La gestion des devoirs non-rendus

Résumé

Le récit et l’analyse de cette situation ont été produits par un groupe de 2 professeur.e.s-stagiaires en 2015-2016. Ils/elles ont été accompagné.e.s par une formatrice durant 4 séances de 3h durant lesquelles ils ont pu bénéficier de ses remarques, questionnements et conseils. La production qui suit est une deuxième version c’est à dire que les stagiaires ont effectué quelques remaniements à partir de remarques formulées par la formatrice sur la première version.

1. Choix de la situation

La situation s’est déroulée au sein d’une classe de 1ère STMG, dans un lycée général et technologique. L’enseignant concerné par la situation est professeur stagiaire d’économie gestion, depuis septembre 2015. Il enseigne dans cette classe l’Économie et le Droit. La classe est constituée de 30 élèves. C’est une classe relativement homogène, dans un établissement du Val d’Oise (95). L’ambiance y est relativement tendue, entre élèves et équipe enseignante et entre élèves eux-mêmes, notamment à travers des moqueries et du harcèlement. Les professeurs évitent de tourner le dos à la classe car il y a eu plusieurs incidents : jet de capuchons, jet de chaises sur luminaires, utilisation de bombes lacrymogènes. Les élèves proviennent d’un milieu social plutôt populaire et peu aisé.

Le cours concerné a lieu les vendredis, de 14H30 à 15H30. C’est le dernier cours de la semaine pour les élèves comme pour le professeur. La situation décrite s’est déroulée en Janvier 2016. Les élèves sont en classe entière pour la deuxième fois de la semaine (ils ont également cours le jeudi de 8H30 à 9H30) et sont assis selon un plan de classe défini préalablement par l’enseignant. Le thème abordé concernait le PIB (en Économie) et les élèves étaient tenus de rendre ce jour-là, un devoir maison qui consistait à réaliser un argumentaire de 5 à 10 lignes sur le thème « Quelles mesures peut prendre un État pour favoriser la croissance de son PIB ? ». Toutes les notions relatives à ce thème avaient été vues en cours.

L’enseignant avait prévu de relever des copies en vue de les noter. Il a dans un premier temps, sollicité des volontaires. Seulement deux élèves sur trente se sont désignés malgré plusieurs relances de la part de l’enseignant. L’enseignant a donc tiré des noms au sort dans la liste des élèves. Sur huit élèves tirés au sort, aucun n’avait fait le travail. Les élèves concernés ont tous répondu à l’appel de leur nom : « Je ne l’ai pas fait ». Il y eut un grand silence dans la classe.

2. Les problèmes que cela pose

1. Une situation déstabilisante

L’enseignant a confronté les élèves, pour la première fois, à une situation de travail à faire à la maison, à laquelle ils n’étaient pas habitués dans cette matière. Cette nouvelle attente de la part du professeur a probablement été déstabilisante pour les élèves. En effet, l’enseignant n’avait pas donné de travail à la maison jusqu’à ce jour. Cela demandait donc aux élèves d’une part, de se mobiliser sur une matière pour laquelle ils n’avaient pas l’habitude de travailler chez eux, d’une semaine sur l’autre, à l’exception des contrôles. D’autre part, ce travail impliquait d’y consacrer une quinzaine de minutes sur leur temps libre.

Pour l’enseignant, la situation fut déstabilisante compte tenu du faible nombre de copies récupérées (2 sur 30 devoirs). Cette situation a engendré un questionnement de sa part sur la motivation des élèves pour sa matière. Ce fut une grande surprise pour lui.

2. De quelles informations disposait ou ne disposait pas le professeur ? Réflexions et questionnements

Le travail demandé nécessitait un investissement de quinze minutes environ, cependant le professeur aurait pu prendre connaissance des points suivants pour s’assurer de la bonne exécution du travail à la maison:

  • La bonne prise de note par les élèves des devoirs et date de rendu dans les agendas.
  • La bonne description par le professeur du travail à faire dans Pronote. Et en cas d’absence au cours ou de mauvaise prise de note des devoirs le réflexe de consultation de Pronote de la part des élèves.
  • La quantité de travail demandée par l’ensemble des professeurs et leurs matières, sur ladite semaine.

