que provoquent ces difficultés le pousse à être insolent. Il a peut-être le sentiment que l’adulte ne s’intéresse pas à lui ou que l’adulte n’est que dans le jugement avec lui. L’insolence n’est-elle pas pour Mourad un moyen de fuir une scolarité dans laquelle il n’arrive pas à trouver sa place et à s’épanouir ?

Regard d’un coordinateur d’une structure du PRE

Avant un conseil de discipline, il serait souhaitable de généraliser le système du fil continu qui existe sur la commune où je travaille.

Dans le cas de Mourad, si le fil continu existait sur sa ville, il aurait pu être orienté par le collège sur la structure. Il aurait pu être accueilli durant le temps d’une mesure conservatoire. Une mesure conservatoire est une disposition par laquelle le chef d’établissement a la possibilité, en cas
de volonté de maintenir l’ordre, d’interdire l’accès de l’élève à l’établissement, en attendant la tenue du conseil de discipline.

Mourad aurait donc pu être sur le fil continu, le temps de sa mesure conservatoire, avec l’accord de ses parents. Il aurait donc été accueilli, dès le lundi matin suivant son exclusion, avec ses parents pour leur expliquer le travail qui y serait mené.

L’objectif de la structure est de travailler sur l’acte reproché au collège mais aussi de travailler sur le conseil de discipline.

Par rapport au conseil de discipline, nous travaillerons sur ce que veut Mourad à l’issue de cette instance (peut-être veut-il veut rester ou peut-être veut-il partir ?). Nous travaillerons sur la posture de Mourad durant le conseil de discipline, mais aussi sur celle de ses parents. Durant ces moments, nous réfléchirons avec Mourad sur les arguments et les raisons pour lesquels il veut rester dans son collège. Nous chercherons surtout à ce qu’il comprenne et accepte qu’il risque l’exclusion définitive.

Le fil continu accompagne les familles durant cette mesure conservatoire, il informe et explique comment se déroule un conseil de discipline.

Nous aidons les familles à formuler leur « défense » et à adapter leur discours face à l’institution “Éducation nationale”. Le fil continu aide la famille à comprendre ce moment et à le « digérer ». Le travail avec l’enfant est fait de sorte à ce qu’il puisse être à l’aise et qu’il puisse s’exprimer sans difficulté. Ces différents moments préparent la famille dans les sanctions que peut décider le conseil : exclusion définitive, sursis…

Je n’ai jamais participé à un conseil de discipline en tant que professionnel. Je pourrais y participer, y accompagner les parents et leurs enfants (des demandes ont été faites plusieurs fois). Mais une règle qui est arrivée de nulle part (je n’en connais pas l’origine) n’a pas permis cela. En effet, l’ancienne coordinatrice du fil continu (coordinatrice qui était en détachement de l’éducation Nationale pour travailler dans le PRE de G.) expliquait que le fait de signer une convention entre la ville et l’Éducation nationale ne permettait pas d’être présent sur une instance de conseil de discipline, et que la perception qu’aurait l’Éducation nationale si quelqu’un de l’équipe du fil continu devait participer à cela, serait très mauvaise.

Le conseil de discipline est un moment très difficile pour l’enfant et sa famille. J’ai rencontré bien des familles dans ces moments-là, des familles très angoissées, qui se posent tout un tas de questions sur la suite de la décision du conseil de discipline. Est-ce que leur enfant va être scolarisé ou non ? Ils pensent à l’orientation de leur enfant : est-ce qu’il pourra avoir une bonne orientation pour le lycée sans que cette exclusion définitive pose un problème quelconque ? J’ai vu beaucoup d’enfants pleurer, beaucoup de familles pleurer, je me demande si cette instance aujourd’hui doit être maintenue telle quelle ou si elle doit être améliorée, adaptée ?

L’école pour tous ? Des enfants qui ont du mal à s’adapter dans le système classique actuel, des enfants en décrochage depuis bien longtemps (dans le cas de Mourad depuis la primaire), des enfants qui s’ennuient en classe, des enfants avec des problématiques familiales importantes, des enfants avec des problématiques psychologiques… Est-ce que l’école aujourd’hui est adaptée pour tout le monde ? Doit-elle l’être ?