Les conditions matérielles requises pour réaliser le travail dans de bonnes conditions :

  • Espace de travail disponible et calme.
  • Un matériel informatique et une connexion internet, bien que l’ensemble des informations soient disponibles dans le cours.
  • Une méthodologie pédagogique suffisamment vue en classe pour permettre à l’élève de réaliser le travail demandé, seul à la maison.
  • La prise en compte par le professeur, d’un manque de motivation des élèves pour le devoir, pour ainsi proposer une stimulation adaptée (par bonification ou par sanction).

3. Une réponse non évidente

Face à des devoirs non faits, la réponse à apporter par le professeur n’est pas évidente.

  • Faut-il sanctionner de suite les élèves qui n’ont pas rendu leurs devoirs, par un zéro ?
  • Faut-il sanctionner les élèves n’ayant pas rendu leurs devoirs, par une heure de retenue durant laquelle ils réaliseront ce dernier ?
  • Faut-il accorder un nouveau délai d’une semaine voire deux délais, à ceux qui ne l’ont pas fait, en retirant tout de même des points ?
  • Faut-il juste notifier le « non rendu » sans note, pour les élèves concernés ?
  • Faut-il leur permettre de faire leur devoir non fait durant la séance de cours ?

La réponse n’est certes pas évidente, cependant elle peut être influencée par une posture réflexive de l’enseignant sur le questionnement susmentionné.

4. Les conséquences et enjeux pour les élèves et l’enseignant

Chaque posture prise par l’enseignant face à une situation de devoir non rendu, impacte sur la relation professeur- élève, professeur- classe et sur le comportement futur des élèves vis-à-vis des devoirs maisons mais également sur le niveau scolaire des élèves. De plus il y a une forte corrélation entre la réaction du professeur face à un travail non fait et l’image d’enseignant qu’il renvoie à ses élèves (laxiste, sévère, impliqué.e, paternel/maternelle).

Une approche non adaptée d’une manière générale peut engendrer des comportements décrocheurs auprès de certaines catégories d’élèves, qu’il sera difficile de rattraper. En effet, un élève cumulant déjà des difficultés cognitives, méthodologiques et comportementales, se retrouvera, face à une attitude laxiste du professeur, dans une spirale de travaux maisons jamais rendus. Ceci pourra, dans certains cas, être source de décrochage scolaire car il ne bénéficiera pas des avantages de l’entraînement pédagogique que constitue le devoir maison.

Les devoirs maisons présentent plusieurs enjeux pour les élèves. Les bénéfices sont nombreux ; ils permettent à l’élève de valider ses acquis notionnels et méthodologiques. Ils permettent aussi de travailler l’autonomie. Ces trois critères sont essentiels pour la réussite à court et plus long terme de l’élève (études supérieures). Les devoirs maisons, qui sont des évaluations formatives, constituent une partie intégrante de l’enseignement scolaire. Le fait de se soustraire à cette méthode d’apprentissage est ainsi potentiellement préjudiciable à l’élève. Le devoir maison permet à l’élève de se réapproprier les notions vues en cours avec du recul et ainsi demander, le cas échéant une remédiation ciblée et fonction de ses besoins, au professeur. Ce dernier point permet également au professeur d’avoir un retour d’informations sur le niveau d’acquisition des notions et des méthodologies de chaque élève, en dehors des évaluations en classe qui ont un caractère plus sanctionnant car en général, les élèves n’ont pas droit aux documents (cours + exercices). Les devoirs maisons sont ainsi un miroir pour l’enseignant lui permettant d’adapter sa progression et de revenir sur des notions et méthodologies non acquises par la majorité du groupe. En outre, les risques en cas de devoirs maisons non rendus sont réels. Tout d’abord le professeur et les élèves se privent des bénéfices listés ci-dessous :

  • Pas d’acquisition d’autonomie de travail ;
  • Manque d’entrainement sur la méthodologie et l’acquisition des notions ;
  • Remédiation plus tardive, en cas de nécessité ;
  • Moins bonne connaissance de l’élève (environnement familial, moyen matériel) : l’analyse des raisons des devoirs permet à l’enseignant d’y apporter des solutions palliatives par exemple, mettre l’élève avec d’autres élèves possédant une connexion internet le cas échéant, alerter les parents ou l’assistante sociale en cas de mauvaises conditions de travail.

De plus le travail maison permet à l’enseignant d’enrichir le bulletin des élèves avec de nombreuses notes qui peuvent être facilement d’un bon niveau et donc remonter la moyenne de l’élève. Et enfin le temps alloué en classe peut être insuffisant pour couvrir, et le programme, et les exercices d’application. Le meilleur apprentissage ne réside-t-il pas dans la fréquence de l’entraînement ? L’enseignant fait partie d’une équipe pédagogique où les pratiques des uns influent sur le comportement des élèves vis-à-vis du travail maison, toutes matières confondues.

Deux interrogations peuvent donc être soulevées : si seul un enseignant de l’équipe pédagogique donne du travail maison, les élèves seront-ils plus ou moins enclin à le réaliser que si la majorité de l’équipe pédagogique leur donne des devoirs régulièrement ? Un professeur a-t-il plus de chance d’avoir des devoirs maisons réalisés lorsqu’il en donne régulièrement ou de temps en temps ?

3. La dimension réglementaire

Depuis 1956 mais uniquement en école primaire, les devoirs maisons écrits sont interdits. Cette interdiction a été souvent rappelée mais si on en croit le rapport n°2008-086 d’octobre 20081Le travail des élèves en dehors de la classe État des lieux et conditions d’efficacité, Rapporteurs : Viviane BOUYSSE, Christine SAINT-MARC Henri-Georges RICHON, Philippe CLAUS, Octobre 2008., il semblerait que les textes restent flous sur ce que l’école peut s’autoriser et doit s’interdire. De plus, selon une étude du Haut Conseil de l’évaluation de l’école « les limites de cette interdiction tantôt réduite aux devoirs, tantôt aux travaux écrits, sont plus ou moins nettes ». De plus, la succession des textes qui rappelle l’interdiction (1956, 1961, 1971), souligne les réticences rencontrées dans son application malgré la loi. Ainsi les devoirs continuent en effet à être donnés aux enfants de primaire car « un accord implicite semble être passé entre professionnels pour outrepasser la règle »2http://www.bienlire.education.fr (Haut conseil de l’évaluation de l’école) et ceci, bien que la loi soit très claire et stipule que cette prescription a « un caractère impératif et les inspecteurs départementaux de l’enseignement du premier degré, sont invités à veiller à son application stricte ».

Historiquement, l’arrêté du 23 novembre 1956 (B.O. n°42 du 29-11-56 p. 3005 ) aménageait les horaires des cours élémentaires et moyens des écoles primaires de façon à dégager cinq heures par semaine pour la rédaction des devoirs. En effet, cette loi stipulait que « six heures de classe bien employées constituent un maximum au-delà duquel un supplément de travail soutenu ne peut qu’apporter une fatigue préjudiciable à la santé physique et à l’équilibre nerveux des enfants ». De plus il semblerait que le travail écrit, fait en dehors de la classe, sans la présence du maître et dans des conditions matérielles et psychologiques décrites comme souvent mauvaises, ne présentent qu’un intérêt éducatif limité.

À notre connaissance, aucun texte réglementaire ne traite du sujet des devoirs maisons dans l’enseignement secondaire. Cependant, certains rapports dont le rapport n°2008-086 d’octobre 2008 de l’inspection générale de l’Éducation Nationale et adressé à Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale, font certains constats et mettent en avant quelques recommandations. Même si ces dernières sont plutôt orientées vers le primaire, elles soulignent des faits qui peuvent s’appliquer également au secondaire. Historiquement, l’élève français, depuis le CP et jusqu’au secondaire, doit effectuer un travail en dehors de l’école, en nature et quantité variable, selon les niveaux de classe et principalement en français et en mathématiques. Parents comme enseignants le jugent indispensable s’il reste limité. Cette analyse et ce rapport seront vus plus en détail en partie « VI »de cette étude « des ressources universitaires ».

4. Ce qu’en disent des collègues

Pour étayer notre analyse, confirmer et compléter notre prise de partie, il semble pertinent de recueillir l’avis de collègues de nos lycées.
Le tableau présenté ci-dessous retranscrit les pratiques pédagogiques des collègues enseignants, relatives à la gestion des devoirs maisons et les sanctions éventuelles.
L’entretien repose sur quatre questions principales :

1° La discipline enseignée. Elle donne tout d’abord un niveau d’information sur la quantité de travail donnée par le professeur en rapport ou non au poids de la matière (en nombre d’heures semaine). Elle indique également la prise de conscience ou non de l’élève sur l’importance de cette matière. En d’autres termes, les devoirs non faits n’impactent t’ils que les matières dites « moins générales » ?