Regard d’une principale de collège

Personnel de l’Éducation nationale, tour à tour enseignante, cheffe de travaux et personnel de direction, j’ai très majoritairement, pour ne pas dire toujours, mal vécu les tenues des conseils de discipline. C’est pour moi un véritable échec de l’institution, cela traduit un échec de notre mission éducative.

J’ai toujours exercé en éducation prioritaire et j’ai le sentiment que trop peu de parents usent du recours et se posent en victimes d’une injustice. Cette instance est, à mes yeux, décisive dans la scolarité de l’élève. En tant que présidente du conseil de discipline, je ne suis ni magistrate, ni juriste et pourtant avec les membres dudit conseil, nous prenons des décisions parfois lourdes de conséquences pour les élèves. En tant que cheffe d’établissement, je suis régulièrement amenée à rappeler les principes généraux du droit :

–     le principe de légalité,

–      le principe d’individualisation des sanctions, le principe de proportionnalité de la sanction,

–     le principe du contradictoire.

Dans la représentation de la plupart des usagers, le conseil de discipline est le tribunal propre à l’Éducation nationale, l’arme absolue pour se séparer définitivement d’un élève.

Le chef d’établissement réunit le conseil de discipline pour statuer sur les manquements les plus graves au règlement intérieur. L’appréciation est laissée au seul chef d’établissement sachant qu’il n’existe pas de liste exhaustive et que le code de l’éducation n’impose la tenue de cette instance que pour violence physique envers un membre du personnel de l’établissement. Même si ces faits sont rarissimes et ne font pas débat, le chef d’établissement convoque trop souvent l’instance, pour acheter la paix en salle des professeurs notamment. Une solution pourrait être que le conseil de discipline soit présidé par un chef d’établissement extérieur à la structure. La décision de saisir le conseil de discipline relève de la seule compétence du chef d’établissement mais cette saisine peut aussi survenir en réponse à une

demande écrite d’un autre membre de la communauté éducative : professeurs, personnels d’éducation, d’orientation, administratifs, techniciens, ouvriers, de service, de santé et sociaux, parents d’élèves.

Au moment de l’entrée de l’élève et de ses représentants légaux, il m’arrive d’avoir envie d’endosser le rôle du défenseur trop souvent absent dans les quartiers défavorisés. Il en est de même au début du contradictoire car trop souvent la parole donnée aux comparants n’est pas prise et certains ne s’autorisent pas à donner leur version des faits.

Mon système de valeurs est régulièrement heurté quant à la tenue de cette instance disciplinaire. Notre mission est d’éduquer et non d’exclure, notamment quand les élèves que nous accueillons sont fragilisés de par des conditions sociales et familiales dégradées, et lorsque les adultes ne garantissent pas un cadre sécurisant censé réunir les conditions optimales d’apprentissage. Les enseignants doivent se saisirent des solutions éducatives avant de penser à se débarrasser d’un élève.

L’usage des conseils de discipline ne peut être la réponse apportée aux difficultés rencontrées par un grand nombre d’enseignants entrant notamment dans le métier ou exerçant en éducation prioritaire pour les mauvaises raisons.

Trop souvent, j’ai le sentiment que tout est joué d’avance et que je dois être très convaincante pour que les membres, autres que les personnels enseignants qui ont déjà pris leur décision, n’aillent pas jusqu’à l’exclusion définitive.

Les membres du conseil de discipline sont souvent plus indulgents avec les élèves qui sont “bien accompagnés” et qui font amende honorable. On peut donc s’interroger sur le principe d’égalité et d’équité de cette instance.

5. Ce qu’en disent les membres du conseil de discipline ou non au regard de leur qualité (à la mode micro-trottoir)

Le point de vue d’un parent d’élève dans le cadre de l’évaluation de l’établissement