2°Le niveau d’enseignement. L ‘objectif est de souligner s’il y a un plus grand nombre de devoirs maison faits dans les classes supérieures (terminale) qu’en seconde par exemple, ou si les résultats sont comparables.

3° la mise en pratique du devoir maison comme outil pédagogique. L ‘objectif est de rendre compte des différentes pratiques des collègues, au regard des devoirs maison.

4° Les mesures prises en cas de devoirs maison non faits. L ‘objectif est de faire émerger les différentes postures de l’enseignant face à des devoirs maison non faits.

Matière du collègueLe collègue donne des devoirs maison, si oui sous quelle forme ?Posture du collègue en cas de devoirs maison non faits
Histoire géographie, 2nde à terminaleTrès peu car inégalité entre les élèves. L’objectif des devoirs maison est de faire augmenter la moyenne. Souvent du type exercice à finir. Les devoirs maison se limitent souvent à l’apprentissage d’une leçon.La majorité des élèves font leur travail, pour les autres, il y a une 2nde chance sinon un « 0 ». Je ramasse plutôt les travaux faits en classe pour obliger à travailler en classe.
Sciences économiques et sociales, 2nde à terminaleOui toutes les semaines car je travaille en « pédagogie inversée ».L’élève a le droit à un joker sur l’année puis c’est une heure de retenue. Comme les élèves travaillent en groupe, le « passager clandestin » est vite stigmatisé. Il y a peu de « récidive ».
Mathématiques, 2nde à terminaleOui, mais peu, 1 ou 2 par trimestre mais avec beaucoup de choses à faire. Je leur laisse une semaine pour le faire. Mais je suis relativement méfiant, je pense qu’ils vont chercher les informations sur internet.
Je donne également des devoirs facultatifs.
Pour les devoirs maison obligatoires, je relève toutes les copies. Ils ont jusqu’à la séance suivante pour me le rendre. J’enlève des points -1, -2,…
BTS MUC (matières de spécialité)Je donne toutes les deux semaines du travail à faire à la maison, pour permettre aux étudiants de développer leur autonomie de travail, en vue d’une poursuite d’études supérieures.Si le travail n’est pas rendu, je ne mets pas de note. La moyenne de l’élève sera affaiblie car je ne mets pas de zéro mais je divise la note finale par le nombre de devoirs maisons du trimestre (rendus ou non).
Anglais, TerminaleJe donne chaque semaine des petits devoirs maison, qui nécessitent d’y accorder maximum 10 minutes.Je relève les devoirs en les sensibilisant systématiquement sur les enjeux que représente leur moyenne pour la poursuite d’études.

L’analyse des interviews réalisées auprès des collègues enseignants fait ressortir les points suivants :

1° La discipline enseignée. Tous les collègues interrogés, quelle que soit la matière, sont confrontés à la problématique des devoirs maison non faits. On peut en conclure que tous les collègues estiment que le devoir maison a son importance pédagogique, quel que soit le poids horaire de la matière dans le programme de l’élève. De plus, cette pratique est davantage attachée à la stratégie pédagogique de l’enseignant qu’à la matière qu’il enseigne. Tous les collègues étant confrontés à des devoirs maison non rendus, cela laisse penser que les élèves ne font pas de distinction par matière quant à leur mobilisation sur les devoirs maison.

2° Le niveau d’enseignement. L’analyse permet seulement de souligner que les devoirs maisons non fait concernent les trois niveaux de classe du secondaire. Cependant une étude quantitative permettrait peut-être de souligner des variations de résultats selon les niveaux.

3° La mise en pratique du devoir maison comme outil pédagogique. Dans l’ensemble, tous les collègues donnent plus ou moins des devoirs maison, cependant avec des motivations et des réticences différentes. En effet, pour certains, le devoir maison est source d’inégalité puisque certains élèves pourront bénéficier d’une aide ou copier sans réfléchir sur internet alors que d’autres seront plus démunis. Pour d’autres professeurs, le devoir maison a un enjeu pédagogique majeur puisqu’il permet de travailler l’autonomie, indispensable aux études supérieures. Enfin pour l’un des enseignants interrogés, adepte de la pédagogie inversée, le devoir maison est partie intégrante et indispensable de sa pédagogie.