Sur le conseil de discipline, bon, vous connaissez déjà mon avis, euh, mais après c’est aussi ma position en tant que parent et du fait de ma profession et de ce que je vois aussi au quotidien. Je trouve qu’on est trop d’un côté prof, d’un côté parents et puis profs qui en ont parfois un peu ras-le-bol et qui veulent sanctionner pour sanctionner et d’un côté parents, voilà, avec une autre sensibilité en se disant mais, ok, ils sont casse-pieds mais il faut tout entendre sauf pour les grosses infractions, les actes. Mais je me dis qu’on est en tous les cas dans un quartier difficile et que oui des fois, on est un peu durs. Après, c’est le jeu, c’est le conseil de discipline. On a déjà pu en discuter tous ensemble. Mais d’un côté c’est profs et d’un côté les parents. C’est dommage, on n’arrive pas. Alors on va communiquer, effectivement, cela se passe bien mais sur les décisions, on n’arrive pas à avoir un échange plus constructif finalement. Parce qu’ils arrivent, oui, je pense qu’à la différence de nous, oui, les parents, parce que nous on ne se prépare pas, on ne connaît pas l’enfant. J’ai souvent en tête que Mme B. vient lire le dossier mais moi je ne viens pas. Je pense que les profs se préparent du coup. C’est l’impression que cela me donne. Ils se préparent en amont et ils savent déjà ce qu’ils ont en tête. Alors que nous, on arrive et puis on découvre la situation sur le moment, quoi. Il manque peut-être un temps de communication entre nous pour savoir ce qu’ils vivent, ce que nous on vit parce qu’on est prêts à l’entendre mais des deux côtés, ce que l’on ressent.

Le point de vue d’un Conseiller Principal d’Education

A quoi penses-tu quand on te dit “conseil de discipline” ?

Je pense tout de suite à la violence, la violence institutionnelle. Un seul enfant se retrouve face à une assemblée de 14 adultes. C’est très dur.

Je me dis aussi que cette violence peut être nécessaire, car notre rôle est de les préparer à la vie “réelle”, qui ne sera sans doute pas tendre avec eux.

Quelle est ton expérience ?

J’ai participé à beaucoup de conseils de discipline. Le plus dur, c’est quand je dois participer à un conseil alors que je ne pense pas que la “faute” de l’élève le mérite.

J’ai pu observer des comportements très différents chez les familles : parfois violents (envers le collège, ou envers l’enfant lui-même), parfois désabusés. Souvent, les conseils de discipline mettent en avant des problématiques au sein de la famille. D’ailleurs, les conséquences d’une exclusion seront très différentes selon l’attitude de la famille : soit elle aide l’enfant à reconnaître sa responsabilité, soit au contraire elle rejette toute la faute sur l’institution, et c’est alors très dur pour l’enfant de bien rebondir.

Est-ce que tu aurais des idées d’amélioration ?

Je pense qu’il est indispensable que l’élève puisse préparer son conseil avec un adulte, soit dans l’établissement, soit en dehors, et que ce soit fait de façon systématique. Souvent, les enfants sont très impressionnés, bafouillent, ce qui n’arrange pas les choses.

Il faudrait également mieux former les membres du conseil : professeurs, parents d’élèves…

Concernant les exclusions, je pense qu’elles peuvent être bénéfiques dans certains cas, mais il faudrait mieux préparer “l’après” avec l’enfant, pour l’aider à continuer son parcours scolaire. Il faudrait également développer davantage les mesures de responsabilisation, prévues depuis 2011.

Le point de vue d’un principal adjoint

A quoi penses-tu quand on te dit “conseil de discipline” ?

J’ai dix secondes de réflexion ou pas ? Euh, sanction pédagogique.

Quelle est ton expérience ?

Je peux dire tout ce que je veux ?

Le positionnement des profs pour moi n’est pas bon. Ils sont trop dans la sanction lourde pour se débarrasser de l’élève.

Est-ce que tu aurais des idées d’amélioration ?

Dans un conseil de discipline ? C’est compliqué. Je trouve réellement qu’on les mène plutôt bien. Je ne sais pas ce que tu en penses, ils sont plutôt bien menés. Euh, comment les améliorer ? La question serait donc comment arriver à changer le positionnement des profs. Elle est compliquée cette question-là. Comment tu peux améliorer un conseil de discipline ? Je ne sais pas.

Le point de vue d’un adjoint gestionnaire

A quoi penses-tu quand on te dit “conseil de discipline” ?

A discipline, à sanction.

Quelle est ton expérience ?

Personnellement, je ne suis jamais passée en conseil de discipline, j’ai toujours été du côté des adultes. Ce n’est pas facile, ce n’est pas un moment heureux mais cela peut être pédagogique. Le but c’est que cela soit pédagogique, justement. Il faut en sortir le meilleur.

Est-ce que tu aurais des idées d’amélioration ?