4° Les mesures prises en cas de devoirs maison non faits. Face à un devoir maison non fait, plusieurs pratiques sont adoptées par les collègues. Certains utilisent le zéro réel ou « fictif » (pas de zéro inscrit mais une note finale divisée par le nombre de devoirs qui auraient dû être rendus), d’autres accordent un « joker » pour un devoir non rendu, d’autres encore appliquent des pénalités qui peuvent aller de la perte de points progressive (-1, -2…) à l’heure de retenue.

Au vu de la récidive des devoirs maisons non faits, on peut se questionner sur l’efficacité infaillible de l’une ou l’autre des méthodes adoptées par les collègues.

Certains travaux de recherche peuvent-ils apporter un nouvel éclairage sur le manque de mobilisation de l’élève face aux devoirs maisons ? Et le cas échéant, quelles solutions seraient envisageables pour une plus grande mobilisation ?

5. Des ressources universitaires

Séverine Kakpo et Patrick Rayou3Contrats didactiques et contrats sociaux du travail hors la classe, p.41-55, site CAIRN http://educationdidactique.revues.org/807#tocto2n6. dans leur article « Contrats didactiques et contrats sociaux du travail hors la classe » se sont intéressés à la problématique du devoir maison. Ils mettent en avant des causes didactiques et sociologiques, sources de difficulté dans la réalisation du travail hors classe et s’interrogent sur l’efficacité cognitive de la banalisation du devoir maison. En observant des classes d’élèves et des enseignants, ces chercheurs ont ainsi pu analyser que la dichotomie entre savoirs transmis à l’école et savoir à construire à l’extérieur rend « l’externalisation » du travail souvent inefficace et aurait également comme pendants, des devoirs maison non rendus. Quelles sont les causes inhérentes à la « non réalisation » des devoirs maisons? Lors de leur recherche empirique, Kakpo et Rayou ont remarqué une propension des élèves à ne pas réaliser les devoirs maison. Selon eux, les causes sont multifactorielles :

  • « Les attentes des adultes prescripteurs ne sont pas clairement déterminées et les finalités poursuivies par les enseignants sont nombreuses et parfois contradictoires ». Souvent donnés pour fixer des notions ou des techniques intellectuelles apprises en classe, les devoirs peuvent aussi servir à combler ce qui n’a pu être fait en classe et sortent donc largement du cadre « normal » de l’apprentissage. Ils peuvent aussi inciter à des recherches sur des thèmes qui n’ont pas été traités en commun, ou encore servir à récompenser des élèves jugés travailleurs mais peu performants ou enfin à punir la classe ou certains élèves, etc. Cette hétérogénéité des pratiques s’accompagne d’un scepticisme assez partagé des enseignants tant sur le bénéfice réel de ce travail que sur l’honnêteté des productions.
  • La réalisation des devoirs maison ne se met pas spontanément en place car elle suppose que chacun des protagonistes, enseignants comme élèves, identifie suffisamment la nature des apprentissages en jeu. Dans le cas du travail hors la classe, cette élaboration est d’autant plus délicate qu’elle suppose que les élèves comprennent les consignes données par les enseignants et transportent de l’école à la maison les apprentissages et acquisitions opérés dans la première pour les rapatrier, si possible consolidés, après un passage dans un milieu didactique différent dans la seconde.
  • Il existe une distorsion entre le temps idéal d’apprentissage du professeur, qui est très centré sur le déroulement temporel des séquences qu’il a préparé et la réalité des élèves qui vivent dans plusieurs « espace-temps » à la fois (temps scolaire, temps familial, social…). D’autant plus que les élèves ne sont plus protégés des inévitables distractions de la technologie actuelle. Cette rigidité du temps contribue ainsi à la « non réalisation » des travaux demandés.

Quelles pistes de solutions sont évoquées par les auteurs ?