Cela revient toujours au fait qu’ici, la communication avec les parents est compliquée. Il faudrait que les parents s’impliquent plus et qu’ils se rendent compte de ce que font leurs enfants dans l’établissement pour prendre en main un peu plus les choses. Cela serait bien, si voilà, que cela soit pédagogique aussi pour les parents. Dans d’autres bahuts, non, mais ici ce serait bien.”

Le point de vue de deux enseignants du collège interrogés au hasard dans un couloir

A quoi pensez-vous quand on vous dit “conseil de discipline” ?

Prof A : A quelque chose de négatif pour l’élève et qui malheureusement devrait être positif notamment pour qu’il puisse avoir une meilleure image dans un autre établissement.

Prof B : Oui, c’est qu’il y a une rupture dans le contrat avec l’établissement, dans le cadre scolaire avec le règlement intérieur. Les règles de l’établissement n’ont pas été respectées. Spontanément.

Quelle est votre expérience ?

Prof B : Moi indirectement oui, j’ai eu une expérience quand un élève m’avait bousculé l’année dernière ou il y a deux ans, et qu’il a fallu que je vienne témoigner sur les circonstances dans lesquelles cela s’était passé. Et puis après, juste les retours en salle des professeurs quand on débriefe après un conseil de discipline : ce qui s’est passé, ce qui s’est dit mais directement autrement non.
Prof A : Moi aussi c’était indirect notamment par rapport à cette année en tant que professeure principale où on a eu notre mot à dire mais c’est tout. Ce n’est pas forcément facile de dresser un portrait complet de l’élève quand on n’a pas les retours de toute l’équipe et que l’on a juste, quelque part notre point de vue de prof aussi de cet élève.

Prof B : C’est court le fait d’arriver en cours de conseil de discipline et de ne pas savoir forcément tout ce qui s’est dit et même alors moi quelque chose qui me manque un petit peu ce sont les informations qu’on peut avoir sur le contexte extérieur parce que par exemple, quand on demande un conseil de discipline, on ne sait pas forcément ce qui peut y avoir dans la vie de l’élève qui peut expliquer aussi son comportement qui le fait passer en conseil de discipline. Il manque parfois des informations mais parfois c’est juste quand on demande le conseil de discipline que l’on apprend qu’il y a de gros problèmes. Donc, le conseil de discipline, c’est aussi pour nous, l’occasion d’apprendre des choses et que l’on aurait aimé savoir en amont. Ce sont souvent en général des informations qui sont plutôt confidentielles et que l’on n’a pas toujours forcément à savoir mais qui sortent juste dans ce cadre-là parce que c’est vraiment.

Prof A : Parce que c’est une urgence et qu’il est considéré que l’équipe pédagogique n’a pas besoin de la
connaître.

Prof B : Oui, une espèce de secret professionnel, de principe de confidentialité. Le conseil de discipline est donc l’occasion d’apprendre des choses sur les élèves or on aurait aimé les savoir en amont.

Prof A : Ouais.

Prof B : Parfois on doit prendre des décisions sans avoir toujours les bonnes cartes en main. Et c’est difficile de proposer quelque chose qui ne va pas fonctionner parce que justement, il y a quelque chose de l’extérieur qui va venir faire capoter la solution.

Prof A : Des fois, cela permettrait aussi de mieux comprendre la situation de l’élève et donc de mieux le comprendre aussi et de ne pas forcément agir de la même façon qu’avec un élève qui n’aurait pas de problème à l’extérieur. Moi, je sais que cela m’est déjà arrivé.

Est-ce que vous auriez des idées d’amélioration ?

Prendre le temps de se réunir avant la prise de décision de convoquer l’élève au conseil de discipline.

Le point de vue d’un délégué élève élu siégeant au conseil de discipline

A quoi penses-tu quand on te dit “conseil de discipline” ?

Cela me fait penser à “punition”.

Quelle est ton expérience ?

En tant que délégué élu, quand j’assiste à un conseil de discipline, je vois les parents et l’élève en question. Des parents déçus, déjà, de l’élève. Après cela dépend de la sanction aussi en fonction de ce qu’a fait l’élève. Je me sens à l’aise mais quand je vois les parents déçus, etc., cela m’affecte.

Est-ce que tu aurais des idées d’amélioration ?

Après, tout dépend de l’éducation de l’élève, la pensée de l’élève, l’investissement de l’élève. Je trouve normal que cette instance existe sinon tout le collège, il va partir en vrille.