En raison du faible lien établi entre les milieux scolaires et non scolaires de l’étude, les phases collectives et individuelles des apprentissages se trouvent souvent en tension. Les chercheurs estiment important de s’intéresser d’abord aux processus pour lesquels tel ou tel élève ne peut tirer profit des objets d’étude donnés par l’enseignant. Une enseignante interrogée lors de la phase de recherche a indiqué que ses « bons » élèves déclarent de façon unanime que c’est dans la classe que se déroule l’essentiel de leurs apprentissages. Cette affirmation semble valider les leçons de Vygotski (1934), selon qui les apprentissages sont « inter-psychologiques » avant de devenir « intra-psychologiques » donc nécessitent tout d’abord une phase collective conséquente pour ensuite être transformés en travail individuel.

En toute logique, les théories de l’apprentissage pourraient nous convaincre assez aisément que le travail fait en classe a besoin d’être consolidé dans un second temps hors de celle-ci et ce d’autant plus que leur progression dans le système scolaire confronte les élèves à des programmes de plus en plus lourds. Cependant la logique qui consiste à transférer cette charge de travail vers les moments sociaux (encadrements des parents, associations d’aide…) est particulièrement propice au déploiement des tensions autour de l’école propres notamment à la société française.

a. Devoirs maison, quels sont les objectifs recherchés ?

  • Les observations de classes et les entretiens avec les enseignants menés par Kakpo et Rayou ont permis de délimiter trois finalités du travail hors la classe qui convergent toutes vers l’acquisition d’un « pli » du travail qu’il s’agit de faire prendre.
  • pli mémoriel (« enfoncer le clou ») : apprendre une leçon, répéter une technique pour la fixer et revenir en classe avec des savoirs suffisamment stabilisés pour garantir de nouveaux apprentissages.
  • pli de transfert (« apprendre intelligemment ») : traiter des exercices variés, dans plusieurs disciplines, apprendre à travailler intellectuellement, c’est-à-dire à construire et mobiliser des schémas généralistes dont l’intérêt va bien au-delà de ce dont il faut s’acquitter pour tel ou tel jour.
  • pli de la forme scolaire (« apprendre le goût de l’effort ») : développer une capacité de travail personnel nécessaire aux scolarités de longue durée. Pour les enseignants, le travail hors la classe est un moment privilégié de construction progressive de cette autonomie intellectuelle, disposition générale qui s’acquiert à partir d’exercices récurrents.

Mais l’atteinte de ces trois objectifs suppose une égalité de départ entre les élèves dans les acquisitions cognitives et méthodologiques. De plus, elle dépend fortement du milieu social dont provient l’élève. Ainsi, dans une classe au niveau hétérogène, tous les élèves n’atteignent pas le même niveau de compréhension à la fin d’une séance. Le devoir maison devient alors une difficulté majeure pour la partie des élèves qui a des acquis cognitifs et méthodologiques fragiles. Le devoir maison creuse ainsi les difficultés de réalisation du travail en exigeant aussi une égalité de moyens d’accompagnement dans la sphère sociale de l’élève. Hors, en externalisant le devoir, le professeur ne dispose pas de toutes ces informations pour garantir à tous ses élèves les mêmes chances de réussir leur travail à la maison (niveau d’études des parents, encadrement familial, possibilité de soutien scolaire…). Ainsi, dans le cas de l’existence de ces « déficits » d’accompagnement, donner des devoirs maisons présuppose que l’élève soit doté d’une importante autonomie intellectuelle alors même que celle-ci reste largement à construire. Ceci est d’autant plus vrai que pour de nombreux défenseurs du « travail maison » l’objectif principal de ce dernier est de former à l’autonomie, nous sommes donc en présence d’un paradoxe.

b. Comment alors concilier le « travail à la maison » et le gain d’autonomie ?

  1. Philippe Meirieu, dans son article relatif aux « devoirs à la maison »4Philippe Meirieu, DEVOIRS (A LA MAISON), http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/devoirs_a_ma_maison.htm., souligne trois principales pistes pour concilier travail à la maison et gain d’autonomie.
    Tout d’abord, le rééquilibre du temps scolaire en prévoyant des plages plus longues pour des « études dirigées » où les élèves seraient « aidés » par des « professionnel de l’apprentissage » pour mener à bien leur « devoirs ». Cette proposition de Meirieu rejoint, selon nous l’approche de la pédagogie différenciée.
  2. La « préparation» des devoirs en classe à travers l’explication détaillée de ce qui doit être fait à la maison et comment le faire, ainsi Meirieu souligne l’importance de ne pas faire faire à la maison des « tâches pour lesquelles aucun mode d’emploi précis n’a, auparavant, été donné et travaillé en classe » (ceci rejoint les travaux de Kakpo et Rayou).
  3. Le développement de l’entraide entre les élèves dans les devoirs maison. Meirieu souligne par-là, l’impact très positif des « travaux de groupe » pour la compréhension.

Meirieu n’est pas le seul à mettre en avant les nombreux avantages du travail collectif. Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez5Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez, Cahiers pédagogiques, n°449 « qu’est ce qui fait changer l’école ? » http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-education-a-l-autonomie. soulignent que la dimension collective est extrêmement propice au développement de l’autonomie notamment à travers : l’écoute de l’autre, la tolérance, l’entraide, le respect de points de vue différents, le renforcement de la confiance en soi et l’ouverture sur le monde. Les travaux de groupe permettent ainsi de développer son autonomie tout en instaurant un « autre rapport au savoir ».

c. L’apprentissage du devoir maison, une discipline à part entière ?

Dans son analyse du devoir maison, Meirieu souligne également le rôle primordial de « l’accompagnant » à travers une vraie méthodologie de l’approche du travail personnel de l’élève. Ainsi l’accompagnant doit savoir identifier « les mécanismes fondamentaux de l’apprentissage », et conduire l’élève à travers différentes étapes complémentaires : la mentalisation de la tâche à accomplir (visualisation de ce qu’il y a à faire), les critères de réussite (les attentes) et la planification (gestion du temps). Mais l’accompagnant doit également repérer et stabiliser pour chaque élèves sa stratégie individuelle d’apprentissage la plus efficace et l’amener à s’autoévaluer ainsi qu’à s’entrainer au transfert des acquis dans des contextes différents. Ainsi, à la lecture de l’analyse de Meirieu, l’accompagnement au devoir maison serait une « discipline » à part entière mais dont l’enjeu est « fondamental dans le processus de démocratisation de l’institution scolaire et de l’accès aux savoirs ».

6. Quelles pistes de résolution de la situation ?

Pour une meilleure compréhension, les pistes alternatives sont résumées dans le tableau récapitulatif ci-dessous.

PistesAvantagesInconvénientsActions à cour termeActions long terme
1. Ne plus donner de travail maisonPas de situation de malaise, pas de détérioration de l’image du professeur, moins de charge de travail pour les élèves.Pas d’apprentissage d’emblée de l’autonomie, risque d’une implication moindre dans la matière, entraînement qui reste limité au temps de classe.Approfondir le travail d’application dans le cadre du coursLes travaux maisons peuvent être transformés en TD en classe
2. Sanctionner le travail non rendu par un zéroEffet probablement dissuasif pour une récidiveEffet dissuasif non garanti pour des élèves dilettantes, impact négatif sur la moyenne de l’élève ne traduisant pas alors obligatoirement le réel niveau de l’élève.
L’élève ne faisant pas le travail, il ne s’entraîne pas à l’acquisition notionnelle et méthodologique. Cela creuse des inégalités dans la classe entre élèves: de moyenne, d’effort au travail et de connaissances.
Informer les parents pour les alerter.
Comprendre les causes du travail non rendu et mettre en place des actions de remédiation immédiates : prise de note des devoirs, changement des modalités de réalisation,…
Un grand nombre de zéro en travail non rendu peut entraîner des mesures administratives (avertissement, conseil de lutte contre le décrochage scolaire, exclusion temporaire de l’établissement).
3. le travail non rendu sera fait en heure de retenueLe travail sera donc fait, les notions et la méthodologie seront ainsi travaillées. L’enseignant conserve son statut d’autorité. L’Approche est dissuasive pour une récidive.
L’approche est pédagogique et juste (égalité de traitement entre les élèves, et l’élève récalcitrant rend la contribution attendue)
Cela entraîne une logistique d’organisation des heures de retenue surtout si les élèves retenus sont nombreux, contrainte administrative pour l’enseignant. Que faire si l’élève ne vient pas en retenue ? (le retenir à nouveau deux heures, lui mettre un zéro ?…).Heure de retenue et motif inscrits dans le carnet pour signature des parents. Comprendre les causes du travail non rendu et mettre en place des actions de remédiation immédiates : prise de note des devoirs, changement des modalités de réalisation.Rappels réguliers du risque encouru : un travail non fait à la maison sera systématiquement fait en retenue.
4. Accorder un délai supplémentaire pour rendre le travailResponsabilisation de l’élève à travers un contrat de confiance, la bienveillance du professeur lui confère une image positiveRepose sur une confiance mutuelle et ne garantit en rien la réalisation effective du travail, risque de récidive (l’élève sait qu’il aura toujours une deuxième chance), risque de générer une image trop permissive de l’enseignant. Perte de temps pour la collectivité de classe (progression freinée).Comprendre les causes du travail non rendu et mettre en place des actions de remédiation immédiates : prise de note des devoirs, changement des modalités de réalisation, donner plus de temps pour réaliser le travail d’une manière générale.Valider avec les élèves la date du rendu compte tenu de leur charge de travail et du travail demandé. Systématiser le fait que les devoirs soient commencés les trente dernières minutes de cours et seront terminés à la maison ?
5. Notifier simplement que le travail est non rendu : ne pas mettre de notePas de situation de conflit entre professeur et élève, responsabilisation totale de l’élève sur son degré d’implication dans ses étudesModèle négatif pour les autres élèves, effet boule de neige probable. Perte d’autorité de l’enseignement. Une responsabilisation risquée pour certains élèves nécessitant un cadrage pédagogique : cela augmente-t-il le risque d’échec scolaire ?Appréciation de travaux non rendus dans le bulletin qui peut avoir une incidence sur le dossier scolaire de l’élève. Information aux parents sur l’attitude au travailCette situation est-elle vivable à long terme, pour l’enseignant comme pour l’élève et la classe ?