Le point de vue d’un élève exclu

A quoi pensez-vous quand on vous dit “conseil de discipline” ?

Plusieurs bêtises.

Une autre porte qui s’ouvre, un mal pour un bien.

Le conseil de discipline sert à savoir si on a compris ou pas.

Quelle est votre expérience ?

Stressé de dire une chose qu’il ne fallait pas dire. Attristé par une décision très dure.

Est-ce que vous auriez des idées d’amélioration ?

Pas vraiment neutre, la principale a influencé les membres du conseil de discipline. Il faudrait qu’il se tienne ailleurs, dans un autre collège, pour être jugé correctement.

Le point de vue d’un parent d’élève exclu

A quoi pensez-vous quand on vous dit “conseil de discipline” ?

Je ne savais pas ce que c’était un conseil de discipline. Après explication pour moi, c’était renvoyer un
enfant.

Quelle est votre expérience ?

Une très mauvaise expérience, une mauvaise période, un mauvais moment. De l’injustice, un tribunal et de la manipulation.

Est-ce que vous auriez des idées d’amélioration ?

Peut-être qu’il faut garder le conseil de discipline comme il est mais il faudrait donner plusieurs chances aux enfants.

Ce n’est pas une réunion comme celle-là qui va tout arranger. Il faudrait plus de communication, pas qu’un interrogatoire.

Regarder les problèmes des familles au plus large. Ce n’est pas aidant.

Le point de vue d’une professeure des écoles

A quoi penses-tu quand on te dit “conseil de discipline” ?

Exclusion.

Quelle est votre expérience ?

N’enseignant pas dans le second degré, je n’ai pas d’expérience. Cela n’existe pas dans le premier degré et c’est une très bonne chose qu’il n’y ait pas de conseil de discipline dans le premier degré. Pour moi, le conseil de discipline c’est déplacer le problème mais pas le résoudre. Nous, dans le premier degré, un élève qui m’insulterait, comme j’ai pu le vivre l’année dernière, eh bien, cela ne nous viendrait pas à l’idée de l’exclure et on chercherait à résoudre le problème de l’intérieur et de ne pas différer le problème ou décaler le problème. Donc voilà, et nous on fait avec. De même dans le premier degré, il n’y a pas de vie scolaire et ça marche très bien sans vie scolaire.

Est-ce que vous auriez des idées d’amélioration ?

Pas de conseil de discipline du tout !?

Sinon, il devrait y avoir des étapes avant le conseil de discipline et au pire si il a lieu, cela ne doit être qu’en dernier recours. Mais pour moi, cela ne devrait pas exister car il n’est pas censé juger des choses. Le tribunal n’a pas sa place à l’école.

Synthèse : à la lecture de tous ces témoignages, il apparaît que tous les participants semblent mal à l’aise avec la formule actuelle du conseil de discipline, même s’ils ne remettent pas complètement en cause son existence. Tout le monde s’entend sur la nécessité de modifier cette instance pour la rendre plus équitable et adaptée.

A travers le conseil de discipline, c’est surtout la relation école/famille qui se joue. On peut penser ici à la mise en place des cités éducatives : travailler avec des partenaires est essentiel pour que cette instance joue pleinement son rôle de mesure éducative.

6. Les ressources universitaires

La remise en ordre symbolique de l’institution

Les conseils de discipline dans l’enseignement secondaire Bernard Geay, Nathalie Oria, Louise Fromard
Le seuil : “Actes de la recherche en sciences sociales »
2009/3 n°178 – pages 62 à 79

https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-3-page-62.htm

“L’usage plus fréquent des conseils de discipline apparaît ainsi  comme une réponse à l’émergence de nouvelles formes de chahut et aux difficultés professionnelles rencontrées par nombre d’enseignants, mais aussi comme l’expression  des stratégies mises en oeuvre par des parents d’élèves soucieux de préserver les conditions d’études de leurs enfants.”

“Sous l’angle du droit, les conseils de discipline de l’enseignement secondaire présentent des caractères particulièrement  ambigus.  Sans  constituer  à  proprement  parler  un  dispositif  juridictionnel,  ils  font toutefois l’objet d’un encadrement juridique de plus en plus affirmé et sont présentés, dans le discours des représentants des enseignants, des parents ou des personnels de l’administration comme dans les textes les régissant, comme une quasi-juridiction.”

“Les conseils se déroulent tous de la même manière suivant l’ordre prescrit par les textes juridiques.”

À qui la faute ? Les parents face aux manquements scolaires de leur enfant

Zoé Yadan

https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2019-4-page-215.htm

“Le présent article se propose d’appréhender une partie de l’expérience vécue par les parents de Seine-Saint-Denis ou de certains quartiers socialement défavorisés de Paris et convoqués en conseil de discipline, du fait d’un manquement grave au règlement scolaire commis par leur enfant au collège. Il s’agira de dresser une typologie des différentes attributions de la responsabilité de l’acte perpétré par l’enfant. Si une partie des parents attribuent la responsabilité à l’enfant, ou d’autres estiment que la faute revient à l’institution scolaire et ses acteurs, la majorité des parents considèrent qu’ils sont responsables de la situation dans la mesure où celle-ci serait le résultat d’un défaut éducatif dont ils se sentent coupables. Nous montrerons les conséquences de ces attributions différentielles sur les relations avec l’institution scolaire, avec l’enfant ou encore sur l’image de soi du parent.”

L’exclusion temporaire au collège : une déscolarisation instituée ? Benjamin MOIGNARD, Université Paris-Est-Créteil, LIRTES
Co-directeur de l’Observatoire Universitaire International
Education et Prévention (OUIEP)

https://www.fcpe.asso.fr/sites/default/files/ressources/NoteCS_no1_BAT.pdf

“L’exclusion  temporaire  est  la  mesure  la  moins  contraignante  aujourd’hui  pour  gérer  une  réalité complexe. Elle est soumise à un contrôle relatif de la hiérarchie académique, et son ampleur reste souvent  insaisissable  pour les équipes. Mais peut-on se satisfaire d’une forme de déscolarisation instituée, à une époque où la demande d’école ne se dément pas ?”

L’école face à la sanction

Punitions scolaires et sanctions disciplinaires Eirick Prairat

https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-7-page-86.htm

“L’école n’est plus un espace aux modalités de régulation spécifiques, fondées sur l’autorité et sur la légitimité de l’institution. Le contexte d’indiscipline et de violence auquel elle se trouve fréquemment confrontée fait que dans le cadre de mesures réglementaires récentes, elle en appelle au droit et à la justice pénale pour répondre à ces défis. Est-ce trop, est-ce assez ? Réflexion sur ce qui régit ce lieu intermédiaire qui doit, avant tout, rester éducatif.”

Un accueil pour les collégiens exclus : proposer un temps de réflexion et de remobilisation suite à une
sanction

Nicole Dufrenoy, Edwige Core

https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2012-1-page-54.htm#s1n5

Commission disciplinaire et conseil de discipline

Désaccords  et  accords  autour  de  la  convocation  d’une  instance  disciplinaire  dans  un  collège  à recrutement social intermédiaire

Bénédicte Chevit

https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2003-4-page-483.htm

“L’article  se  propose  d’étudier  quelques  exemples  de  convocation  d’une  instance  disciplinaire (commission disciplinaire, conseil de discipline), recueillis  dans la cadre d’un travail de terrain dans un collège “ordinaire”.  Il  n’est  pas  rare  que la réunion d’une instance disciplinaire donne lieu à des désaccords entre les catégories d’agents de l’établissement, voire entre les agents. Chaque agent ou catégorie  juge  la  convocation d’une instance disciplinaire en fonction de sa propre perception de l’existence d’une déviance, de son estimation de la pertinence du recours à une instance disciplinaire, des contraintes que représente pour lui pu pour elle un tel recours.”

Le conseil de discipline, une institution féodale au sein de la République

https://www.meirieu.com/FORUM/conseil_discipline.pdf

“Deux fois sur trois, un Conseil de discipline va prononcer une exclusion définitive, sans “reclassement immédiat”. La question centrale reste à chaque fois la même. Quel métier fais-je ? Est-ce vraiment un métier, ou plutôt une vocation ? Je suis un fonctionnaire du service public de l’Education nationale. Cela entraîne des devoirs dont le premier est de servir les élèves qui me sont confiés. J’ai bien dit servir ; cela me donne t’il le droit de les exclure ? Question difficile quand ma propre intégrité physique ou morale peut être atteinte.”