7. Prendre parti

La problématique du travail maison non rendu est complexe, elle nécessite selon nous l’implication de différents acteurs proches de l’élève : les parents, l’enseignant et l’équipe pédagogique. Plusieurs approchent restent possibles. Nous préconisons une approche progressive comportant les étapes suivantes :

  • Un délai supplémentaire est accordé pour rendre le travail. Dans le cas où le travail serait corrigé dans l’heure, l’élève bénéficie d’un joker pour travail non rendu. Toute récidive sera alors sanctionné par le point « 3 » à savoir, l’heure de retenue.
  • Une recherche des causes liées au travail non rendu et une remédiation si nécessaire (expliquer ce qui n’a pas été compris, modifier éventuellement ce qui est à rendre…) sont à effectuer.
  • Si le travail n’est toujours pas fait après ce délai supplémentaire, mettre une heure de retenue et informer les parents de la retenue et du motif de cette dernière.
  • Si l’élève ne se rend pas en retenue, transférer le dossier auprès de la vie scolaire pour une prise en charge de l’élève.
  • Toute récidive entrainera alors tant que le cas susmentionné n’est pas résolu, un zéro en note sanction.

En conclusion, il nous semble pédagogique de valider d’une manière générale, avec les élèves, la date du rendu compte tenu de leur charge de travail et du travail demandé. Mais il est également important, dans la mesure où nous considérons que ce travail est important d’un point de vue notionnel et méthodologique que l’élève le réalise, même si cela doit impliquer qu’il le fasse en heure de retenue. Notre objectif étant qu’à terme, le contrat passé entre les élèves et le professeur, soit respecté et devienne ainsi un contrat de confiance sur le long terme.

Complément de conclusion

À la lecture des ressources universitaires mentionnées précédemment, l’approche soulignée par Meirieu, nous semble intéressante à mettre en œuvre. Ainsi il faut veiller à ce que travail à faire à la maison soit très clairement énoncé, voire travaillé un peu en classe afin que l’élève ait tous les « outils » pour pouvoir le réaliser efficacement chez lui. Dans la lignée de ce dernier point, il faudrait même pouvoir débuter le travail en classe, à travers un temps de « travail dirigé » durant lequel le professeur répondrait aux questions des élèves en difficulté (pédagogie différenciée). Ces travaux dirigés pourraient peut-être même se faire en groupe afin de favoriser l’entraide et travailler l’autonomie des élèves. Cette nouvelle approche nous séduit, elle nous paraît indispensable dans la « mallette pédagogique » de l’enseignant d’autant qu’elle vient en résonnance notamment aux compétences « connaissance des élèves et des processus d’apprentissage » et « prise en compte de la diversité des élèves », qui sont deux compétences majeures du référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation. Ainsi, nous envisageons très fortement de la mettre en œuvre.

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