Catherine Blaya et Laurier Fortin, « Les élèves français et québécois à risque de décrochage scolaire : comparaison entre les facteurs de risque personnels, familiaux et scolaires », L’orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 40/1 | 2011, mis en ligne le 07 mars 2014, consulté le 20 mai 2021. http://journals.openedition.org/osp/2988

https://doi.org/10.4000/osp.2988

7. Pistes de résolution de la situation

– Mieux accompagner les élèves pour éviter “d’en arriver là”.

-> meilleur suivi de l’élève : scolaire, psychologique, sanitaire.

– Préférer un autre type de sanctions :

– mesures de responsabilisation,

– exclusions temporaires avec prises en charge par une association partenaire.

– Avant le conseil de discipline, prévoir une préparation systématique de l’élève et sa
famille.

– Pendant  le  conseil  de  discipline : rééquilibrer  les  forces  en présence grâce à la présence systématique d’un adulte “avocat” de l’élève.

– Après le conseil de discipline, mieux accompagner les élèves exclus dans la suite de leur parcours scolaire.

8. Prendre parti

Au  regard  de  la  situation  analysée,  des  textes  règlementaires,  de  nos  regards  et/ou questionnements, des ressources du côté de la recherche, nous nous rendons bien compte que le simple fait de réunir un conseil de discipline prouve que l’on a échoué dans notre mission éducative. Le “on” pourra tantôt être remplacé par les parents, les enseignants, l’institution, le système… voire les convoquer tous ensemble.

La composition du conseil de discipline montre la prépondérance du personnel éducatif, qui, dans  la  majorité  des  cas,  a  décidé  à  l’avance  de  la  sanction.  On pourrait imaginer que l’assistante sociale, l’infirmière, l’éducateur de quartier soient des membres à part entière et non pas seulement des invités, des témoins.

La décision de réunir le conseil de discipline appartient uniquement au chef d’établissement et la décision d’engagement ou de refus d’engagement n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours au tribunal administratif. Mais alors pourquoi le chef d’établissement est-il à la fois instructeur, juge, avocat et procureur au conseil de discipline ?

Le  conseil  de  discipline  détient  une  compétence  exclusive  lorsqu’un  personnel  de l’établissement a été victime d’atteinte physique mais la réunion du conseil de discipline ne doit plus être réservée aux cas pour lesquels une exclusion définitive est envisagée (BO spécial n°6 du 25 août 2011). Les agressions physiques envers un personnel sont fort heureusement rares mais les chefs d’établissement convoquent très souvent les conseils de discipline pour “apaiser” la salle des professeurs. Mourad aurait dit d’une camarade “elle m’a exclu cette pute”, serait-il passé en conseil de discipline ? Le conseil de discipline peut sembler instruire à charge. La légitimité du chef peut également être interrogée. En effet, on peut se demander qui influence qui ?

Les enseignants ont la mission d’enseigner et ils doivent pouvoir le faire avec un sentiment de confiance et de sécurité pour eux-mêmes et chacun de leurs élèves. Certains enseignants sont en grande difficulté quant à la gestion de leurs classes : ils ne garantissent pas le cadre nécessaire au bon déroulement du cours et ne savent pas gérer les élèves perturbateurs. Le conseil de discipline ne peut pas être la seule réponse à la prise en compte de leurs difficultés. Les établissements doivent avoir une approche collective de la prise en charge des élèves en difficulté et  des  élèves  perturbateurs,  en  créant  des  collectifs  de  travail,  en  sollicitant  des formations  à  initiative  locale (stage  établissement),  en  accompagnant  les  personnels  en souffrance.

Pour MIGNARD, trop souvent, la violence arrive lorsque l’élève n’a plus de réponse, qu’on ne lui  propose  rien  d’autre  que  le  constat  de  ses  propres  échecs, qui  sont  autant les siens que  ceux  de l’institution. L’obstacle cognitif comme l’obstacle comportemental peuvent être dépassés en proposant d’autres travaux, d’autres méthodes, d’autres organisations.

En tous les cas, et c’est peut-être un parti pris, plus aucun élève ne devrait être exclu sans une rescolarisation immédiate avec un projet assigné par l’établissement qui a entériné l’exclusion définitive. Ce projet engagerait chacun des acteurs et on peut faire le pari qu’au regard de cette obligation, le nombre de conseils de discipline diminuerait et qu’un plus grand nombre d’acteurs aurait le sentiment de réussir leur mission éducative.

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